Chronique film : Nymphomaniac : Volumes 1 & 2

de Lars Von Trier

nymphomaniac-800J’ai beau tourner et retourner ce film dans ma tête, essayer d’analyser ses détails depuis des semaines, je vous avoue n’avoir pas grand chose à en dire. Nymphomaniac a glissé sur moi sans grand dommage, un peu comme un micropénis dans l’intimité de son héroïne. Continuer la lecture de Chronique film : Nymphomaniac : Volumes 1 & 2

Chronique film : Melancholia

de Lars Von Trier.

Lars Von Trier ne va pas bien, on s’en doutait un peu (je sais, je l’ai déjà dit pour Antichrist). Mais dans Melancholia il nous l’assène haut et fort, nous l’expose avec lyrisme, puissance et dévastation. Il choisit pour cela de s’incarner dans deux soeurs, la blonde et lumineuse Justine, la brune et sérieuse Claire.

Après un prologue esthétiquement wagnérien et sublime, dans lequel des planètes se tournent autour avant de se percuter, et dont on ne sait trop s’il est ridicule ou grandiose, Lars Von Trier se concentre sur l’histoire de ces deux femmes. Unité de lieu, le film se déroule entièrement dans la magnifique propriété, accompagnée de son golf 18 trous, du richissime mari de Claire. Dans la première partie nous suivons principalement Justine. Elle se marie en grande pompe avec un jeune homme bien sous tous rapports. Claire a organisé la fête du mariage avec sérieux et rigueur. Mais Justine et son mari sont en retard, la faute à cette limousine trop longue qui n’arrive pas à franchir les virages du chemin d’accés à la propriété. Dans cette introduction joyeuse, se dessine déjà le drame qui se jouera plus tard, l’incapacité de Justine (que son neveu appelle d’ailleurs Aunt Steelbreaker, Briseuse d’acier) à arriver jusqu’au bout de ce qu’elle essaie d’entreprendre. Pourtant à ce moment là, on ne se doute de rien, le sourire de Justine camoufle parfaitement la maladie qui la ronge. Ce n’est qu’au cours du repas de mariage, après les interventions d’un père inconséquent qu’on croirait tout droit sorti d’un roman russe, et d’une mère intransigeante et provocatrice que le spectateur comprend que derrière la joie de façade, se déroule un drame intime en Justine, et que ce drame intime atteint également ses proches, qui préfèrent soit fuir (le père), soit mettre des barrières mentales avec Justine (la mère), soit essayer de ramener Justine à la raison (la soeur).

Mais on ne peut pas ramener Justine à la raison, et on ne peut pas fuir son mal, comme elle-même ne peut y échapper. Ce mal, c’est la mélancolie. Pas la mélancolie romantique, le soleil noir de De Nerval, ce sentiment d’une tristesse vague et douce, dans laquelle on se complaît, et qui favorise la rêverie désenchantée et la méditation. Mais la mélancolie dépressive et suicidaire, si profonde, et si dévastatrice que rien ne peut la soulager, et dont rien ne peut freiner l’avancée inéluctable. C’est cet état morbide caractérisé par un abattement physique et moral complet, une profonde tristesse, un pessimisme généralisé, accompagné d’idées délirantes d’autoaccusation et de suicide. Mais en fait d’idées délirantes, le mal de Justine se matérialise sous les traits de Melancholia, une planète errante, “en transit”, dont la trajectoire pourrait bien croiser celle de la Terre.

Démarre alors la seconde partie du film, baptisée Claire, et durant laquelle, pendant que Justine se remet des événements qui se sont déroulés pendant sa fête de mariage, Claire voit s’effondrer le monde qu’elle a pris tant de peine à construire. L’arrivée de la planète n’est pas une surprise pour la mélancolique Justine, dont le mal n’est sans doute qu’une incapacité à se bercer d’illusions, à filtrer le réel pour le rendre moins cruel. Plus elle sent la fin approcher, plus elle semble sereine. C’est la fin de ses tourments, mais aussi la fin des tourments du monde, et de la vie. Pour Claire au contraire, tout s’effondre. Elle qui a toujours tout contrôlé, pour se bâtir une existence parfaite, et pour protéger son enfant, se retrouve dans l’incapacité de maîtriser quoi que ce soit.

On est, il faut bien l’avouer, scotché par l’énormité de la métaphore : une planète baptisée du même nom que la maladie dont souffre Justine, et qui va matérialiser les pensées les plus sombres de la jeune femme. Mais cette énormité est également renversante de puissance. Tout comme les sentiments de Justine, l’arrivée de la planète est incontrôlable, et le mal se propage à tous et toutes. La fin (une scène colossale) est bien sûr inéluctable et généralisée, la destruction totale non seulement de la planète mais également et surtout du concept même de la vie. Je ne sais pas si quelqu’un a déjà été aussi loin dans le nihilisme et la pulsion de mort que Von Trier ose le faire dans Melancholia.

Le paradoxe du film est qu’il est sans doute à la fois le plus facilement lisible de Von Trier, maître absolu de l’entourloupe cinématographique, et pourtant le plus personnel et sincère. Pas étonnant qu’aujourd’hui le réalisateur soit à deux doigts de renier son film, qu’il clame haut et fort qu’un autre aurait tout aussi bien pu le réaliser. C’est bien entendu totalement faux. Personne d’autre que lui n’est capable de dévoiler de la sorte l’insondable noirceur de son psychisme, la profonde souffrance qui le consume.

Le fait que Melancholia ait été présenté en même temps que The Tree of Life à Cannes, est une incroyable coïncidence, tant on a l’impression de voir deux conceptions diamétralement opposées de la vie. Terrence Malick et Lars Von Trier utilisent pourtant des symboliques et des processus quasiment similaires, mais dans des buts fondamentalement différents. Là où les planètes de Malick avaient la rotondité de ventres de femmes enceintes et présageaient de l’espoir de la vie, les astres de Von Trier se percutent dans un cataclysme grandiose, mettant un point final à tout espoir de vie. Là où Malick cherche la rédemption de l’homme dans un principe vital né de la communion entre l’homme, la nature et les éléments, Von Trier voit la destruction de ce principe par les astres même qui ont permis sa création. Mais au-delà de ces divergences de fond, les deux hommes partagent une vision du cinéma comparable, mêlant lyrisme et intimité, et surtout une capacité propre aux plus grands, la capacité à révéler les choses en seulement quelques secondes de film, par le pouvoir absolu de l’image et de la mise en scène. Et dans les deux films, c’est une scène de repas qui est le catalyseur du drame. Dans The Tree of life, après un prologue paradisiaque, les fêlures sautent aux yeux du spectateur en une fraction de seconde : l’autoritarisme du père, la souffrance des enfants, la schizophrénie d’une éducation incohérente. Dans Melancholia, le processus est identique, et ce sont les failles de Justine qui sont révélées.

On peut également souligner le rôle fondamental de l’image dans Melancholia, comme il l’était également dans Super 8. Mais quand J. J. Abrams utilise les images pour dénouer les fils de son intrigue, et en fait un moteur pour la renaissance de son héros, Lars Von trier les utilise comme éléments d’un délire obsessionnel et morbide, comme représentations figées et prophétiques d’une destruction inéluctable.

Et puis il y a cette lumière absolument incroyable, qui a séduit, au gram dam du réalisateur même ses plus fervents détracteurs. Tout le film est baigné d’une noirceur insondable, que vient juste souligner une lumière de fin du monde indescriptible, à la fois chaude et froide, verdâtre et mordorée. C’est un éblouissement visuel représentant une lutte entre la vie et la mort, à l’image de la chaude lune et de la glaciale Melancholia qui cohabitent l’espace de quelques heures dans le ciel nocturne.

Sublime et désespéré, grandiloquent et sensible, Melancholia est un film paradoxal, inquiétant, ravagé, agaçant, qui hurle à la face du monde l’infinie souffrance de vivre, cette souffrance qu’il est de bon ton de taire et de camoufler pour sauver les apparences. Mais les apparences, Lars Von Trier n’en a jamais eu rien à faire, et il le prouve encore ici, dans son film sans doute le plus plastique, mais aussi le plus personnel.

Chronique film : Antichrist

de Lars Von Trier.


Tu doutes, je parie. Clique.

C’est marrant comme parfois, tout le monde (ou presque) a tort. Honnêtement, j’ai du mal à comprendre l’acharnement critique contre ce film : c’était très drôle d’entendre les protagonistes du Masque et la plume tourner en ridicule le film, mais franchement, ils étaient complètement à côté de la plaque. Antichrist est un objet fascinant, qui vous happe quasiment dès le début pour ne rien lâcher. Effectivement, le prologue, très lent, d’un noir et blanc léché, sur musique classique, est un peu clippesque et ne convainc pas tout à fait. Mais ce bémol passé, difficile de se détacher de l’écran, et même les 3 connards malpolis et ricanants devant moi, n’ont pas réussi à me déconcentrer de ce spectacle.

Nul doute que Lars Von Trier va mal. Et comme c’est un immense metteur en scène, au lieu de rester à se torturer dans son coin, il choisit pour exorciser ses démons de réaliser un film. Et quoi de plus logique pour exorciser ses phobies que de choisir de réaliser un film d’horreur ? Parce qu’en fait, Antichrist, c’est ça : un immense film d’horreur, balayant tous les codes du genre. C’est sans doute ça d’ailleurs qu’on reproche à Trier : un metteur en scène reconnu et sérieux n’a plus le droit, passé un certain stade de notoriété, de réaliser un film d’horreur. Antichrist c’est une plongée entre Bergman, Coraline, Bug et Evil Dead. Trier retourne à sa veine fantastique de l’Hôpital et ses Fantômes et c’est formidable.

Un couple perd son enfant. L’homme est thérapeute. Il est persuadé qu’il peut aider sa femme mieux que les petits cachets. Entre hypnose et thérapie comportementale, il entraîne sa femme dans le lieu catalyseur de toutes ses peurs : un chalet nommé Eden, perdu en forêt, et dans lequel la femme et l’enfant ont passé tout un été tous les deux, pour qu’elle finisse sa thèse sur les « Gynocides ». Et là, ça part gravement en sucette. Visiblement, il y a quelque chose dans les bois.

Trier brasse allègrement les codes du genre : isolement du couple dans un univers cradouille et menaçant qu’il ne maîtrise pas (la nature, avec ses mystères, ses tiques, ses mammifères sanguinolents), vieux parchemins humides couverts d’images de bûchers et de tortures, révélation finale, ennemis intérieurs, … on retrouve beaucoup de clichés, que Trier utilise allègrement de manière taquine : il se fait plaisir en pastichant ces éléments, mais le tout est tellement cohérent, tenu, qu’il réussit à entraîner tout ça dans son univers à lui. Malsain, entre kitsch gore, exubérance noire à la Bosch, métaphores appuyées, Trier ose tout, va jusqu’au bout de sa démarche et réussit tout : Antichrist fait peur, agresse, provoque, interpelle, questionne malmène. Et comme dirait G. « c’est tout ce qu’on demande à l’Art ».

Alors vous dire si Trier est misogyne, moralement déviant, cul-béni, sadique ou je ne sais quoi, je n’en sais absolument rien (je défie bien quelqu’un de vraiment comprendre ce qu’il y a dans la tête de Lars Von Trier), et je m’en fiche un peu. La mise en scène est immense, inventive, audacieuse, les acteurs formidables, le twist final d’une classe aussi grande qu’inattendue, la bande-son obsédante. Un moment horrifique et unique.

Chronique film : L’Hôpital et ses fantômes, Saison 2

(1997) de Lars Von Trier

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Dans la seconde saison de l’Hôpital et ses fantômes, Trier se lâche grave. On assiste à une débauche d’idées, d’inventivité, qui rendent la série, par moments, franchement hilarante. On retient notamment une course-poursuite à 2 km/h dans le couloir des archives pour tromper les détecteurs de mouvements, ou encore Bulder, brancardier corpulent et débonnaire, qui, sous hypnose imagine se transformer en pingouin afin d’échapper aux griffes d’un tigre. Trier ose également le canular visuel salace et la blague scato. Quels grands moments, quand Helmer surveille la bonne flottaison de ses étrons, tout en philosophant sur la pourriture danoise (Hamlet n’est pas loin).

Malheureusement, tout n’est pas à l’avenant, et en débridant ses pulsions drolatiques, Trier relâche hélas et son scénar, et sa mise en scène, et sa direction d’acteurs. Les deux derniers épisodes sont nettement moins « tenus » comme dirait G. L’histoire cafouille à mort, il ne sait visiblement pas comment boucler son affaire, et c’est dommage. Autant le fil conducteur de la première saison était clair, malgré la multiplicité des histoires, bien centrée sur le destin tragique de la petite Mary (prononcer Maru visiblement…), autant la saison 2 sert de prétexte à la multiplication de gags, et la recherche du démon par Drusse, est convenue, un comble pour Trier. On peut regretter également une toute fin en couille de caille, très prévisible. Malgré l’apparente liberté de ton, c’est tout de même l’infirmière nympho qui abrite en son sein le démon. Un chouille facile tout de même.

Les acteurs du coup semblent moins concernés, et plongent parfois dans la caricature. Drusse et Stig sont toujours impeccables, mais le reste de la distribution se laisse aller à en faire trop. Côté mise en scène, c’est la même histoire. Maintenant bien implanté dans son style, Trier n’en démord pas, quitte à s’y enferrer quelque peu. Plus longs, moins serrés, les derniers épisodes se mâtent certes sans ennui, mais sans grande passion non plus. J’avoue que je chipote un peu, on n’a pas mal aux fesses, même en regardant les 4 épisodes à la suite… mais tout de même, cette saison 2 est moins convaincante.

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Chronique film : L’Hôpital et ses fantômes

 (saison 1) – 1994 de Lars Von Trier

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Alors là, je dois vous dire que je suis bluffée. L’Hôpital et ses fantômes n’a pas pris un quart de ride en treize ans. Vue religieusement sur Arte lors de sa sortie en France, conservée avec dévotion sur des VHS aujourd’hui probablement moisies, et achetée en DVD en guise d’auto-cadeau d’anniversaire par votre hôtesse la semaine dernière, c’est avec jubilation que j’ai revisionné les 4 épisodes de cette première saison.

Kingdom Hospital ne ressemble à rien qu’à lui-même, et ce n’est pas la pâlichonne copie américaine qui pourra dire le contraire (d’ailleurs, je me suis aperçue que tous les trucs réussis de l’ersatz viennent directement de chez Von Trier, à sa place, mes chevilles enfleraient sévère). L’idée d’un hôpital labyrinthique, peuplé de médecins fêlés, et de fantômes qui ne trouvent pas la paix, ressemble soit à l’exorcisme d’une phobie, soit à un gag de potache. Il semble que ce soit un peu des deux, brillant exercice de mise en scène, et récréation après et avant la réalisation de films beaucoup plus « sérieux ».

Le style Von Trier est déjà très affirmé. Image cradingue d’un orangé assez immonde, qui contraste avec les habituelles représentations de l’hosto (l’asepsie au Kingdom Hospital ne semble pas être une grande préoccupation de ses occupants), caméra à l’épaule, cadrages improbables et géniaux, rareté de la musique (mais quelle musique ! les deux accords de violon me trottent depuis quatre jours dans la tête), Lars Von Trier s’amuse, sans se foutre de la gueule du spectateur. Bien que mis sur pied avec deux bouts de ficelles, c’est très intelligemment tourné, très intelligemment monté, bourré d’inventions autant dans la mise en scène que dans le scénario. Bref, on est dans le très grand divertissement.

Tous les personnages, de la moindre infirmière au grand chef de service sont parfaits, interprétés par des acteurs assez incroyables. Ils y croient à leurs personnages fous, et du coup nous aussi. Von Trier ne laisse aucun détail au hasard, il n’y a qu’à voir le grand sourire de soulagement de l’étudiante en médecine qui ne supporte pas la vue du sang, lorsque le cours de dissection est annulé. On est pourtant en plan large, elle est en haut à droite de l’écran, mais elle est là quand même. Bravo.

Bien que l’Hôpital et ses fantômes ne soient pas une série à thèse, Trier en profite pour se moquer de ses voisins les Suédois (à moins qu’il ne se foute carrément de la gueule de ses compatriotes, ce n’est pas à exclure), des sociétés secrètes qui permettent à leurs membres une relative impunité, du système hospitalier à la hiérarchie oppressante etc, etc. Lors du générique de fin, c’est Trier lui même, l’oeil moqueur, qui nous convie à visionner la suite de la série. Comme dans Le Direktør, il tient bien à nous préciser que c’est lui le patron, même s’il est affublé d’un noeud pap’ immonde. Il aime manipuler les spectateurs marionnettes, et ça marche. Bon c’est pas tout ça, mais il me reste encore quatre épisodes à voir.