Chronique film : Un conte de Noël

d’Arnaud Desplechin.


Proches, ils marchent côte à côte sans jamais se rencontrer.
Plus grand, un clic sur l’image.

Voilà voilà, bon… J’ai vu le nouveau film de Desplechin. Je sais pas trop quoi en dire, alors je vais vous raconter l’histoire en quelques phrases. Junon et Abel ont eu 4 enfants. Le premier est mort d’une leucémie quand il était petit. La famille s’est construit de manière bancale là-dessus, multipliant les indifférences et rancoeurs, ouvertement, jusqu’au bannissement d’un frère par sa soeur. Lorsque Junon tombe elle aussi malade, parents, enfants, petits-enfants et cousin se rassemblent une dernière fois, à l’occasion de Noël, dans la maison de famille à Roubaix.

Voilà. Ça, c’est fait.

Alors quoi donc vous dire à propos de ce film ? C’est brillamment intelligent, superbement dialogué, magnifiquement filmé, incroyablement monté, parfaitement joué. Oui oui. C’est tout ça. Certains écriront certainement des thèses entières et pertinentes sur ce film, sur la complexité des personnages et des interactions entre eux, la cruauté et la difficulté des rapports familiaux, la résilience … mais je ne suis jamais vraiment rentrée dans ce film. Une impression de déjà-vu m’a poursuivi pendant les 2h30 du long métrage. Un Rois et Reines moins frontal, plus assagi, dans lequel on fait passer les horreurs familiales avec une bonne dose d’humour. Côté distribution, Amalric reprend son rôle d’Ismaël en cabotinant de trop, Deneuve commence enfin à avoir quelques rides, Chiara Mastroinanni est belle à tomber, et Poupaud reste sagement en retrait… c’est de la haute voltige sans aucun doute, mais il y a un côté policé à l’ensemble qui empêche à l’émotion de naître, comme si Desplechin commençait à réussir à prendre du recul sur ses blessures, et à les traiter avec trop de distance et de réflexion. Il y avait dans Rois et Reines une espèce de matériau brut, de douleur insupportable et directe, le courage de montrer des personnages monstrueux, sans volonté de plaire. Ici, Desplechin cherche à nous faire aimer les personnages malgré leur monstruosité, il y a une sorte de résignation. Ils sont infects, mais après tout, ce sont des êtres humains, imparfaits et attachants. Il paraît que ça s’appelle la maturité…

Seule Anne Consigny réussit à faire exister un personnage extrême, sous des dehors de mère poule fragile. Elle prend des décisions brutales qui mine de rien l’excluent plus elle-même, que son frère. C’est un bloc de solitude et de tristesse bouleversant qui essaie juste de trouver des solutions pour se protéger, et survivre. Bref, à quelques éclaircies près, je suis passée à côté. A revoir, à tête reposée et sans migraine.

Chronique film : Rois et reines

d’Arnaud Desplechin.

En préambule je voulais hurler ma haine contre les gens qui papotent, textotent et téléphonent pendant les séances de cinéma. Ça, c’est fait.

 

Loupé à sa sortie, c’est avec bonheur que j’ai suivi cette séance de rattrapage, en présence de Jean Douchet et du réalisateur himself. Waaaaaah. Rois et reines est un film absolument magnifique, intelligent, émouvant, triturant la tripe et la tête de belle manière.

Deux histoires nous sont contées, diamétralement opposées dans leur forme (drame/burlesque), intimement liées par leur fond. Nora (Emmanuelle Devos, parfaite), trentenaire, une fois veuve, une fois mère, une fois séparée, et déjà vieille, s’apprête à épouser un riche homme d’affaire tandis que son père, écrivain, figure imposante, se meure. Ismaël (Mathieu Almaric, jamais aussi craquant que quand il joue les dingues), ex de Nora, est interné à la demande d’un tiers, ce qui lui permet d’échapper au fisc. Il y a quelque chose d’assez monstrueux dans le personnage de Nora, qui subit tous les malheurs de la terre, sans broncher, et en ressort aussi nette qu’auparavant. Cette capacité à tout surmonter, sans émotions excessives, fait froid dans le dos. Force de vie ou superficialité ? Ismaël en est le contrepoint parfait, sympathique, en permanente remise en question, border line, il se noie dans un verre d’eau, fais chier tout le monde. Entre les deux, il y a Elias, le fils de Nora, très attaché à Ismaël, qui l’a élevé.

Il est profondément question de filiation dans Rois et reines : l’amour-haine excessif et tabou d’un père pour sa fille, Elias en fil conducteur du film, et l’adoption. Les rapports sont troubles, complexes, parfois immoraux. Il serait vain de tenter de raconter l’ensemble du film tant sa richesse est infinie (surtout, je n’arrive pas à écrire ce soir).  Le scénario est une merveille d’écriture, avec des dialogues millimétrés, d’une finesse et d’une intelligence absolue. La prise de son est excellente, permettant à Amalric de murmurer (et encore tout juste) certaines de ses répliques. C’est un film brutal, noir, très drôle, et très accessible. La mise en scène, dynamique, moderne, possède un incroyable sens de l’ellipse. Pourtant dans certaines scènes, certains flash-back par exemple, dans le jeu des acteurs, on perçoit une théâtralité qui permet de ressentir tout le tragique, ou toute la farce de cette histoire.

Les fondations de Rois et reines sont très profondes, et donnent naissance à un objet filmique tout ce qu’il y a de plus innovant.