Chronique film : Le grand soir

de Gustave Kervern et Benoît Delépine.

Vu après l’inexistant Cosmopolis, c’est peu dire que Le grand soir fait du bien. C’est bien simple, je pense qu’il y a plus de cinéma dans le premier plan du film du duo Kervern/Delépine, que dans les deux derniers films du maître Cronenberg. Certes, avec Le grand soir, on est assez loin du magnifique Mammuth qui m’avait profondément atteinte au plus profond de mes tripes, mais la sympathie, la tendresse qui émanent de ce film réussit au final à emporter l’adhésion.

Un famille, les parents gèrent un restaurant de patates dans une zone commerciale comme il en existe maintenant dans toutes les villes, le premier des deux fils est vendeur dans un magasin de matelas dans la même ZAC, le second, Not, punk à chien. Le quatuor est dysfonctionnel, le père mutique, la mère barrée, et les deux fils comme deux opposés dans la grande échelle de la normalité sociale. L’imperméabilité entre leurs deux univers s’effondre quand le chômage frappe.

Kervern et Delépine s’empare de cette zone commerciale, d’une zone pavillonaire, de petits bouts de campagne, et en font leur terrain de jeu. Il y a quelque chose du western dans leur façon de filmer la démarche lourde, ancrée dans le sol, de Not. Et dans ce western moderne, les “méchants” poussent des caddies remplis de courses, et courent s’enfermer bien vite sous la protection de leur monospace lorsqu’on leur adresse la parole. Il est bien sûr assez réjouissant de voir ces lieux de “sécurité”, symboles d’une société bien protégée derrière sa clôture, profanés par l’esprit punk. Mais, tout comme dans Mammuth, c’est moins par le côté potache et provoc’ (parfois assez bancal) que par le côté sensible que le film touche quelque chose de très juste, très beau, très pur. Parce qu’il met en scène des personnages qu’on préfère ne pas voir, et qu’il nous donne à les voir comme des personnes et pas seulement comme des personnages. Et puis aussi parce que le film leur donne la parole, même si celle-ci est plutôt difficile. Et c’est dans une scène presque à la fin du film, durant laquelle Not prend le micro dans un supermarché pour convoquer les gens à une grande révolte perdue d’avance, qu’on peut vraiment comprendre toute la poésie, la justesse de la mise en scène des deux réalisateurs.

Alors certes, le message est sans doute un peu naïf, la provoc’ un peu facile, les punks du film sans doute un peu trop gentils. Mais le grand mérite du cinéma de Gustave Kervern et Benoît Delépine est de mettre sur le devant de la scène, sans glisser sur le terrain du cinéma social, des personnages autres, ou plutôt des personnes autres, différentes, pas dans les clous. Des personnes qui sont ce qu’elles sont, sans essayer de se conformer à quoi que ce soit, mais qui, malgré tout subissent les pressions et caprices de la société et de l’économie. Produits des dérives du système volontaires ou involontaires, la question se pose.

Il n’en reste pas moins que ce cinéma de l’altérité, brut et touchant, est infiniment rare et précieux par les temps qui courent. J’aime beaucoup ce cinéma.

Chronique film : Mammuth

de Gustave Kervern et Benoît Delépine.

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Prouve que t’es un homme : clique.

Bienheureuse surprise que ce Mammuth dont je n’attendais absolument rien : pas du tout convaincue par le précédent film du duo grolandais malgré la présence de Yolande Moreau (Louise-Michel), pas fanatique du Depardieu vieillissant (médiocre Bellamy chabrolien), donc pas bavante d’impatience face à Mammuth. Mais Kervern et Delépine affine leur univers dans ce film, mêlant avec beaucoup de talent social et poésie, cinéma populaire et pointu, documentaire et art brut.

Depardieu joue Serge Pilardosse, ouvrier dans un abattoir à cochons et candidat à la retraite. Le personnage est physiquement une réussite : lourd, pesant, proche de l’homme des cavernes, il porte bien son surnom (Mammuth, le nom de son antique moto). On est un peu en terrain connu au début du film, présentant Serge dans son milieu professionnel, puis chez lui, dans la veine sociale de Louise-Michel et de Groland. Il manque à Serge des justificatifs pour pouvoir prendre sa retraite, il part donc à la recherche de ses papelards. On se dit qu’on va assister à la quête d’un homme sim

ple pour pouvoir assurer sa survie. Mais le film va bien au-delà de cet aspect social, transformant la quête de Mammuth en un véritable retour dans son passé, sa moto faisant office de machine à voyager dans le temps.

Et le film se met à naviguer entre naturalisme, poésie et surréalisme. La mise en scène de Kervern et Delépine se fait beaucoup plus audacieuse, attentive à ses personnages. L’amour perdu de Mammuth s’incruste de temps en temps à ses côtés. Et ce personnage, traité de con par la plupart, et adoré par certains (son amour perdu, sa nièce -incroyable Miss Ming-), devient d’un coup extrêmement émouvant, riche d’un passé insoupçonné derrière son apparence de brute, riche de sentiments qu’il est incapable d’exprimer parce que figé émotionnellement dans un passé lointain mais pas digéré (la mort de son amour perdu dans un accident de la route).

Le film dégage une espèce de romantisme noir désespéré assez terrassant, peuplé de personnages à la solitude immense (en voix-off on comprend que c’est en achetant un couteau pour mettre fin à ses jours qu’il rencontre sa femme). Il y a une sorte d’évidence sous la caméra de Kervern et Delépine à faire cohabiter les genres, les gens, les cultures qui parvient à rendre les frontières transparentes, et c’est très bien. On regrettera sans doute un dernier quart de film un peu relâché au niveau du rythme (du coup sans doute un chouïa trop contemplatif), mais l’ensemble est beau et émouvant, donnant une place magnifique aux gens qui sont hors des marges.

Un beau moment, vraiment.

Chronique film : Louise-Michel

de Benoît Delépine et Gustave Kervern.


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Louise-Michel fait partie de ces films qu’il est de mauvais ton de ne pas aimer. C’est ballot. Si je n’avais pas beaucoup de tendresse pour Yolande Moreau, Louise-Michel subirait un sort à peu près identique à Juno ou Home, en moins pire quand même, mais pas loin. Il fait partie de ces films « comédies décalées et grinçantes sur fond de crise social ». Malheureusement ce genre commence à être usé jusqu’à la corde et Louise-Michel ne renouvelle pas grand chose. Pas très drôle, pas très méchant, on a vraiment du mal à adhérer à cette histoire qui commence pourtant pas mal, avec l’entubage de dizaines d’ouvrières du textile par leur salaud de patron.

Le film aurait été bien meilleur en exploitant sa veine de poésie absurde (Moreau et Lanners tout crados qui dansent n’importe commun dans une somptueuse villa), ou dans un registre de « violence sociale froide » (long plan fixe, caméra en plongée, lointaine, sur les ouvrières qui se dispersent lentement dans une usine vide), que dans ses nombreux et gros gags qui tâchent (affligeante scène d’introduction notamment). Il ne suffit pas de rire des mourants pour être trash, la scène de multi-cassage de gueule d’une instit unijambiste dans Rumba est largement plus subversive et grinçante, ainsi que quasi n’importe lequel faux-reportage de Groland.

On ne peut pourtant que saluer l’intention de sécheresse de la mise en scène, toute en plans fixes, mais ça reste bien maladroit. Les compères se regardent un peu filmer, tout en se tapant sur le ventre en se félicitant d’être si drôles. Ca ne fonctionne pas, le scénario est par ailleurs trop brouillon, perd son chemin (la vengeance de petites gens contre le patronnat), reste dans la surenchère, et la plupart des idées apparaissent superflues. Bref, Louise-Michel n’est pas une grande réussite malgré la tendresse qu’on peut avoir pour les auteurs et les acteurs, et la jolie interprétation monolithique de Yolande Moreau ne suffit pas à maintenir en éveil.

On peut également s’étonner, dans ce film à tendance anar, de ce retour à la normale (et à la morale?) finale : les deux compères ayant dû changer de sexe pour pouvoir s’insérer dans le monde du travail, retrouvent leurs sexes respectifs et donnent naissance à un marmot. Tout est bien rentré dans l’ordre, et finalement, rien n’a vraiment pété. Snif.