Chronique film : It’s a free world

de Ken Loach.

Ange est blonde, siliconée, et travaille comme recruteuse pour une grosse boîte dans les pays de l’Est. Elle a une grande gueule et fait de l’abattage. Dans un mouvement d’humeur, et refusant un pelotage, elle balance un verre dans la gueule d’un client. Erreur fatale, de retour en Angleterre, elle se fait virer aussitôt. Ne se laissant pas abattre, l’opprimée monte de manière illégale sa propre boîte de recrutement.

En parcourant les critiques, ce qui revient le plus souvent, c’est l’ambiguïté du personnage d’Angie. Ambiguïté mes fesses, Angie est une vraie salope, la preuve, c’est la sosie de Tatiana de Secret Story . Elle n’a aucun scrupule, marche sur la gueule de tout le monde, abandonne son fils à ses parents atterrés par les choix de leur fille, aucune tendresse pour personne, sauf pour un gars de passage. Outre recruter des esclaves pour les entreprises peu scrupuleuses, Angie devient également marchande de sommeil, utilise ses recrues à des fins purement sexuelles. Bref. Pas très recommandable.

Ce n’est pas dans le personnage d’Angie que réside l’ambiguïté, c’est dans la manière de l’appréhender. La mise en scène très plate, très neutre, sans parti pris, assez éloignée de ses habituels engagements, nous donne toute latitude pour réfléchir par nous même. Loach a dépassé le stade émotionnel, pour nous livrer un constat froid, et finalement très désabusé. Ange est-elle autant victime que bourreau dans une société qui pousse les gens aux extrêmes pour s’en sortir ? Elle peut être considérée comme le simple produit, le résidus d’une société en déliquescence. La société accouche de ce qu’elle mérite : d’une grande puissance possédant le pouvoir sur la totalité du petit peuple, la société évolue vers un système où les plus faibles réussissent à exploiter toujours plus faibles qu’eux. Constat amer, et pourtant réel.

D’un autre côté, on peut considérer Angie comme un véritable monstre. Certes, le contexte social est difficile, mais ses choix sont absolument indéfendables. Tant et si bien que, quand elle se fait rétamer par des ouvriers qu’elle n’a pas payés, ou quand ils font semblant de kidnapper son gamin, on exulte, on voudrait la voir réduit en charpie, broyée par ces vies qu’elle a piétinées. Que Loach révèle ainsi nos plus sombres mauvaises pensées, et notre soif de sang et de vengeance, ça c’est quand même nouveau. On regrette un peu que ce ne soient pas les flics, oul’Etat qui s’en prennent aux activités illégales d’Angie. Non. L’Etat , est absolument absent du film, sauf au travers des services de l’immigration, service punitif au possible.

Le film n’est décidément pas moral, et aucune note d’espoir n’éclaircit l’ardoise. La fin est absolument désespérante, puisque pour rembourser les employés qu’elle n’a pas payés, l’héroïne repart dans les pays de l’Est , pour recruter de pauvres gens plein d’espoir en un avenir meilleur. Le cercle est vicié. Ainsi va le monde. Mais ce qui m’inquiète le plus, c’est que le grand militant social qu’est Loach perde l’espoir. Si les plus irréductibles désespèrent, reste t’il encore quelque chose à sauver ?

Chronique film : Le Vent se lève

de Ken Loach.

Bon alors là, je suis toute déçue, mais vraiment déçue. Pour mon retour dans une salle obscure, après plus d’un mois d’abstinence, j’avais choisi un film qui me tenait à coeur, Le Vent se Lève (The Wind that Shakes the Barley en VO), de mon Oh Combien Aimé Ken Loach. Palme d’Or à Cannes pour la première fois, Ken Loach se lance ici dans une fresque historique, sur les années 20 irlandaises.

J’ai été très contente de cette Palme d’Or, qui, vue de l’extérieur, récompensait plutôt une carrière globale que ce film en particulier. Et c’est malheureusement bien le cas. Je n’ai pas été touchée par ce film, dont j’ai trouvé le regard très extérieur. C’est bien joli de ne prendre le parti de personne, m’enfin, ça manque quand même de personnalité et d’implication. Tout ça est filmé de loin, les personnages principaux sont assez mal dessinés, jusqu’au moment où, bien avant la fin, on se doute de comment tout ça va s’achever. Quand la caméra s’attarde enfin sur les héros, il est déjà trop tard. Alors vous allez me dire « oui mais y’a l’intêret pédagogique »… certes, certes… enfin dans Land and Freedom, Bread and Roses, il y a aussi un intêret pédagogique et c’est autrement plus passionnant. Et franchement, je ne sais pas si je suis particulièrement ramollie du cerveau, mais je n’ai pas trouvé ça d’une extrême clarté.

Pour finir sur une note moins négative, on peut souligner le très joli titre en VO « The Wind the Shakes the Barley », qui signifie « Le vent qui secoue l’orge », petite phrase tirée d’une chanson populaire irlandaise, chantée au début du film. J’ai aussi bien aimé le travail sur les éclairages, très crus, très sombres.

Allez, allez Ken, je t’en veux pas. J’vais de ce pas revoir Sweet Sixteen, Ladybird, Raining Stones ou même le très émouvant Just a Kiss.