Chronique livre : Tours et détours de la vilaine fille

de Mario Vargas Llosa.


Pour mieux voir les tours et détours, clique image.

Ricardo, petit péruvien de la classe moyenne craque pour une petite chilienne délurée. Le temps passe, il émigre à Paris, et devient interprète. Il rencontre alors une camarade en route pour Cuba, c’est sa petite chilienne. Il retombe amoureux, mais elle s’échappe à nouveau. Des année plus tard, elle réapparaît dans sa vie en épouse d’un haut-fonctionnaire…

Une bien jolie histoire d’amour, romantique en diable que celle-ci, l’histoire de l’amour éternel d’un homme pour une femme qu’il sait ne pas pouvoir retenir. C’est bien écrit, joliment tourné. Le roman balaie calmement un demi-siècle d’histoire et diffuse une douceur légèrement surannée. Mais le livre est comme son héros, Ricardo, dont la vilaine fille ne cesse de critiquer le manque d’ambition : trop planplan pour être vraiment exaltant, il se lit avec plaisir, mais sans passion non plus. On attend forcément un peu plus de fougue et de noirceur de la part de l’auteur de la Ville et les Chiens, surtout sur un sujet aussi diablement romantique, mais Tours et détours de la vilaine fille se situe clairement plus dans la veine de Tante Julia et le scribouillard.

Un peu un bouquin de pépé quoi, dommage.

Chronique livre : La Tante Julia et le Scribouillard – 1977

de Mario Vargas Llosa.

Voilà un livre surprenant de la part de l’auteur de La ville et les chiens livre durissime sur une école militaire de Lima. La Tante Julia et le Scribouillard, roman semi-autobiographique est une merveille d’humour, de tendresse et d’amour.

Mario (Marito), vaguement étudiant en droit, rêvant d’écriture, travaille à la rédaction de dépêches pour une radio nationale. Arrivent en parallèle dans sa vie, deux boliviens : la Tante Julia, jeune tata par alliance, veuve, agaçante, et séduisante, et Pedro Camacho, écrivain de « radio-novelas », infatigable « scribouillard » de talent, capable en quelques semaines de rendre accros la moitié du Pérou à ses séries. La construction du roman, très précise, fait alterner l’histoire de Mario et Julia, magnifique histoire d’amour « impossible », entre ce morveux d’à peine 18 ans, et cette femme-faite de 32 ans, et quelques épisodes des novelas de Pedro Camacho. Ces épisodes, délirants, énormes, émaillés de situations « amourgloireetbeautéesques », tiennent en haleine, comme si on était une ménagère de plus de 50 ans, l’oreille collée au poste. Rien n’échappe à Camacho , amours interdites, phobie des rongeurs, et velléités meurtrières, tout ce qui excite nos plus bas instincts de charognards friands d’horreurs. C’est irrésistible et noir, et progressivement, ça devient intrigant et déstabilisant quand Camacho , perdant le fil de ses innombrables saynètes commence à mélanger les histoires, confondre les personnages, les professions… et finit par exterminer tous ses protagonistes dans des bains de sang inimaginables.

Sous la comédie, une véritable réflexion sur le métier d’écrivain, affres, doutes, victoires, sentiment de toute-puissance, et déchéance. Un livre jubilatoire et qui fait du bien, même si percent sous le rire des angoisses existentielles certaines. En 1977, Mario Vargas Llosa est déjà un écrivain accompli, et son regard bienveillant et amusé sur sa folle jeunesse, émeut total. Une bien jolie surprise.

Chronique livre : La Ville et les Chiens

de Mario Vargas Llosa.

J’aimerais bien pouvoir vous dire que ce livre est un des meilleurs que j’ai lus depuis longtemps. Malheureusement, ou plutôt heureusement, ce n’est pas le cas puisque mon conseiller littéraire depuis quelques mois se révèle précieusement inestimable et irremplaçable. N’empêche, la Ville et les Chiens, est, je crois pouvoir le dire sans trop me mouiller, un des plus beaux livres que j’ai lu de ma courte (enfin plus tant que ça) vie.

Comme d’habitude avec mon conseiller, on n’est ni chez Oui-Oui, ni chez Martine à la plage, et le début du livre étant un peu complexe, il faut une bonne dose de concentration pour plonger dans cet univers touffu et pourtant tout simple et cohérent.

Au collège militaire de Lima, Leoncio Prado, on suit l’itinéraire de 4 cadets, d’origines sociales différentes dans un pays en déliquescence. Alberto, dit le Poète, écrit des nouvelles érotiques pour ses camarades afin de se payer des clopes, Ricardo, « l’Esclave », souffre-douleur de toute la section, le Jaguar, adolescent prédateur, trouble et violent, et en pointillés, le Boa qui a pris sous son aile, pour le meilleur et surtout pour le pire, la Malencouille, une chienne qui traîne dans le dortoir. Evidemment, autour de ces personnages en gravitent bien d’autres, élèves, corps enseignant, famille, filles…

Le début est déroutant et cru, mélange des voix de tous, dans un flot continu de pensées. Passé, présent, imaginaire, tout se fond de manière assez surréaliste afin de mettre en place l’histoire. C’est complexe et très beau aussi. Puis le récit se fait plus construit du moment où rentre dans l’histoire, la discrète Teresa, dont est amoureux L’Esclave… puis Alberto. Car au milieu de cette univers de violence, de méchancetés, de noirceur, de dissimulation, c’est finalement l’amour qui conduit les gars à faire leur plus grosses conneries.

Mus par le désir d’être aimés, ces ados, finalement pas si loin de l’enfance, ont grandi trop vite, sans amour, quelque soit leur origine sociale. Et c’est le besoin de reconnaissance, d’affection, d’un peu d’attention et de chaleur dans le regard qui les poussent à agir. Le livre constitue en ça un témoignage extraordinaire sur l’adolescence, et le passage à l’âge adulte, sur l’incroyable besoin d’être, de se sentir exister. C’est d’un romantisme noir assez ravageur.

Quand on comprend, à la toute fin que les encarts sur l’histoire de Teresa et d’un gamin qui tourne mal, ne sont pas une œuvre romanesque du Poète, mais la véritable histoire du Jaguar, on pleure. Une fille, même pas très belle, trois gars du même Collège militaire, une seule histoire. Teresa, symbole de la femme, insaisissable, et qui finalement mène le monde par sa seule existence. C’est grand.