de Richard Ford.
Ma métaphore centrale est toujours le franchissement d’une frontière; l’adaptation, le passage progressif d’un mode de vie inopérant à un autre, fonctionnel celui-là. Il s’agit parfois aussi d’une frontière qui, franchie, ne se repasse pas.
Après Muette d’Eric Pessan, on continue avec l’adolescence dans ce très beau roman de Richard Ford.
Cette fois-ci, il s’agit d’un jeune garçon, Dell, dont le vie et celle de sa soeur jumelle, est bouleversée par un événement familial. Leur père, Bev Parsons, le couteau sous la gorge financièrement, décide de braquer une banque avec sa femme. Amateurs, ils se font prendre rapidement. Dell atterrit au Canada chez un homme étrange, Arthur Remlinger, auquel l’adolescent, en mal d’identification s’attache rapidement.
Il y a dans ces quelques lignes quasiment toute l’histoire racontée dans ces 500 pages compactes. Mais on comprend très vite que ce n’est pas tant l’histoire qui intéresse vraiment Richard Ford, que son jeune héros, sa façon d’encaisser les choses, de les assimiler et de poursuivre sa route malgré tout. L’auteur prend un plaisir extrême à faire naître cet adolescent et la galerie de magnifiques personnages qui gravitent autour de lui. Tanguy Viel, qui a si bien défini ce qu’était un roman américain dans La disparition de Jim Sullivan, doit se frotter les mains. Il y a dans Canada tout ce qu’on aime dans la littérature américaine : des personnages torturés, des grands espaces, des dilemmes, des erreurs, un apprentissage de la vie, des scènes cinématographiques à souhait, des images fortes.
L’ensemble est, il faut le dire, parfois un peu longuet, Richard Ford semble vouloir étirer le temps, retarder au maximum l’arrivée aux points-clés de son récit. Malgré tout, le livre est passionnant, baladant le lecteur au gré des aventures et questionnements de Dell.
Alors, si la signifiance des choses nous pèse, elle ne fait rien de plus. Le sens en est quasi absent.
C’est un Dell vieillissant qui raconte cette histoire et replonge dans sa drôle d’adolescence. Du regard du narrateur, et par déduction de l’auteur, émane une lumière, une bienveillance, une sagesse, une paix incroyable. Il essaie de raconter son histoire, de faire d’éléments éclatés un récit, de montrer comment tout cela l’a construit, sans pour autant essayer d’y chercher un sens caché qui n’existe pas et ne ferait que l’entraver dans la construction de son existence. J’aime beaucoup ça.
Il y a bien entendu dans Canada toute une réflexion sur la notion de frontière, non seulement la frontière géographique que franchit Dell, mais également tous ces événements qui font basculer l’individu dans une nouvelle étape de sa vie, souvent de manière définitive, ces points de rupture auxquels il faut avoir la force de ne pas s’arrêter. L’ombre de Détroit plane sur le roman, ville de naissance de Dell, symbole en son temps de la toute puissance américaine et qui elle aussi, aujourd’hui, a également basculé dans un processus de délitement et n’a pas encore, ou alors de manière discrète, réussi à retrouver son chemin.
Richard Ford, lui, a trouvé son chemin et c’est très beau.
Ed. Editions de l’Olivier
Trad. Josée Kamoun
Une réflexion sur « Chronique livre : Canada »