Chronique livre : Underground

d’Haruki Murakami.

Avons-nous été en mesure de “leur” proposer une narration plus viable ? Disposons-nous d’une narration assez puissante pour repousser les “absurdités” d’Asahara ?

undergroundEn 1995, le métro de Tokyo a été victime d’une attaque terroriste de grande ampleur. Plusieurs rames de métro ont été la cible de membres de la secte Aum, qui ont éclaté des poches de sarin, un gaz neurotoxique extrêmement puissant en pleine heure de pointe. Un an plus tard, Haruki Murakami s’interroge sur cette affaire et rencontre tout d’abord des victimes de l’attaque, puis des anciens membres de la secte. Continuer la lecture de Chronique livre : Underground

Chronique livre : 1Q84 Livres 1, 2 & 3

de Haruki Murakami.

1Q84 est sans doute le livre le plus paradoxal de Murakami que j’ai lu.

Dès les premières pages, on comprend à quel point l’auteur est intelligent. Alternant les chapitres sur deux personnages, il réussit à créer un phénomène d’addiction chez le lecteur que je n’avais pas ressenti depuis la lecture des Chroniques de San Francisco il n’y a pas loin de quinze ans (oui bon chacun ses casseroles hein). Ce phénomène addictif, proche de celui qu’on peut ressentir pour sa série préférée, ne tient malheureusement pas sur les quelques 1500 pages du roman. En abordant le Livre 3, on commence à comprendre le truc, à bien voir les ficelles (genre intégré un chapitre dans lequel il ne se passe rien, pour chronologiquement rattraper l’histoire de l’autre personnage), et l’arrivée d’un troisième luron dans l’affaire n’a pas titillé plus que ça mon intérêt, il m’a plutôt agacé. L’intelligence de Murakami glisse alors doucement vers la roublardise.

Par ailleurs, je dois vous avouer, que j’avais assez précisément deviné où Murakami voulait se rendre (convoquer l’ensemble des forces de l’univers pour finalement ne parler que d’une histoire d’amour), du coup, au bout de 1000 pages, j’avais envie qu’il s’y rende… vite. Ce qui n’est pas le cas.

Alors pourquoi ce phénomène d’addiction dans les deux premiers tomes ? Le savoir faire du mec, évidemment, énorme, mais aussi un personnage, Fukaéri, qui renferme à lui seul l’intérêt du livre. Quand elle disparaît de l’histoire, rien, ne va plus, on s’ennuie ferme. Tengo est bien gentil, mais ce type de personnage commence vraiment à devenir un stéréotype murakamien, Aomamé est assez agréablement mystérieuse, mais le coup du traumatisme psychologique et de l’immaculé conception, au secours. Reste Fukaéri, dont la maladresse avec les mots donne à la fois envie de lui donner des baffes, et de l’encourager avec chaleur, dont les réponses laconiques agacent et fascinent. Quand elle disparaît, le livre se met à suivre un petit chemin mou et balisé.

Pas un moment désagréable, mais j’en attends un peu plus du maître.

Ed. Belfond
Trad. Hélène Morita 

Chronique livre : La course au mouton sauvage

d’Haruki Murakami

On commence à avoir l’habitude des dérives murakamiennes dans les sphères de l’absurde, c’est sans doute pour ça que La course au mouton sauvage, après avoir lu Les chroniques de l’oiseau à ressort ou encore La fin de temps semble aussi léger.

Plus court que ses deux petits frères, mais aussi beaucoup moins complexe et tortueux, La course au mouton sauvage raconte le périple d’un jeune homme détaché, globalement assez médiocre, à la recherche d’un ovin étoilé et inaccessible, sous la pression d’une organisation de l’extrême-droite japonaise. Ce mouton aurait la capacité de prendre possession d’un individu et d’en faire un surhomme capable de bâtir des empires. C’est ce qui s’est passé pour le pilier de cette organisation, mais le mouton l’a déserté et il souhaite le retrouver. Le jeune homme médiocre part alors tout bonnement, même s’il ne le sait pas encore, à la recherche de l’ambition et de la grandeur.

Certes pas désagréable, on trouve déjà toute la patte de Murakami dans cette histoire, dans laquelle les choses arrivent on ne sait trop comment, la réalité n’est jamais vraiment celle qu’on croit et le fantastique n’attend que le bon moment pour se manifester. Mais le roman est beaucoup moins ambitieux que ses successeurs dans l’amplitude de ses dérives, et de ses décrochements de la réalité. A part cette histoire de mouton, d’un fantôme, et d’une fille aux oreilles ensorcelantes, La course au mouton sauvage reste globalement sur la terre ferme et peine à vraiment décoller. Et si la mélancolie de l’auteur, comme d’habitude bien présente, nimbe l’histoire de sa douceur vaguement nostalgique, on regrette presque que le roman se veuille porteur d’un message, pas faux mais un peu facile et premier degré, sur la dangerosité de l’ambition et des appétits de conquête de l’homme.

Tout ça reste tout de même très recommandable, mais je continuerai malgré tout à conseiller et à offrir dans cette lignée murakamienne La fin des temps et Les chroniques de l’oiseau à ressort. A noter que la traduction de Patrick De Vos est particulièrement agréable, ce qui n’est pas toujours le cas avec les traductions d’Haruki Murakami, parfois excessivement plates. Je vous accorde toutefois que je suis fort peu apte à juger de la fidélité au texte original des traductions japonais-français…

Ed. Points
Trad. Patrick De Vos

Chronique livre : La fin des temps

d’Haruki Murakami


Ca n’a rien à voir, mais c’est bizarre. Clique.

Une autre petite merveille que cette Fin des temps dans l’œuvre foisonnante de Murakami. Certes La fin des temps a été écrit antérieurement à Kafka sur le rivage ou les chroniques de l’oiseau à ressort, mais c’est en quelque sorte le précurseur de cette veine là. Enfin c’est ce qu’il me semble étant donné que je n’ai pas lu l’entière bibliographie du maître. La fin des temps est donc un roman dans lequel il faut accepter de perdre ses repères.

Deux histoires se déroulent en parallèle, pour finalement se rejoindre au final (hahaha le pléonasme tellement énorme que je le laisse), dans deux « mondes » différents : le monde réel et un monde inventé. Oui mais voilà, le monde réel est peuplé de bestioles bizarres, d’un savant qui écoute le bruit des crânes et d’un ascenseur énigmatique, tandis que le monde créé est certes étrange, les ombres perdues y côtoient des licornes, mais curieusement beaucoup plus planplan et ordonné. On ne sait où donner de la tête entre toutes ces bizarreries, et le calme et la sérénité du héros, comme d’habitude, forment un contrepoint parfait à l’agitation ambiante.

Malheureusement, le roman manque un peu de rythme et a tendance à être trop explicatif. On n’avait évidemment pas besoin de cette histoire de commutation de circuits de la conscience ou je ne sais trop quoi. Ce n’est pas la cohérence qu’on cherche ici, bien évidemment, mais l’évasion. Mine de rien on peut voir dans le final un constat un peu désolant, puisque le héros fait le choix (ou pas d’ailleurs) du monde clos et sans surprise au détriment du bordel extérieur.

La traduction est impeccable, malgré des dialogues toujours un peu « plats », non naturels, qui ne coulent pas en bouche : Murakami ou la traduction, je crois que tant que je ne deviendrai pas une spécialiste du japonais, je ne pourrai pas trancher l’origine du problème. Par conséquent, je crains bien de ne jamais pouvoir trancher… On peut aussi regretter un nombre de fautes d’impression suffisamment conséquent pour que je m’en aperçoive. Rare d’en trouver autant, je me demande bien ce qu’a foutu le relecteur.

En tous cas, un bien beau roman, qui a introduit parfaitement des vacances bien méritées (j’espère) (et déjà finies depuis longtemps).

Chronique livre : Le passage de la nuit

d’Haruki Murakami.


Engouffre-toi dans la nuit, un clic sur la voiture en panne.

Bon, ça n’est pas pour me faire une thématique Murakami, après l’inégal Saules aveugles, femme endormie, mais Le passage de la nuit m’est tombé sous les doigts comme je posais le précédent. A peine un quart de page m’a suffi pour savoir que je ne le lâcherai pas facilement. J’avais raison. Le passage de la nuit est un roman résolument moderne qui lorgne franchement du côté du cinéma et de la scène tout en restant de la grande littérature. Beaucoup plus innovant que Saules aveugles, femme endormie au niveau de la forme et du contenu, le livre constitue une réelle évolution dans le style du maître, beaucoup plus visuelle, plus « mise en scène », débarrassée de ce côté un peu sucré et faussement candide qui m’agace parfois chez Murakami.

On est plongé dans une nuit de la vie de deux sœurs japonaises que tout oppose. Eri, belle jeune femme mannequin à qui tout réussit en apparence, dort d’un sommeil un peu trop profond, pendant que Mari, étudiante effacée mais laborieuse, erre de cafés en snacks pour fuir la nuit sous le toit familial. Ce qui est très original dans ce dispositif, c’est l’utilisation d’un narrateur-caméra, toujours en dehors des scènes, mais qui, dans le même temps, a la possibilité de se déplacer, de multiplier les points de vues. L’effet dynamique est extraordinaire tant on a l’impression d’embrasser l’immensité de la ville et l’intimité de quelques uns de ses habitants. Bref, on est dans un livre en 4 dimensions (x, y, z, t), dans lequel on navigue, d’interrogations en surprises et moments de calme.

Dans l’histoire d’Eri, Murakami a créé une véritable « installation » vidéo, dans le sens théâtral du terme, intrigante, intelligente, angoissante. Rien n’est vraiment explicite, mais le mystère principal reste Eri et ce qui lui est arrivé. Qu’est ce qui a poussé cette Blanche-Neige des temps modernes à chercher refuge dans le sommeil ? Que vient faire, dans la télévision éteinte, cet homme mystérieux mais dont on pense deviner l’identité ? Eri fuit-elle un homme ? Cet homme ? Ce qui intéresse Murakami, au fond, c’est de briser la surface des choses, des êtres, mais sans en dévoiler les tripes, c’est de révéler les failles sans les explorer, sans les expliquer. Le roman en acquiert une universalité totale, permettant du lecteur la projection dans ces névroses, ces angoisses, ces interrogations.

Comme dans toutes les productions de Murakami, j’ai toujours un peu de mal avec ces dialogues, dont on n’arrive pas à discerner si l’artificialité provient de la traduction, ou constitue le propre style de l’auteur. Ces dialogues, très simples cependant, ne coulent pas en bouche, heurtent le palais, et pourtant sont reconnaissables à 200 000 km. Un peu comme un chopiniste qui essaierait de s’attaquer à du Liszt, aux accords et enchaînements défiant les lois de l’anatomie (je me comprends).

Malgré ces vraies-fausses maladresses de dialogues, La passage de la nuit est un objet littéraire absolument unique et fascinant. On aimerait bien que Murakami continue à explorer cette voie, plutôt que d’appliquer ses recettes magiques à des compilations de nouvelles tiédes. Et surtout, j’attends avec impatience qu’un metteur en scène de talent s’empare de ce merveilleux texte pour prolonger le mystère.