de Jean Giono.
Bon, que je vous raconte un peu ma vie hein, ça n’arrive pas souvent, alors… Giono est lié à un souvenir très particulier. J’ai passé 3 ans en classes prépas. Trois ans pendant lesquels j’ai vécu en ermite, entre bouquins scientifiques, cours, colles, et concours. Mes seules respirations étaient les cours de français. Trois ans, trois bouquins au programme par an… neuf livres en tout. Pour une grosse lectrice comme moi, ce n’était pas grand chose, mais c’était tout ce que je pouvais me permettre, mes périodes de vacances n’étant pas non plus très fournies en lecture, abrutie que j’étais par tant de savoir, enfoncé à coups de pilon dans mon pauvre crâne.
Parmi ces 9 livres, deux gros coups de coeur. W ou le souvenir d’enfance de Perec, je l’avais lu sans le lire, finalement sans rien comprendre. Le prof nous l’avait disséqué avec délices. Ça changeait de la dissection des souris et des grenouilles. L’assemblée abrutie des élèves en profitait en général pour piquer un petit roupillon. Faire lire du Perec à des scientifiques, que voulez-vous, c’est presque de la provocation. Mon deuxième coup de coeur, Les Grands Chemins de Giono. Alors que la majorité des quelques étudiants s’intéressant un peu à la lecture (je n’ose même pas dire littérature) s’extasiaient sur Noces de Camus, moi j’étais tombée d’amour pour les Grands Chemins. Pas que Noces ne m’est pas plu, non, mais les Grands Chemins m’avaient ouvert des horizons qui à cette époque là de ma vie n’étaient même pas de l’ordre du concevable. Prise dans ce carcan, ce ghetto doré de la classe prépa, je ne savais rien de la liberté. J’étais gorgée de classiques du XIXème, et voilà que Giono se pointe, avec toute cette liberté qui éclaboussait partout. Liberté de ton, de styles, de ces personnages pour qui demain ne signifiait rien, alors que depuis toute petite on m’apprenait qu’il fallait passer ses aujourd’huis à préparer ses demains.
Dans la foulée, j’avais essayé de lire Un roi sans divertissement. Mais, style plus difficile, cerveau occupé, impossible de dépasser la vingtième page. J’ai attendu, le volume à distance respectueuse, que mon cerveau se débloque. Et puis, avant-hier, après avoir fini Beckett, je prends mon courage, ma petite après avoir lu Beckett, tu peux lire Giono. Et oui. Un roi sans divertissement est passé comme une petite douceur, après les affres Beckettiennes. Sombre pourtant est ce roman, lumineux aussi, fin connaisseur de l’humain. C’est beau et triste à la fois, cet homme fait pour les grandes choses, et qui ne peut survivre aux petites. Brassage méticuleux du minuscule et de l’ample, vision du monde comme d’un grand tout, entrelacement perpétuel de la nature et de l’homme, Un roi sans divertissement est un livre magnifique, d’une infinie mélancolie. Un livre qui donne envie d’aller se perdre dans une forêt de châtaigners, une belle journée d’automne.
C’est exactement celui que ma prof de français nous avait mis au programme en première, et celui que je n’avais pas pu lire. Pas possible. Non vraiment, c’était pas lisible pour moi.
Depuis ce jour-là je vouais une infinie rancoeur à Giono, je lui en voulais parce que je n’arrivais pas à la lire alors qu’on me disait tellement souvent qu’il était l’une des âmes de mon pays. Et râter une âme comme ça, mince alors !
Et puis j’ai lu, un jour, l’homme qui plantait des arbres, sa nouvelle. Et puis j’ai eu envie de m’y remettre, mais je ne sais pas par quoi commencer, j’ai peur de me retrouver à nouveau déçue…
J’ai lu qu’un titre de Gino » Que ma joie demeure » J’en garde un souvenir impérissable sur sa vie en Provence. bon dimanche Anne.
Après avoir beaucoup lu Giono, j’ai trouvé que son écriture vieillissait mal…Ton texte me donne envie d’aller le relire un de ces jours.
Conseil suivi de prédiction
Bon, les amis, avec ma copine Anne, on va vous dire un peu ce qu’il faut lire de Giono : pour ma part, je vous tonitrue de vous jeter sur : Le Déserteur, L’Iris de Suze, Le Chant du Monde, Solitude de la Pitié, et Le Grand troupeau. + bien sûr sa traduction de Moby Dick.
Anne, Dieu te rendra au centuple tes efforts pour lire des livres beaux. Tu passeras sûrement un ou deux jours au Purgatoire à cause du Baricco, mais ensuite ça sera que du bonheur.
ah Giono, si limpide et si sombre on se perd dans des méandres d’évidence. Chaque livre a ses saisons de la vie et il ne faut jamais désespérer des grands auteurs, un jour ils finissent par vous atteindre si vous faites les difficiles premiers pas.
J’ai lu « les grands chemins » probablement dans les mêmes conditions, mais je faisais partie des élèves qui s’extasaient sur le 3ème livre au programme cette année-là (« la pensée et le mouvant »).
Dans les « grands chemins », j’avais été perturbé par ce présent à ce point détaché des préoccupations du lendemain et des héritages du passé. Je n’y trouvais pas mon compte et jugeait cette manière de vivre le présent comme une condamnation à l’errance perpétuelle.
En fait, j’envie surtout les élèves qui, entrés en classes prépas en 2006, ont pu disséquer « un amour de Swann »…
A lire vos commentaire, je me trouve en décalage : Je n’ai jamais pu entrer dans un livre de Giono ! Même en m’y prennant à plusieurs reprises, rien n’y fit, mes yeux s’évadent vers les murs ou les gens, présents autour de moi dans un bar, une bibliothèque, un train, … Ce fut D’Ormesson qui eut raison de moi suite à ces vaines tentatives, et d’autres bien sûr.
Chacun ses livres, ses goûts, … On en reparlera !
Sciences
Une scientifique qui aime la littérature, trois ans de prépas et une très belle écriture, bravo et merci de nous donner l’envie de lire, les sciences sont multiples comme les intelligences…
Ce que j’ai lu de lui ?
« Un des baumugnes » à cause du film de Pagnol (?) et « colline » pour le feu,… et peut être aussi « jean le bleu » mais il faut que je vérifie…
Giono…
A tous, merci, rarement une chronique bousquin aura attiré tant de commentaires. J’ai des lecteurs au top
Perec
Bon ben moi je rentre dans la catégorie de ceux qui ont plus aimé le Pérec que le Giono. Et je citais la ligne droite temporelle de A à B de Bergson ce week-end encore (la culture, c’est comme la confiture et caetera et caetera…). Aucun regret à dire que j’ai détesté Flaubert l’année qui suivait.
J’ai une tendresse immense pour Giono, que je découvre pas à pas. « Que ma joie demeure » est un chef-d’oeuvre immarcescible. Et rappelons-nous que sa chère Provence sera bientôt défigurée par le projet ITER…
Ouais, faut pas saucissonner les textes : c’est une terrible chose.