Chronique livre : Et si c’était niais

de Pascal Fioretto.


C’est si simple de tomber dans les clichés. Clique.

Une bonne crise de rire à la lecture de ce bouquin dans lequel Fioretto, tout en bâtissant une histoire policière (ressemblant quelque peu à une mise en abyme de sa condition de pasticheur) pastiche 11 des écrivains français les plus vendus, et par conséquent pas les meilleurs (oups, j’ai dit ça moi ?).

Qu’on ait lu ou pas les auteurs pastichés, au final, a peu d’importance : Fioretto a un savoir-faire suffisant pour trouver le juste milieu entre grosse parodie et reproduction carbone du style de l’auteur pastiché. On admire ce talent, certains des auteurs étant au naturel tellement « énormes » qu’il a dû être très difficile de ne pas tomber dans l’excès. Et j’avoue que plusieurs fois, je me suis « laissée prendre », des idées telles que « oh, là, Notomb, elle s’auto-caricature »… »ah ben non, c’est vrai c’est un pastiche ». Et ces pastiches sont un merveilleux révélateur des ficelles stylistiques des (f)auteurs.

Le pastiche constitue en ça une excellente critique littéraire, d’autant plus pertinente qu’il est rare de voir les critiques se pencher un tantinet sur la forme, le fond prenant constamment le pas sur le style. Alors forcément, en exacerbant les mécanismes de la forme, Fioretto révèle la personnalité des écri-vains, et certains ont dû grincer des dents, n’apparaissant pas sous leur meilleur jour. L’ensemble reste cependant très drôle, et n’empêchera personne de se gaver de Nothomb, ou Gavalda. Un bon trip.

Chronique livre : Un homme

de Philip Roth.


Pas mal le Puddleur non ? Pour mieux apprécier Constantin Meunier, clique.

Court roman de Roth, un homme ne fout pas spécialement la pêche. Il commence sobrement par l’enterrement de son héros. Puis flash-back, sa vie se déroule de manière plus ou moins chronologique, suivant ses amours, et surtout ses séjours à l’hôpital.

Roth a beau tenter de mettre une distance entre lui et son personnage, on ne peut s’empêcher de voir dans ce texte une sorte de testament. L’homme revient sur sa vie, ses erreurs (de bonne foi souvent, parfois inexcusables), et surtout sa peur de la mort. C’est ça le plus émouvant dans le bouquin : on sent son auteur terrorisé par la grande faucheuse. Ce livre semble un exorcisme de tout ce qu’il redoute, mort, solitude, perte de l’envie, perte de la vie sans perte de l’envie…

Malgré ce côté humain assez poignant, force est de constater que le livre sent un peu le pépé qui ressasse. Le personnage est relativement lisse, en a conscience et rumine sévère. Une impression de franche décrépitude sans espoir s’en dégage, mais sans rage, sans étincelle, sans rébellion. Bref, ça reste très sage et un peu plat. Dommage, il y avait un beau sujet à mettre en parallèle l’évolution corporelle de cet homme et sa vie affective.

Allez, M. Roth, vous n’êtes pas encore mort. Un peu de mordant que diable.

Chronique livre : Le passage de la nuit

d’Haruki Murakami.


Engouffre-toi dans la nuit, un clic sur la voiture en panne.

Bon, ça n’est pas pour me faire une thématique Murakami, après l’inégal Saules aveugles, femme endormie, mais Le passage de la nuit m’est tombé sous les doigts comme je posais le précédent. A peine un quart de page m’a suffi pour savoir que je ne le lâcherai pas facilement. J’avais raison. Le passage de la nuit est un roman résolument moderne qui lorgne franchement du côté du cinéma et de la scène tout en restant de la grande littérature. Beaucoup plus innovant que Saules aveugles, femme endormie au niveau de la forme et du contenu, le livre constitue une réelle évolution dans le style du maître, beaucoup plus visuelle, plus « mise en scène », débarrassée de ce côté un peu sucré et faussement candide qui m’agace parfois chez Murakami.

On est plongé dans une nuit de la vie de deux sœurs japonaises que tout oppose. Eri, belle jeune femme mannequin à qui tout réussit en apparence, dort d’un sommeil un peu trop profond, pendant que Mari, étudiante effacée mais laborieuse, erre de cafés en snacks pour fuir la nuit sous le toit familial. Ce qui est très original dans ce dispositif, c’est l’utilisation d’un narrateur-caméra, toujours en dehors des scènes, mais qui, dans le même temps, a la possibilité de se déplacer, de multiplier les points de vues. L’effet dynamique est extraordinaire tant on a l’impression d’embrasser l’immensité de la ville et l’intimité de quelques uns de ses habitants. Bref, on est dans un livre en 4 dimensions (x, y, z, t), dans lequel on navigue, d’interrogations en surprises et moments de calme.

Dans l’histoire d’Eri, Murakami a créé une véritable « installation » vidéo, dans le sens théâtral du terme, intrigante, intelligente, angoissante. Rien n’est vraiment explicite, mais le mystère principal reste Eri et ce qui lui est arrivé. Qu’est ce qui a poussé cette Blanche-Neige des temps modernes à chercher refuge dans le sommeil ? Que vient faire, dans la télévision éteinte, cet homme mystérieux mais dont on pense deviner l’identité ? Eri fuit-elle un homme ? Cet homme ? Ce qui intéresse Murakami, au fond, c’est de briser la surface des choses, des êtres, mais sans en dévoiler les tripes, c’est de révéler les failles sans les explorer, sans les expliquer. Le roman en acquiert une universalité totale, permettant du lecteur la projection dans ces névroses, ces angoisses, ces interrogations.

Comme dans toutes les productions de Murakami, j’ai toujours un peu de mal avec ces dialogues, dont on n’arrive pas à discerner si l’artificialité provient de la traduction, ou constitue le propre style de l’auteur. Ces dialogues, très simples cependant, ne coulent pas en bouche, heurtent le palais, et pourtant sont reconnaissables à 200 000 km. Un peu comme un chopiniste qui essaierait de s’attaquer à du Liszt, aux accords et enchaînements défiant les lois de l’anatomie (je me comprends).

Malgré ces vraies-fausses maladresses de dialogues, La passage de la nuit est un objet littéraire absolument unique et fascinant. On aimerait bien que Murakami continue à explorer cette voie, plutôt que d’appliquer ses recettes magiques à des compilations de nouvelles tiédes. Et surtout, j’attends avec impatience qu’un metteur en scène de talent s’empare de ce merveilleux texte pour prolonger le mystère.

Chronique livre : La présence

de Jean-Pierre Ostende.


Un peu plus de présence, un clic sur la photo.

Voilà un machin assez curieux, qui se lit avec plaisir mais sans énorme passion non plus. Bergman, admirateur professionnel de métier, est envoyé par sa boîte, l’Explorateur Club, dans un château campagnard. Il doit effectuer une étude afin de transformer les lieux en un parc d’attraction. Mais peu à peu, les lieux, l’atmosphère, les histoires passées, la solitude semblent brouiller sa perception des choses, et le monde perd de sa consistance. Les frontières entre passé et présent deviennent poreuses, les objets acquièrent une présence particulière.

Roman poétique et absurde, La présence interroge. Des éléments éparses, distillés au compte-gouttes, créent un univers bancal, plein de courants d’air. Des nuées de mouches mortes, du lait renversé au sol, le journal intime d’une femme morte depuis des lustres, un jardin des horreurs à moitié détruit. L’histoire pourrait être morbide, elle est plutôt douce et brumeuse. On se pose des questions tout en étant un peu anesthésié, et en se laissant porter gentiment. C’est un peu ça le problème. Comme le héros, qui vit une espèce d’identification avec une des anciennes propriétaires du château bienheureuse, on se met à accepter tous ces éléments incongrus avec une certaine indifférence.

Le roman est pourtant riche et intelligent, avec des formules brillantes, et de vraies choses à dire (à la fin, on s’aperçoit qu’on est plutôt dans un futur proche que dans le présent, et que ce futur est assez glaçant), mais tout cela, finalement passe au second plan. On pense souvent à Murakami , bien sûr, en moins tenu, plus vaporeux. Pas entièrement convaincue, mais je serai curieuse de lire d’autres productions du gars.

On retiendra cependant cette phrase, empruntée à Hubert Lucot : « Pour vivre, survivre, il faut s’en foutre un peu. » Moi, perso, j’ai du mal.

Chronique livre : Madame, Monsieur, bonsoir…

de Patrick Le Bel (?).

Un peu curieux cet objet. Que la citadelle de la première chaîne francophone soit pourrie jusqu’à la moëlle, vendue à l’audimat, à Sarkozy et au fric, ça, on savait déjà, du moins on s’en doutait fortement. On en apprend par contre un peu plus sur les méthodes-maison, qui permettent de mettre de l’huile dans les rouages, et scotcher l’ensemble en un tout proche de l’explosion, mais qui n’explosera jamais. C’est sûr que quand on paye à prix d’or les secrétaires à ne rien branler, et les journalistes mis au placard à fermer leur gueule, ça incite à la boucler. L’argent, comme facteur de cohésion sociale. Je vous assure que parfois on regrette d’avoir fait des études.

Le livre est un patchwork d’anecdotes éparses, pas toujours bien agencées, bien articulées. J’avoue n’avoir pas tout suivi, ne connaissant pas les gens dont il s’agit, et n’ayant pas regarder le journal de TF1 depuis environ 20 ans. Du coup certaines scènes ont fait ploc dans ma tête. C’est mal fichu, et c’est en ça que c’est intéressant, car il y a une forme d’urgence derrière tout ça, d’exutoire maladroit. On aurait pu prendre ça pour un pétard mouillé, un canular, mais heureusement les réactions incroyables de la maison Bouygues nous prouvent fondamentalement le contraire (je vous conseille la lecture de l’article de Rue 89 sur le sujet). Leur indifférence aurait été un beau démenti, leur agitation ne fait qu’accroître les charges. Il y a quelque chose de pourri au royaume de l’audimat.