de Samuel Beckett.
Troisième et ultime volet de sa trilogie (pléonasme quand tu nous tiens), L’innommable franchit un pas de plus dans le, attendez voir, non, ce n’est pas exactement ça, mais plutôt, je veux dire, il faut qu’on se comprenne bien, ou pas. Molloy réussissait à se déplacer tant bien que mal, et interagissait a minima avec le monde extérieur, Malone, pinqué dans un lit écrivait frénétiquement dans un cahier d’écolier pour décrire son infinitésimal univers. L’innommable n’est plus rien de tout ça, plus rien qu’un concept à la corporalité douteuse, obligé (peut-être, par qui, pour quoi ?) de dégoiser à l’infini, en attendant.
Moteur de ses propres propos ou simple écho d’un monde extérieur qu’on ne verra jamais, l’innommable, le sans nom donc, tente de raconter les histoires des lamentables Manhood, homme-tronc, fiché dans une jarre et recouvert de mouches, utilisé comme enseigne d’une auberge, et Worm, réduit à une oreille et sans doute un oeil versant des torrents de larmes. Mais ces histoires tournent court, reprennent, s’arrêtent, continuent, différemment, pour explorer un océan des possibles sans limite. « Que voulez-vous, il faut spéculer, spéculer, jusqu’à ce qu’on tombe sur la spéculation qui est la bonne. Quand tout se taira, quand tout s’arrêtera, c’est que les mots auront été dits, ceux qu’il importait de dire…«
Une fois les histoires « achevées », du moins mises de côté, l’innommable tente de parler de lui. Mais pourquoi parle-t’il ? pour raconter quoi exactement ? et qu’est-il ? un être propre ou le simple véhicule de la pensée des autres ? tout ce qu’il sait, c’est qu’il doit parler, combler le vide et le silence, en attendant. En attendant quoi ? il ne sait pas, la mort sans doute, mais peut-il mourir alors qu’il ne sait même pas s’il est né. Brassant mille et une idées dans un fascinant maelström de phrases ébréchées, malmenées, persécutées, l’innommable se lit en apnée, au bord du vertige. Le texte, dense, compact jusque dans son absence de point, est émaillé de pensées extraordinaires, éblouissantes de clairvoyance, de celles qui font rechercher frénétiquement un crayon à papier au fond de sa besace.
Bien plus que dans les deux précédents volumes, l’innommable transpire l’angoisse de la mort, du vide, du silence. Cette course frénétique littéraire, grande réflexion sur la vie, la mort, la conscience, l’être, évoque de temps en temps la question de Dieu, pour mieux l’écarter « … à ce jeu-là, on finirait par avoir besoin de Dieu, on a beau être besogneux, il est des bassesses qu’on préfère éviter« . Pourtant, ne peut-on pas voir en Worm, pure création d’un monde extérieur hypothétique, capable d’entendre et de voir, mais en aucun cas d’agir, la manie de l’humain à se créer des idoles afin d’apaiser ses tourments ?
Livre court d’une richesse incroyable, l’innommable est à lire, et puis à relire, et même sans doute à rerelire, histoire de bien se remettre les idées en place.
Bonjour,
Ne jamais parler d’un livre sans l’avoir lu....donc je m’abstiens…Un blog indispensable puisque culturellement essentiel..Bravo!