de Claro.
Après avoir lu Plonger les mains dans l’acide, recueil de textes courts, j’avais pressenti que la forme longue siérait mieux à Claro. A la lecture de Cosmoz, c’est indéniablement le cas. Cosmoz est un véritable tourbillon, un livre-monde, dont il est difficile en une seule lecture de mesurer l’ampleur.
Claro aime visiblement partir de fictions déjà existantes ou de personnages ayant réellement existé pour construire son œuvre. Dans CosmoZ, il s’empare du Magicien d’Oz, de son créateur, et de ses créatures pour construire ce roman foisonnant, dans lequel il est facile de perdre pied. Claro catapulte les personnages d’Oz dans les cinquante-six premières années du vingtième siècle. L’homme en fer blanc et l’épouvantail seront tout d’abord soldats américains dans les tranchées de la grande guerre, Dorothy infirmière, ouvrière puis malade. La sorcière est une jeune femme dérangée dont le passe-temps favori est d’écrire des mots dans le ciel, et les munchkins resteront quoi qu’ils fassent des freaks, d’abord pour amuser les gens puis pour finir en rats de laboratoires sous les griffes du docteur Mengele.
Un résumé n’aurait bien évidemment pas de sens. La construction millimétrique du roman plonge le lecteur dans une tornade (la tornade d’Oz ? le souffle de la bombe atomique ?) de mots, de personnages, de situations, voyageant au gré de l’Histoire pour à chaque fois revenir vers le rêve chimérique d’Oz qui habite tout le petit peuple de CosmoZ. Réécriture complètement barrée des heures sombres du vingtième siècle, le roman ne cesse de mettre en parallèle l’univers d’Oz, dans sa composition, sa construction, ses personnages, et la grande histoire. Le magicien d’Oz fut écrit au début du siècle, et Claro balance ses personnages directement du pays d’Oz à la guerre. Un éclat d’obus bousille la cervelle d’Oscar Crow, dont l’amnésie sert de prétexte à sa quête d’un cerveau comme l’épouvantail d’Oz le fait. Nick est gravement mutilé et un certain Docteur Huizard (ou Wizard?) le rafistole grâce à une armure d’étain. L’homme en fer blanc part à la recherche de son cœur enfouit sous sa carcasse. Dorothy, elle, jeune femme lambda du Kansas, est fascinée par la peinture au radium phosphorescent dont on peint les aiguilles des montres, sans doute y retrouve t’elle l’éclat émeraude d’Oz.
Tous les personnages seront victimes de la folie humaine, à la fois des dérives de l’humanité (la guerre, les soi-disant progrès techniques, l’argent, le totalitarisme), mais également de leur rêve trop fou d’un Oz qui n’est qu’une dangereuse illusion de félicité pour endormir les masses. L’univers que nous propose Claro est d’une poésie noire, désenchantée, inquiétante, sans vraiment de porte de sortie. L’écriture à la fois puissamment visuelle et évocatrice, parfois obscure, souvent complexe, mais toujours passionnante accompagne cette relecture du mythe magnifiquement. Le rythme très soutenu laisse peu de repos au lecteur, et le petit décrochage du chapitre onze (Loin du Kansas, un poil trop attendu, lyrique et grandiloquent pour moi) ne remet pas en cause la fascination pour l’ampleur extraordinaire de cette entreprise littéraire. Avec CosmoZ, Claro rejoint pour moi la clique des auteurs dont l’écriture et la construction tente d’approcher quelque chose de la complexité et du fonctionnement du monde : Mathias Enard (Zone) et Maylis de Keranghal (Naissance d’un pont). Un respect infini pour eux.
CosmoZ est un roman passionnant, ample, à la noirceur lumineuse. A peine entrebaillé l’univers de Claro qu’il me fascine déjà.
Une réflexion sur « Chronique livre : CosmoZ »