Chronique livre : Rencontres avec Samuel Beckett

de Charles Juliet.

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Moins consistant que Rencontres avec Bram Van Velde, le livre de Juliet n’en est pas moins intéressant. Rencontres avec Beckett sans doute moins fréquentes qu’avec le peintre, moins intimes (elles se déroulent souvent dans des cafés ou restaurants), Juliet semble ne pas réussir à extirper de l’écrivain ce qu’il avait réussi à tirer de Van Velde. Le personnage est sans doute trop insaisissable, trop impressionnant, trop rétif à toute intellectualisation de son oeuvre et de sa vie pour rendre ces rendez-vous totalement satisfaisants. Juliet comble donc les vides, décrit beaucoup plus les situations, et pourquoi elles n’ont pas toujours été fructueuses.

L’homme des mots échappe aux mots, contrairement à l’homme de peinture. Cependant, le livre reste très intéressant, beaucoup plus lumineux que le précédent. Beckett semble avoir franchi un pallier supplémentaire par rapport à Van Velde, réussit à dépasser la fracture primordiale (« J’ai toujours eu la sensation qu’il y avait en moi un être assassiné. »), pour faire naître de la noirceur la lumière. Pourtant ses paroles sont sans espoir : il n’y a pas de solution, « rien n’est dicible ». Mais il se dégage de cet homme, de son refus de la logique, de sa quête de vie (« On fait cela pour pouvoir respirer »), une sorte de non-prise au sérieux, de drôlerie ravageuse (quand il décrit sa tentative de pièce d’une minute, terrrrrible), de générosité presque, qui sont salutaires.

Un joli moment. Et de toutes façons, il faut lire Beckett, on ne le clamera jamais assez.

Chronique livre : Rencontres avec Bram Van Velde

de Charles Juliet.

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« J’ai toujours tâtonné. » Et toi ?
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Bon si on a envie d’une bonne tranche de rire, il faut passer son chemin : on n’est clairement pas du côté de la force Bozo avec ces rencontres. Bram Van Velde n’est pas quelqu’un de léger, et Juliet ne fait rien pour adoucir le personnage. La majorité du livre est consacrée aux sentences du peintre, et lui qui se clame incapable avec les mots les manie pourtant fort bien : phrases courtes, expéditives, et pourtant riches, jets spontanés et droits, et pourtant probablement mûrement réfléchis.

Juliet a strictement respecté le caractère de l’artiste : de lui, de sa vie privée, on saura finalement peu de choses. Ce qui compte pour Van Velde, ce qui dirige sa vie, c’est l’absolue nécessité que constitue la peinture. Elle n’a jamais été un choix, mais une obligation qui s’est imposée à lui. Non pas à but alimentaire (il a vécu des dizaines d’années dans une misère noire, et considère qu’on ne peut être un véritable artiste que quand on a touché le fond), mais à la fois comme finalité et moyen de poursuivre sa vie.

On est forcément fasciné par cet homme sans concession aucune, absolutiste en ce qui concerne ses convictions profondes, mais sans prosélytisme. C’est sans aucun doute un être à part, fondamentalement différent du troupeau.  La solitude que cela engendre, il en a besoin pour créer, et pourtant il la subit, elle lui fait peur. Le livre retranscrit fidèlement toutes les rencontres entre Juliet et Van Velde, et malgré les nombreuses redondances dans les propos du peintre (quoi qu’en dise Juliet), on reste accroché aux paroles du peintre. Juliet sait se faire discret, et trouve la bonne distance pour raconter ces entrevues.

Quelques morceaux choisis :

« Tous ces gens qui se croient bons, généreux, intelligents et qui ne savent pas qu’ils sont morts. » « Dès qu’ils le peuvent, la plupart des gens se mettent sur une piste et ne la quittent plus. Pour moi, je n’ai jamais eu de piste. J’ai toujours tâtonné. » « Il faut savoir ne pas faire carrière. » « Le plus difficile, c’est de ne pas vouloir« .

Et puis la seule incursion du léger dans le livre :

« Se retournant vers moi, et avec l’enjouement d’un enfant tout excité : – Cheval… cheval… cheval…, ne cessait-il de répéter, en me le désignant du doigt. »

Je me demande si la réaction aurait été identique à la vue d’un poney…