de J. G. Ballard.
Dans une société totalement saine, la folie est la seule liberté.
Un petit tour régulier dans l’univers sauvage de J. G. Ballard, voilà qui est salutaire. Dans Sauvagerie (Running Wild en VO, et tout d’abord traduit en français sous le titre Le massacre de Pangbourne), l’auteur s’en prend à l’univers clos des résidences bourgeoises surveillées de la vallée de la Tamise, très bien desservies par la M4, avec accès rapide à Heathrow et au centre de Londres. On pense forcément à Millenium People ou I.G.H. pour la description d’univers clos, mais colonisés par des classes sociales différentes.
Dans Sauvagerie, publié pour la première fois en 1988, douze ans après I.G.H. et quinze ans avant Millenium People, c’est la grande bourgeoisie qui est la cible, et le monde clos, protecteur, rempli de bienveillance et d’affection qu’elle construit pour ses enfants.
La seule chose étonnante chez ces gens, c’est qu’ils aient trouvé le temps de se faire assassiner.
Pangbourne Village est un lotissement grand luxe, placé sous vidéo-surveillance constante, avec piscines, courts de tennis et chauffeurs particuliers. Un matin de juin 1988, tous les adultes de la résidences sont tués, et les enfants se volatilisent. Attentat ? Meurtrier psychopathe ? Les hypothèses sont nombreuses, cependant deux mois après le massacre, toujours aucune piste sérieuse et les enfants demeurent introuvables. Un psychiatre controversé est envoyé sur place pour mener sa petite enquête, Sauvagerie constitue le journal de cette enquête. Aiguillé progressivement par un flic revenu de tout, et les indices accumulés durant ses investigations, la vérité finit par surgir. Une vérité dérangeante, effrayante, politiquement incorrecte.
On ne peut qu’admirer le savoir faire de Ballard dans ce très court roman, totalement dégraissé et concentré sur l’essentiel. On pouvait regretter dans Millenium People des longueurs, problèmes de construction et de clarté. Ce n’est pas le cas dans Sauvagerie. Ballard ne révèle que les extraits absolument nécessaires du journal : on ne se focalise ici ou là que sur quelques personnages, sans souci de complétude.
L’auteur retranscrit avec beaucoup de finesse l’évolution de son psychiatre, d’abord séduit par le cocon sécurisé de Pangbourne Village et les méthodes éducatives appliquées aux enfants. Ici, tout n’est que compréhension, affection, amour. Aucune dérive n’est considérée comme importante, tout est écouté, entendu, géré. Mais progressivement, le psychiatre comprend les effets pervers de cette volonté de bien faire, et le livre se termine par une reconstitution des faits absolument terrifiante, terrifiante parce que monstrueuse, mais également crédible. Ballard nous le crie haut et fort, une société sous contrôle est le terreau fertile de toutes les dérives morales, et porte en elle les germes de sa propre auto-destruction. Si vous voyez quelqu’un raser les murs de la ville pour éviter les caméras inquisitrices, ne cherchez pas, il aura lu Ballard.
Trad. Robert Louit
Ed. Tristram
Coll. Souple