La raison du plus faible
De Lucas Belvaux
Curieux film que La raison du plus faible, présenté en sélection officielle au Festival de Cannes. Je ne connaissais pas le cinéma de Lucas Belvaux. Cinéma social, belge, on pense forcément aux Dardennes. La raison du plus faible ne ressemble pourtant pas au cinéma des frères. Là où les Dardennes composent un cinéma viscéral, physique, Lucas Belvaux lorgne beaucoup plus du côté des grands films noirs. Ancré dans un contexte social fort, résolument du côté des « petits », chômeurs, ouvriers, licenciés des aciéries, on se dit que Ken Loach n’est pas loin. Pourtant, le film prend une tournure toute différente lorsque les protagonistes décident de se lancer dans un braquage, pour se sortir de leur quotidien sans espoir. Le film gagne alors de l’ampleur, tout en restant proche de ses personnages, cadrés serrés. Plans d’une poésie noire sublime, cauchemars urbains et industriels en déliquescence… Belvaux connaît ses classiques, et en distille quelques touches subtiles. Quelques flashs me sont revenus pendant ce film, de Little Odessa, à The Yards, en passant par les noirceurs scorcesiennes.
Les acteurs sont absolument formidables, pour le coup, on atteint un réalisme proche de Loach. Je mettrais un seul bémol, pour Lucas Belvaux himself, habité mais parfois un peu théâtral et extérieur (en même temps, comme le souligne Les Cahiers du cinéma, c’est fait exprès, certes, mais ça m’a un peu géné). Avec tout ça, on obtient un film assez curieux, un tout petit peu trop long, un tout petit peu bancal, entre belgicisme bon enfant, drôle et touchant (un personnage demande un bisou avant le braquage), et tragédie grecque. Le dénouement est bouleversant. Autant vous le dire de suite, La raison du plus faible finit mal. Et c’était inéluctable.
Changement d’adresse
D’Emmanuel Mouret
Après le Belvaux, j’avais comme une petite envie de légèreté. Direction le CNP Terreaux, où, par le plus malheureux des hasards la climatisation était en panne. J’avoue avoir hésité un instant avant d’entrer dans la salle en sous-sol de ce cinéma, sans clim. Fort heureusement, la durée très réduite de ce film m’a décidé à tenter l’expérience. Bien m’en a pris. J’étais un peu réticente avant d’aller voir ce film. L’humour d’Emmanuel Mouret étant complètement décalé, ça passe ou ça casse. Et ici, il faut bien dire que ça passe plutôt bien. Epaulé par trois comédiens qu’on n’aurait jamais imaginés ensemble (Frédérique Bel, le « blonde » de Canal, Fanny Valette -révélation de la Petite Jérusalem-, et Dany Brillant -qui a retrouvé sa tête après sa rupture avec Suzette-), Mouret compose une jolie petite partition (de cor), loin d’être crétine, légère et absurde. Ce n’est pas le film du siècle, mais ma foi, ça fait plutôt du bien, et on sort détendu, le sourire accroché aux oreilles. Pas si mal non ?
Les Berkman se séparent
Noah Baumbach
Pour finir ce we cinéma je dois vous avouer que j’avais envie de voir un film d’horreur. Je n’ai rien trouvé, alors je me suis dirigée vers ce qui y ressemble le plus : le drame familial. Bon je n’ai pas choisi n’importe lequel non plus, hein, mais le premier film (visible en France) du co-scénariste de Wes Anderson (vous savez le gars de l’absurdissime et jouissif « Vie aquatique »), The Squid and The Whale (Le calamar et la baleine – Titre en VO des Berkman se séparent…no comment). Déjà c’est un film court, 1h21, ça peut paraître crétin, mais un réalisateur qui est assez modeste, honnête et lucide pour sortir un film d’1h21, je trouve ça de bon augure. AHHHH combien de films d’1h50 mériteraient 30 minutes de coupe ! Bref. Les Berkman se séparent est l’histoire (assez autobiographique visiblement) de la rupture d’un couple, avec deux garçons en pleine crise d’adolescence. Le regard porté sur tout ça est plutôt celui des garçons, ils ne sont cependant pas épargnés par l’œil incisif de Baumbach. Dès la première scène, un match de tennis familial, le décor est planté, et les caractères définis à la perfection. Et c’est très fort, une scène et on a tout compris ! Alors là, moi je dis chapeau Maestro. Tout le film est à l’image de cette première scène, rapide, juste précis, drôle, émouvant, grinçant. Un père intellectuel, aigri, coincé, amer, engoncé dans son système de pensées, en pleine déconfiture, une mère hédoniste, crue, directe, infidèle, en pleine réussite, un fils à papa incapable d’une pensée propre, un fils à maman fou de masturbation… Je veux vraiment souligner l’extraordinaire présence des acteurs, Jeff Daniels (parfait) et Laura Linney (sublime) en tête. Bref, un vrai bon film, avec un vrai bon style (bravo au chef-op et décorateurs qui ont su recréer une ambiance 80s parfaite), de vrais bons acteurs, une vraie bonne musique (Floyd, Reed, et j’en passe) et une vraie bonne histoire. Bref, du vrai bon cinéma. Yeeeeees !