Chronique livre : La fenêtre panoramique

de Richard Yates.


Prenez des risques : cliquez sur l’image.

Pas forcément une bonne idée a priori de lire ce livre juste après avoir vu son adaptation cinématographique : le beau film de Sam Mendes « Les Noces rebelles« . C’était risqué. Mais le bouquin tient vraiment bien le choc. Pas de grande découverte dans l’histoire, l’adaptation est tout ce qu’il y a de plus fidèle, jusqu’à la reprise de la majorité des dialogues. Je ne referai donc pas la critique, au risque de me répéter.

Ce qui est étonnant dans le livre, c’est que malgré son antériorité de plusieurs dizaines d’années par rapport au film, il est plus ouvertement virulent que le film dans sa critique de l’embourgeoisement. C’est en grande partie dû au processus narratif qui consiste à suivre plus particulièrement Franck. Le personnage y apparaît encore plus veule, petit et méprisable que dans le film, tout le temps en train de composer ses attitudes, de les tester devant le miroir, il ne vit pas vraiment, mais joue à vivre tel que la société le veut. Le point de vue passe du côté d’April à une seule occasion, lors de son avortement. Son acte n’en apparaît que plus comme une fuite hors d’un monde qu’elle rejette, et dans lequel, les gens qui ont des aspirations différentes n’ont pas leur place.

Bref, un beau livre audacieux qui n’a rien perdu de sa justesse.

Chronique livre : Trois quartiers

de Valérie Mréjen.


Clique pour voir comme j’ai vachement d’inspiration.

Très jolie surprise que ce court volume, regroupant trois nouvelles de Valérie Mréjen, vidéaste, photographe, plasticienne et écrivain (c’est pénible quand même ces gens qui savent tout faire non ?). La première nouvelle consacrée à son grand-père, et par extension à toute sa famille, la deuxième à son amour pour un gars qui ne le vaut pas – l’Agrume -, et la dernière une variation autour des humeurs de son père, constituent un ensemble cohérent et un joli portrait en creux de son auteur.

Basées sur un processus simplissime, succession de petites phrases descriptives, entendues ou vécues, Trois quartiers pourrait vite tourner à vide autour de cet exercice de style. Ce n’est pas le cas, et ce catalogue de petites sentences souvent très basiques dans leur écriture, voire parfois même assez maladroites, finit par convaincre, puis fasciner, puis bouleverser, tant ces petites choses quotidiennes par leur caractère dérisoire, personnel et universel, font résonner quelque chose de très vrai et de très profond.

La nouvelle centrale, L’Agrume, est vraiment une belle réussite. Valérie est amoureuse de l’Agrume, petit gars maniaque et étrange, qui la trompe sans vergogne, et l’utilise façon kleenex. Par ses petites phrases et micro-saynètes, Mréjen parvient à cerner l’absurdité évidente de cet amour, cet aveuglement volontaire, qui la pousse à accepter n’importe quoi pour quelques moments de douceur. Alors évidemment, ça fait vibrer la corde sensible.

Putain, qu’est ce que c’est con l’Aaaaaamour quand même.

Chronique livre : Oreille rouge

d’Eric Chevillard.


Clic sur l’oeil pour faire « Ouahhhhh ».

Un pur moment de bonheur que ce petit ouvrage, écrit par un véritable maître de la formule fine qui fait mouche (pour s’en convaincre, aller faire un tour ici, c’est un régal quotidien).

Oreille rouge est écrivain. Oh pas du style de Conrad, non, un écrivaillon casanier, mais fanfaron, qui parle plus qu’il n’écrit. Invité en résidence au Mali, il s’en flatte partout et à qui veut l’entendre, sans avoir l’intention d’y mettre les pieds. Mais voilà, à force de clamer partout qu’il sera sans doute en Afrique à ce moment là, il est pris au piège de sa vantardise, et se retrouve contraint à franchir la douane aéroportuaire. Son séjour au Mali est un condensé grinçant du comportement touristique de l’occidental moyen, qui a toujours l’impression de vivre intensément un pays, alors que, quoi qu’il fasse il ne fera qu’en frôler la surface. Pas par mauvaise intention. Oreille Rouge fait des efforts, mais, que voulez-vous, il n’est pas du Mali, il n’est pas d’Afrique, il n’est finalement que de chez lui, chez lui étant les 4 murs de son appartement.

L’écriture d’une incroyable concision, précision, humour fait merveille. C’est très drôle, mais on ne peut s’empêcher de tortiller sur sa chaise, un peu mal à l’aise, tellement, finalement on s’y retrouve dans ce type médiocre. On est tous comme ça, l’impression d’avoir vécu un pays du moment qu’on y a passé 3 jours. On se moque de lui quand il se fait balader par un gamin qui lui promet de l’emmener voir des hippopotames, ou quand il a l’impression de voir un lion bouffer une gazelle, alors que c’est un chien qui garde sa chèvre. Ses envolées lyriques pour son ode à l’Afrique s’arrêtent nettes dès le premier vers (« Affrique ! Afrique ! ») de manière grotesque. On rit. Jaune. Mais on rit franchement.

N’hésitez pas à vous plonger dans ce tout petit bouquin, dont chaque phrase signifie plus que tout ce qu’on pourrait écrire dessus.

A lire aussi, la parfaite critique du non moins parfait Gols ici.

Chronique Livre : La Possibilité d’une île

de Michel Houellebecq.

Il a fallu toute la force de persuasion de deux personnes pour me convaincre à mettre le nez dans ce bouquin, échaudée que j’étais par le souvenir catastrophique de certaines particules élémentaires. Ils avaient raison. J’ai été terrassée par ce livre, foudroyée par le regard lucide et la plume acérée de Houellebecq.

Deux récits se croisent dans deux temporalités différentes : celui de Daniel, comique cynique à succès du XXIème siècle, et celui de son clone, plusieurs millénaires plus tard, qui commente la vie de son lointain ancêtre. Même ADN pour deux modes de vie diamétralement opposés. Si Daniel, premier du nom, affecte une haine de l’humanité sans fond, il n’est à la recherche que d’une chose, l’Amour. Sous ses propos souvent limites, se cachent le gouffre immense du manque de tendresse, la peur du vide, l’angoisse de la mort. Tout en rejetant l’idée même de paternité, sa terreur de la fin, et surtout de la vieillesse, le pousse dans une réelle fascination pour les travaux scientifiques d’une secte promettant la vie éternelle. Il accédera réellement à cette vie éternelle, via le clonage. Mais cette vie, régulièrement renouvelée par la mise en circulation d’un nouveau Daniel, n’a plus rien à voir. Pas de contacts humains, pas d’amour, pas de baise. C’est une vie purement intellectuelle consistant à se replonger dans les souvenirs de l’ancêtre, à essayer de comprendre ses motivations, ses choix. Mais quand il n’y a plus d’envie, plus de désirs, plus de décisions à prendre, plus de futur incertain, cette compréhension disparaît.

Malgré quelques légères longueurs, le roman est bouleversant de bout en bout, notamment dans ces dernières pages, modestes et ambitieuses, qui essaient en quelques lignes, et réussissent, à définir ce qu’est la vie. Au détour des lignes, Houellebecq assène des vérités, mine de rien, et sans esbroufe. La Possibilité d’une île fait partie de ces oeuvres qu’on pose en se disant « ce gars là a tout compris ». Oui, il a tout compris à l’Homme, ses élans et sa peur au bide, sa misanthropie et son indulgence à pardonner la faiblesse humaine. C’est moralement contestable, et humainement indispensable.

Chronique livre : L’Attentat

de Yasmina Khadra

Amine, un riche Israélien d’origine arabe exerce sa profession de chirurgien dans un hôpital de Tel Aviv. C’est un homme qui a réussi, bon boulot, bien marié, belle maison, il a su passer outre les difficultés d’être arabe à Tel Aviv. Jusqu’au jour où, sa femme Sihem, si discrète, intégrée et timide se bourre d’explosifs et se fait sauter dans un restaurant bondé de la ville. Après une phase de négation, Amine sombre dans l’incompréhension totale de ce qui s’est passé. Lui qui a bâti une cage dorée pour et autour de son épouse idéalisée, n’a rien vu passer de l’essentiel, de l’extérieur, du monde qui palpite et qui souffre au bord de son univers. Il se lance alors à la poursuite d’une explication plausible à cette incompréhensible geste, croise misère, injustices et lutte pour survivre, et retrouve son passé qu’il avait soigneusement enfoui sous une jolie couche de vernis.

Ce n’est pas par le style que ce bouquin est accrocheur. Ampoulé, métaphorique et poético-chichiteux, il navigue entre mauvais polar et bluette du dimanche, même si, à de très rares moments, un zeste de joliesse s’échappe de cet excès de verbiage.

Pour agaçant que soit ce travers, il faut avouer que les quelques 250 pages de cette courte histoire se dévorent. Les personnages sont bien campés, sans jamais être spécialement clichés. L’incompréhension du chirurgien, totalement imperméable aux explications que lui fournissent les terroristes est à ce point remarquable. Le formatage que lui a inculqué son statut de médecin israélien l’a coupé du monde réel, de ses origines. Pour lui, si sa femme s’est fait sauter le caisson, c’est parce qu’il n’a pas réussi à la rendre heureuse. Il ne peut pas imaginer une cause plus vitale, plus revendicatrice que les limites de son quotidien.

Les deux mondes s’affrontent, ceux qui souffrent, subissent, et n’ont plus rien à perdre, et ceux qui dominent, pas forcément consciemment, imposent, et pour qui les actes désespérés des premiers sont une raison supplémentaire d’étouffer les revendications. Cercle vicieux. Sans jamais excuser aucun acte de violence, et de tuerie, ou de fanatisme l’Attentat révèle une vérité assez dérangeante pour se sentir mal dans son mode de vie douillet et occidental. C’est déjà pas mal.