Chronique théâtre : Flexible, hop hop !

d’Emmanuel Darley.


Encore plus flexible en cliquant dessus.

Il faut croire que le monde du travail est une source inépuisable d’inspiration pour les auteurs de théâtre contemporain. Après avoir lu, relu, écouté et réécouté l’indispensable « L’entretien » de Philippe Malone, voici que je découvre le « sautillant et klanguien » Flexible, Hop hop ! d’Emmanuel Darley. Le registre est ici en apparence plus léger, mais le fond est le même. Dureté du monde du travail, conjoncture, abrutissement, délocalisation, évolution d’une société vers le monde du faux et du virtuel.

Un et Deux sont ouvriers chez Interklang, une usine internationale de Klang (cherchez pas, c’est barré), c’est-à-dire que toute la journée, ils font Klang en cadence. Mais voilà, la conjoncture, vous comprenez, ils se trouvent licenciés.

La pièce est absolument tordante, absurde et sous son aspect foufou distille un humour noir et désespéré. La société part en sucette et le monde marche sur la tête. Ici, l’ANPE se nomme « la pépinière » (peu fertile), le représentant de la culture est « Monsieur de », et la pauvre Denise pète les plombs à force de Klanguerie. Bref, un moment loufoque, poilant et méchamment intelligent.

A savourer. Vous pouvez l’acheter par exemple.

Klang.

Un peu plus de Darley pas ici.

Chronique théâtre : Morituri

de Philippe Malone.

« Lorsque j’ai débuté, je me souviens encore, mes mimiques fébriles mes quintes orageuses firent que l’on misait peu sur ma carrière politique. Trop prompt à réagir disait-on, pas assez réfléchi, mes saillies malhabiles souillaient de tâches laides la monochromie des tons que chérissait l’époque. »

Il n’y a pas beaucoup d’auteurs qui me font ça. Mon inculture est immense me direz-vous. C’est vrai. Mais il n’y a pas beaucoup d’auteurs qui, dès la deuxième ligne de texte, font s’élever ma voix pour cajoler chaque mot. Tant de précision méticuleuse, tant de musique dans ces phrases, tant de rythmes internes, d’alexandrins parfaits et modernes, de mots jetés, tour à tour lisses et heurtés, que je ne peux m’empêcher de lire à voix haute de manière quasiment inconsciente. De mémoire Racine, Beckett et parfois Baricco réussissent à me mettre en transe « lectur’active ». Généralement, j’ai la lecture plus intérieure. On va dire que je m’emporte, concentrons-nous plutôt sur le texte, ce sera plus intéressant.

Après quelques recherches et une rectification, Morituri a été écrit en 1998. Après la lecture, cette date est complétement surréaliste, tant le texte semble être une réaction viscérale post 6 Mai 2007. M. Malone aurait-il des dons de voyance, ou alors une perception, un sens de l’anticipation si aiguisés des choses qu’il est capable de les analyser avec finesse avant même qu’elles ne se produisent réellement ? Monologue intérieur poétique et violent, Morituri nous embarque dans l’accession au pouvoir d’un homme politique brun. Tout y est, rien ne manque de la simplicité du processus et de son cynisme. En miroir, c’est aussi le constat de l’échec d’une démocratie, de la démission de tout un peuple et de ses pulsions auto-destructrices. Je ne prèfère rien dévoiler de plus, à part vous encourager à vous jeter sur ce texte court, à l’intelligence et à l’écriture dévastatrices.

Vous allez voir, c’est simple de l’acheter, il suffit de cliquer ici.

Un peu plus de Malone ici et .

Chronique théâtre : Blast.

Texte et Dramaturgie : Philippe Malone
Mise en scène : Véro Dahuron

Parfois, ça vaut le coup de se casser le cul, braver les grèves ratpiennes, sncfiales, juste pour avoir le plaisir infime et infini de voir du bon théâtre. Comment raconter le traumatisme ? des causes multiples pour un seul mal, un seul choc, physique, émotionnel. C’est à partir d’un monceau d’interviews de traumatisés divers et variés, que Philippe Malone a dû laisser décanter, mûrir, épurer, presser pour en extraire l’essence, qu’est né le texte. Pas un travail d’écriture, non, plus un travail de fourmi, d’une intelligente humilité, de mise en forme, mise en valeur des mots des autres, sur une grille musicale, une partition millimétrée.

Blast fait partie de ces textes dans lesquels le fond et la forme se marient de manière confondante pour créer une entité uppercut qui vous prend aux tripes pour ne plus vous lâcher. Le récit d’abord déroute, feu d’artifice de mots, de maux, au rythme hypnotique, pour devenir progressivement plus linéaire et laisser la part belle aux témoignages. Cohérence de l’éclatement, bribes, fragments, agencés au cordeau, Blast est en cela très réussi qu’il évite les dangers des amalgames historico-politiques et l’écueil du pathos, pour servir un constat humain, l’universalité de la douleur, douleur potentiellement destructrice quelque soit son origine. La mise en scène, très (un peu trop ?) inventive, s’empare du texte à bras le corps, frontalement, sans chercher à louvoyer ou verser dans le lacrymal. Les acteurs, impliqués, réussissent à insuffler une légèreté, à tenir une certaine distance par rapport au texte, sans jamais lâcher le morceau.

A voir donc, de toute urgence, par tous les lecteurs parisiens de ce blog. Et puis par les autres aussi. Blast est présenté tous les soirs à 20h30 au Théâtre du Chaudron à Paris (relâche le dimanche), et ce jusqu’au 10 novembre. Dont acte ?

Chronique théâtre : Vide-Grenier

De Daniel L’Homond

Un exercice difficile que celui-ci, commenter, critiquer la retranscription d’un conte créé pour la scène, par le personnage truculent et charismatique qu’est Daniel Lhomond. J’avoue que pour le néophyte L’homondoesque, l’entrée en matière peut laisser perplexe, « l’effervescence d’aspirine » nécessitant le deuxième degré de la scène pour être appréciée à sa juste valeur.

L’idée de ce conte est tout à fait réjouissante, partir d’un vide-grenier pour détricoter vies, poésie abstraite, et chansons. En lisant, on imagine la voix torrentielle du conteur, et sa gestuelle ad hoc, un soir d’été aux Enfeux. Les contes, nimbés d’une profonde mélancolie, ne la laissent pourtant pas souvent s’épanouir, et préfèrent bifurquer par des voies et voix plus lumineuses. Ce « vétéran de l’adolescence » jouent avec les mots pour tirer vers le haut de histoires teintées de noirceur.

Comme il en parle très bien lui-même dans l’intéressant entretien qui suis la retranscription, il y a quelque chose du « A quoi bon » dans les écrits de L’homond, mais un « A quoi bon » qui pointe, et n’ose pas se révéler. Alors on se plaît à imaginer que ce routard aujourd’hui un peu calmé, qui a parcouru le monde avec sa guitare et sa voix de bluesman, à faire la manche pour gagner sa croûte, nous raconte un peu plus de lui, et un peu moins des autres. Ça ferait une sacrée belle histoire.

Chronique théâtre : Hedda Gabler

de Henrik Ibsen

Hedda Gabler est la pièce subtile d’un auteur subtil. L’histoire est subtile, et les personnages subtils. On peut y découvrir des dialogues subtils, qui révèlent des situations subtiles. Vous allez me dire c’est un peu court. Ah ben non justement, ça fait 200 pages de subtilité nordique, glaciale comme un magnum, mais sans le chocolat fondant.

Hedda s’ennuie d’ailleurs, à défaut de maîtriser sa vie, elle essaie de manipuler celle des autres sans y arriver le moins du monde, et finit raisonnablement par se tirer une balle dans la tempe. Dans la catégorie des provinciales dépressives et suicidaires, on est en droit de préférer les affres bovariennes, autrement plus mordantes. Mais je manque sans aucun doute de subtilité.