Chronique livre : Malone meurt

de Samuel Beckett

Après Molloy, déjà impotent, et réduit progressivement à une immobilité de plein air, voici Malone, son prolongement, cloué dans un lit, et entouré de ses quelques possessions, ie « les choses dont (il) connaît la situation assez bien pour pouvoir les attraper », des objets disparates et ridicules, une chaussure jaune orpheline, un bout de pipe, mais surtout un minuscule bout de crayon à papier, et un cahier d’écolier. Il écrit ce qu’il est, là, maintenant, un être physiquement quasi-mort, mais auquel il reste la faculté d’écrire et de penser. Il raconte la vie de gens ternes et opaques qui n’intéresseraient personne, mais sous la plume de Beckett, ils deviennent des êtres à part entière, exceptionnels rien que du fait de leur existence.

On apprend à accepter ces personnages pour ce qu’on nous dit d’eux, pas pour ce qu’on imagine qu’ils sont. On se les approprie comme Étant, sans chercher à savoir, ni pourquoi, ni comment. Malone meurt, c’est une application du « Je suis, j’existe » Descartien, puis plus tard de son « Je pense donc je suis », une célébration de l’esprit, le triomphe de la pensée en marche, en dehors de toute corporalité. On est libre tant qu’on pense, vivant tant qu’on se donne les moyens de réfléchir et de créer. On voyage, on explore par le simple fait de le vouloir, en dehors de toutes considérations matérielles.

Pourtant la mort rode partout dans Malone meurt, fins de phrases coupées comme des coups au plexus, aller-retours incessants entre imaginaire et glauque réalité, ratures, réécriture, lutte jusqu’au bout contre la grande faucheuse, et malgré son oeuvre, victoire par KO, puisque l’écrit et la pensée demeurent. Alors oui, bien sûr, Malone meurt est un grand roman sur la mort, mais également sur la vie, sur l’essence même de l’humain, sa capacité à réfléchir, analyser et créer, ces dons si précieux qu’il faut cultiver avec acharnement. Pas vraiment dans l’air du temps, donc résolument indispensable.

Pour la bonne bouche :
« Il ne faut pas être gourmand. Mais est-ce ainsi qu’on étouffe ? Il faut croire »
« Je dois être heureux, se disait-il, c’est moins gai que je n’aurais cru »

2 réflexions au sujet de « Chronique livre : Malone meurt »

  1. AJOUT NÉCESSAIRE

    Je rajoute un commentaire, pour pas que tu croies que tes critiques littéraires ne sont pas lues (je les préfère à tout le reste dans ce blog).

    Beckett est la plus grand auteur du XXème.

    Ceci était mon commentaire.

    Posté par Gols, 14 octobre 2007 à 18:05
    FIDÈLE.

    Gols : je sais qu’il y a au moins un courageux. Donc j’arrête tout le reste et je fais que de la critique littéraire ?
    Pas facile de passer après toi en tous cas sur ce texte où l’on se dit, à chaque page qu’on doit louper mille et une choses. Merci du conseil en tous cas.
    La prochaine c’est du Baricco… tu m’aimes toujours ?

    Posté par Anne, 14 octobre 2007 à 18:34

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