Chronique livre : I.G.H.

de J. G. Ballard.

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Oh nom de Dieu. Sortie toute bousculée du dernier volet de la « trilogie du béton » de ce cher Ballard. Pas de doute, c’est une grosse calotte tant le pépère va loin dans l’horreur et le glaçant, et toujours avec du fond sans fond, une capacité d’analyse du monde moderne hors norme. C’est grand.

Après avoir étudié la folie des axes dans Crash, puis le morcellement de l’espace dans L’île de béton, Ballard s’attaque à une autre symbole du monde moderne : les Immeubles de Grande Hauteur. Constructions qui cristallisent le rêve des architectes, jouets immenses et tout en un dans lesquels on dort, on consomme, on se distrait, on travaille parfois, immeubles de luxe pour bourgeois arrivés ou riches professionnels reconnus et respectés, les tours deviennent sous la plume de Ballard un véritable cauchemar.

Ce qui frappe tout d’abord c’est que Ballard commence ses histoires à partir du moment où tout bascule (c’était également le cas dans Crash et L’île de béton). Là où n’importe quel écrivain décrirait patiemment le contexte sociologique qui fait que ça dégénère, Ballard commence son roman à l’instant où l’équilibre se brise : ici, le premier chapitre se nomme « masse critique », cette masse critique, c’est le taux de remplissage maximal de l’immeuble (50 étages, 1000 appartements, 2000 habitants), et c’est le point de rupture de l’équilibre de l’édifice. On sombre donc très rapidement dans « l’anormal », et dans l’horreur, et pourtant, Ballard réussit à tenir la distance, à ne pas lâcher le morceau et à aller toujours plus loin dans l’anticipation des réactions humaines. C’est vraiment impressionnant de voir de quelle manière, il creuse son idée jusqu’au bout. Une fois atteinte cette masse critique, les habitants de la tour commencent à ne plus vouloir en sortir. D’ailleurs, à part leurs jobs (qu’ils délaissent progressivement), les habitants de la tour n’ont pas d’amis à l’extérieur. Il s’est construit dans la tour une société repliée sur elle-même et qui se croit auto-suffisante. Cette société est bourrée de codes (les familles avec enfants dans les étages inférieurs constituent la caste la plus basse du bâtiment, viennent ensuite les professions libérales aisées, et enfin tout en haut la grande bourgeoisie). La tour elle-même, son « corps » porte en elle l’essence des divisions entre ses habitants.

Les gens sont pour la plupart désignés par leur profession : untel est chirurgien, cet autre architecte, celle-là hôtesse de l’air. Etrange paradoxe qui fait que la division de la tour en secteurs séparés dépend du statut social à l’extérieur de la tour, alors que ses habitants, progressivement refusent de la quitter. Elle est considérée comme une entité vivante, parcourue par un complexe réseau de canalisations, qui va auto-générer son fonctionnement propre, revenir à un état primitif. L’augmentation de l’entropie est rapide à mesure que l’organisation sociale à l’intérieur de la tour explose. Les habitants reviennent à une sorte d’état animal. Mais pas tout à fait. Corrompus par des vies trop faciles, ce retour à un stade primitif s’en trouve dévoyé, déviant. Toutes les symboles du monde moderne sont détournés : non seulement l’hygiène disparaît, mais ils s’en délectent, certains se laissent mourir de faim, les enfants sont laissés à l’abandon… même les basiques des sociétés animales (protéger sa progéniture, trouver de quoi subvenir aux besoins élémentaires de la survie…) sont foulés aux pieds par cette énorme masse de privilégiés auto-destructeurs.

Le livre est extrêmement frontal, et digne des meilleurs films d’horreur. On imagine aisément Carpenter plonger dans son adaptation par exemple (après recherche, un réalisateur a bien fini par être attiré par IGH : Vincenzo Natali, à qui ont doit Cube. Mouais). Pas franchement optimiste le roi Ballard sur l’évolution de la société, c’est glaçant et passionnant. Et dire que la mode des grandes tours a repris du poil de la bête. Ca fout drôlement les boules.

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