de Toni Morrison.
Ce qui était mort dans ses bras donnait à son enfance une vie colossale.
Rentrée littéraire des “premières fois”, voici donc l’entrée dans Racines de Toni Morrison. Et bon sang, que c’est beau. D’une concision extrême (à peine 150 pages), Toni Morrison dresse le portrait des Etats-Unis des fifties loin des clichés d’une Amérique glorieuse en pleine effervescence. Ça commence et se termine dans une Géorgie brûlée par le soleil, et on croise en chemin Chicago, Portland et la Corée.
La construction séduit aussitôt. Toni Morrison alterne le récit de Franck Money à la première personne façon interview, et la parole d’un narrateur qui raconte l’histoire de Franck, ainsi que de quelques personnages qui gravitent autour de lui. Les deux voix sont parfois discordantes : le témoignage de Franck s’insurge d’ailleurs parfois contre l’interprétation du narrateur. Cette construction apporte beaucoup de dynamisme au roman, et aussi du mystère. Pourquoi ce narrateur est-il en train d’interviewer, et d’écrire la vie de Franck et de ses proches ? Le mystère restera entier.
Tout comme dans le très beau Bois Sauvage, avec lequel Home entre clairement en résonance, Toni Morrison choisit des personnages “de peu”, venus d’un trou perdu et sans avenir de la Géorgie, Lotus. Jamais au-dessus de ses personnages, Toni Morrison réussit à dresser leur portrait de manière bienveillante mais sans angélisme. C’est très beau, complètement épuré dans l’écriture, tout en économie. Rien à jeter, chaque mot a son poids, sa place et son sens. On peut d’ailleurs souligner l’impeccable traduction de Christine Laferrière qui réussit à restituer toute la finesse et la poésie de ce texte.
La petite histoire de ces personnages sert évidemment de révélateur aux travers d’une société américaine qui avance masquée. Discrètement, avec une poésie brute et un mystère feutré, Toni Morrison dresse le portrait d’une Amérique dans laquelle l’appétit d’argent sert de ferment à la ségrégation sociale qui progressivement prend la place de la ségrégation raciale.
Toni Morrison donc ? mes amis, la très grande classe.
Ed. Christian Bourgois
Trad. Christine Laferrière