de Jesmyn Ward.
Gros coup de coeur pour ce roman Deep South, d’une jeune auteure américaine encore inconnue en France. Mais gageons que cet état de fait se dissipera très vite : Bois Sauvage a de quoi réconcilier amateurs d’histoires et exigeants littéraires.
Admirablement traduit par Jean-Luc Piningre, Bois Sauvage situe son histoire dans un coin paumé et déshérité du Mississippi. Pendant les dix jours qui précèdent l’arrivée de l’ouragan Katrina, le lecteur est invité à suivre Esch, jeune adolescente de quinze ans, sa nombreuse et compliquée fratrie, son père monomaniaque, et la chienne de combat de la famille, China. La famille n’a pas d’argent, et se débrouille un peu à la va comme je te pousse. Dans dix jours, l’ouragan Katrina va tout dévaster, mais à part le père, tout le monde s’en fout : un des frères est obnubilé par sa chienne qui vient d’accoucher, un autre par un stage de basket qui lui permettrait de sortir de la merde, et Esch n’a que Manny dans la tête, et puis de plus en plus dans le ventre aussi.
Loin de tomber dans un quelconque misérabilisme (et c’est là un véritable tour de force), Jesmyn Ward réussit à donner vie à cette famille bancale, dans laquelle chaque membre est enfermé dans ses obsessions. Certes le contexte social est particulièrement gratiné, mais ce qui intéresse l’auteure, ce sont vraiment ses personnages, et la mythologie qu’elle arrive à créer autour d’eux. Comme Esch qui lit Médée pour l’école, et se demande si son Manny ne serait pas un peu Jason sur les bords, Jesmyn Ward construit un édifice autour de ses personnages sous la figure tutélaire de la mère, et de ses déclinaisons. Médée bien sûr, qui tue ses enfants par amour pour un ingrat, la mère de Esch et de ses frères, morte en couche, mais dont la présence continue à imprégner la vie de la famille, China, la belle dangereuse, y compris pour ses chiots, puis Esch, celle dont l’avenir est peut-être le moins sombre de la tribu, mais dont la maternité remet tout en cause, et enfin Katrina, l’ouragan dévastateur qui fera reset.
Ne pas prendre ses personnages pour des cas sociaux, mais pour des êtres humains vivant dans un contexte social difficile, c’est une des grandes qualités de ce livre particulièrement maîtrisé et bien construit. Il faut également reconnaître à Jesmyn Ward une écriture tout à fait convaincante. Elle se glisse dans la bouche de Esch grâce à une langue parlée, rude et parfois étrangement poétique. Il y a quelque chose de très puissant dans cette écriture, qui sent la terre et la sueur, une façon d’aborder la vie comme un tout, reliée aux éléments, sensible à ce qui l’entoure.
Bois Sauvage est un livre plein de grâce, profondément émouvant et à l’intelligence dévastatrice. Une très belle découverte.
Trad. Jean-Luc Piningre
Ed. Belfond
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