Chronique livre : La constellation du chien

de Peter Heller.

laconstellationduchienC’est la fin du monde. Les Etats-Unis ont été ravagés par la maladie et les catastrophes écologiques. Il ne reste presque plus d’habitants, la plupart sont malades, ou nomades. Rares sont ceux qui comme Hig et Bangley ont réussi à survivre en se constituant un chez eux approximatif. Hig, pilote d’avion rêveur, veuf et amoureux de son chien, Bangley le dur à cuire à la gâchette facile, un drôle de mélange. Mais qui fonctionne bon gré mal gré, parce qu’il faut bien vivre. Et puis le chien, vestige d’une vie passée, meurt et Hig décide de partir dans l’espoir de trouver quelqu’un, quelque chose, n’importe quoi de nouveau. Continuer la lecture de Chronique livre : La constellation du chien

Chronique livre : Acharnement

de Mathieu Larnaudie.

Un homme, Müller, vit dans une maison isolée que surplombe un viaduc. Dans sa grande propriété Müller est seul, hormis la présence fantomatique de son jardinier Marceau, fumeur et mutique (pas poss). Autrefois Müller prêtait sa plume à des politiciens, aujourd’hui, dans sa retraite, il travaille un discours chimérique, parfait, absolu. Mais cette recherche obsessionnelle de la phrase juste qui fait mouche, accompagnée d’une addiction rituelle aux séries policières US et à la Chartreuse, est perturbée par une vague de suicides. Le viaduc était trop tentant. Comment réagir alors face à l’irruption de cet imprévisible qui finit par ne plus l’être vraiment ? Comment se protéger ? Müller fait ce qu’il fait toujours, il écrit, accumule les phrases, et dans les phrases les mots, les propositions, les comparaisons. Bref, il se bâtit un mur de langage tout autour de lui. Mais si ce mur le protège un peu, il l’empêche aussi de voir.

Voilà ce que j’ai pu comprendre de ce livre, qui, hélas, m’est un peu tombé des mains. Le projet est certes intelligent, et pose des questions sur l’écriture, son utilisation dans le discours politique. Une écriture cadenassée, articulée de manière ultra-précise pour faire passer un message, une idée, pour persuader les auditeurs, pour transmettre sans rien absorber de l’extérieur, est-elle encore écriture, littérature, art ?

Pour poser ces questions, Mathieu Larnaudie a choisi un dispositif que je n’ai pas entièrement compris. D’une part il alterne les chapitres à la première personne et à la troisième personne, mais sans changer de style : Müller nous raconte, puis un narrateur extérieur. La grande interrogation qui m’assaille c’est, mais pour quoi faire donc ? Par ailleurs, et même si on comprend bien le projet global, Acharnement est stylistiquement tout de même très difficile à tortiller. Mathieu Larnaudie essaie de rentrer dans la peau de son perfectionniste personnage, et pond des phrases interminables, accumulations de propositions subordonnées, de comparaisons, métaphores. Ça n’en finit pas, et même si ça retombe presque toujours sur ses pieds, le lecteur s’est déjà arraché les cheveux, a pleuré sa mère et hurlé au loup. On se croirait parfois dans le jeu des périphrases aux Papous dans la tête. Le problème, c’est que cette écriture, pour virtuose qu’elle soit j’en conviens, manque beaucoup d’oralité : elle est, justement, très littéraire, et me semble par trop éloignée de tout discours politique, même virtuose. Alors évidemment, la narration de Müller n’est pas le discours parfait qu’il entend composer, mais on ne peut s’empêcher de penser qu’avec un tel barbon derrière le Mont-Blanc, pas étonnant que son ministre ait perdu ses élections.

Et puis, j’ai été assez frustrée car j’attendais que le livre aborde un point qui, moi, m’aurait plus intéressé, les conflits intimes et éthiques de ces plumes politiques. Comment un auteur peut-il accepter d’utiliser son aisance avec le langage pour servir des intérêts politiques, et porter des messages qui ne sont probablement pas les siens ? Pourquoi accepter de le faire ? Comment peut-on gérer ça ? Comment se dépatouiller avec sa propre “liberté de conscience” ?

Par conséquent, et pour résumer, ce livre, dont j’attendais beaucoup compte-tenu des critiques, à la fois presse et net, pour le moins positives, si ce n’est dithyrambiques, telles qu’on en consulte peu, m’a intéressée par l’intelligence indubitable qui en émane, mais, de par les choix formels choisis, que je n’ai pas entièrement compris mais qui se défendent cependant comme tout parti-pris couillu, m’a laissée sur la fragile rambarde d’un parapet de viaduc romain, les poches lestées de briques qui, malgré les alvéoles dont elles sont pourvues, n’en sont pas moins lourdes et pesantes, menaçant donc mon fragile équilibre de lectrice instable, sans pour autant me donner le vertige et le coup de pied au cul nécessaires pour que mon esprit et mes tripes en sortent, planant au dessus de l’abîme, rassasiés, repus et heureux. Dommage.

Ed. Actes Sud

Chronique livre : Rue des voleurs

de Mathias Enard.

Mathias Enard délaisse ses recherches formelles (le puissant Zone) pour un roman beaucoup plus classique, à la narration linéaire. Lakhdar un jeune marocain amateur de polars français, faute avec sa cousine Meryem. Ils se font prendre. Lakhdar fuit. Il hante alors les rues de Tanger, puis est embauché comme libraire par un groupe d’extrémistes. Il ne le comprend pas tout de suite, gentil et naïf comme il est. Puis il rencontre Judith, une étudiante espagnol. Cette rencontre et cet amour font basculer sa vie.

Les deux premières parties de Rue des voleurs se lisent sans déplaisir mais sans passion non plus. On s’attache au personnage, enfant candide, toujours en marge, jamais vraiment dans les choses. Son amour des livres et des mots lui permet de se construire, petit à petit, et surtout de lui ouvrir l’esprit, de lui donner du recul sur les choses. Mais c’est surtout dans la dernière partie, cette Rue des voleurs de Barcelone qui donne son titre au roman, qu’on retrouve ce qu’on aime dans l’écriture de Mathias Enard, ce style magnifique, cette écriture à vif, hantée. On le sent porté par la ville de Barcelone, et le récit prend alors vraiment une belle ampleur, en même temps qu’il explore des territoires hypersensibles.

Résolument ancré dans le monde contemporain (en fond, les révolutions arabes, la révolte des indignés en Espagne), Rue des voleurs peut se lire comme un hymne au livre, au voyage et à la culture, facteur d’émancipation (intellectuelle) et d’ouverture sur le monde. Et ça c’est très beau. Mais j’aimerais bien quand même que Mathias Enard nous offre à nouveau ses recherches stylistiques et ses audaces formelles, histoire de retrouver le frisson primitif ressenti à la lecture de Zone.

Ed. Actes Sud

Chronique livre : Tous les diamants du ciel

de Claro.

Claro, l’homme qui écrit/traduit/lit/dézingue/statue/cuisine plus vite que son ombre, revient chez Actes Sud avec Tous les diamants du ciel, sans doute son roman le plus accessible, en tous cas parmi ceux que j’ai pu lire.

Rigoureusement construit en six chapitres de trois parties, chacun d’entre eux implanté en un (ou deux) lieu(x), sur une période de temps donnée, Tous les diamants du ciel a pour point de départ un événement historique : l’empoisonnement massif, en 1951, des habitants de la petite commune de Pont St Esprit dans le Gard, empoisonnement qui a provoqué pendant des semaines des phénomènes hallucinatoires difficilement maîtrisés par un corps médical et des autorités dépassés. Il faut un coupable, et avant de dénicher celui qu’on pourra juger en enfermer, c’est le pain qu’on accuse de tout ce grand fatras. C’est le pain qu’on accuse, notre héros tout relatif sera donc l’homme qui manipule le pain dès sa sortie du four, Antoine, mitron ex-enfant de choeur qu’on devine déjà légèrement algamatophile (lecteur démmerde-toi).

S’ensuit une plongée dans la psyché explosée par l’acide d’Antoine, et dans la psyché du village tout entier. La France rurale de l’après-guerre (mondiale) mais des débuts de la guerre (froide), se transforme cocotte-minute bouillonnante dans laquelle on voit des tigres et on se jette par les fenêtre. On fait des hypothèses, celles d’une farine souillée par l’ergot du seigle, et puis aussi plus récemment, d’expérimentations de la CIA d’une substance qu’on devinait d’avenir dans l’affrontement des blocs : le LSD. On quitte alors Antoine, pour trouver Lucy dont le goût de la chimie, et les méthodes sans façon qu’elle utilise pour se la procurer, la transforme vite en taupe de la CIA, goûteuse et distributrice de cet acide dont on n’a pas fini de tester les effets.

Bref, ne racontons pas tout, l’histoire n’étant d’ailleurs qu’un prétexte à l’écriture. Comme à son habitude, l’écriture de Claro réussit à créer tout un monde et ses ramifications à partir de presque rien, une feuille qui tombe ou l’anse d’une tasse à café, un monde rempli d’électricité dans lequel tout serait relié à tout et à rien, foisonnant, impoli et musical, un monde où tout persiste alors que rien n’existe. Le LSD, sujet rêvé alors, de l’auteur qui n’a, je pense, pas d’autre but que de plonger le lecteur, juste par la force de l’écriture, dans son vertige acide, tout comme il nous invitait à y plonger les mains.

Mais là où les lueurs verdâtres du radium hantait, “impressionnait” le lecteur de Cosmoz, et le faisait vibrer tout entier, le LSD, sujet sans doute trop évidemment, trop implicitement présent dans toute l’écriture de Claro apparaît comme normal, là où l’hallucination aurait été de rigueur. On admire toujours la virtuosité de l’écriture qui nous “entourbillonne”, cette manière d’aborder l’Histoire, ici de raconter les mutations rapides du monde de l’après-guerre sous un angle plus qu’original (il est question notamment des moyens de domination et de contrôle généralisé de l’esprit par la chimie ou par le sexe). Mais il manque un petit truc, et si l’écriture de Claro comble notre soif de mots et rassasie et ensemence notre esprit, elle ne réussit pas vraiment à faire vibrer la petite fibre sensible du lecteur, et à complètement le renverser.

Rien de rédhibitoire, Tous les diamants du ciel est assez passionnant, moins complexe que le livre-monstre/livre-monde qu’est Cosmoz et donc sans doute plus accessible pour ceux qui ne connaissent pas encore l’écriture de Claro. Juste, la prochaine fois, j’aimerais bien qu’il me déchire le coeur, en plus de tout le reste.

Ed. Actes Sud

Chronique livre : Inverno

d’Hélène Frappat.

Décidément, Hélène Frappat aime, cultive et aime cultiver le mystère. Après les intrigantes histoires croisées de Par effraction, elle s’intéresse dans Inverno aux notions de nostalgie, de passé, de passage, de chemin, de trajectoire personnelle. Deux amies d’enfance vont se retrouver sur le quai d’une gare bretonne après vingt ans d’éloignement. Dans le train, sorte de machine à remonter le temps et à apaiser le vide abyssal de la nostalgie, L. et son fils. Sur le quai, Emmanuelle, sage-femme libérale, fille de Jean et de Bérangère, cette dernière elle-même fille reniée de ses rigides parents de la haute bourgeoisie francilienne.

Le livre, composé de très courts chapitres à la chronologie éclatée, retrace les itinéraires de Bérangère, Emmanuelle et L., des itinéraires tout en courbes, voies sans issues et ornières desquelles il a fallu se dégager. De Bérangère on connaîtra le premier geste émancipateur, l’évasion de son pensionnat qui la mènera à un mariage puis un divorce d’avec un homme jaloux et beaucoup plus âgé qu’elle. D’Emmanuelle on apprendra à ne pas se fier à son immuable et éclatant sourire, à aimer sa force de vie, et sa force à donner la vie. De L. par contre, l’enfance autre que liée à celle d’Emmanuelle reste un mystère. Hélène Frappat s’attache à l’histoire récente de son héroïne, sa fuite à Rome pour retrouver le père de son fils, sa nostalgie de Paris, puis l’auteur raconte son retour à Paris, sa nostalgie de la gare Termini, et le vase, nommé Inverno qui symbolise à lui seul, l’Italie et sa nostalgie.

La jeune femme est seulement nommée par son initiale, L., tout comme A., une des héroïnes de Par effraction. Pourquoi l’utilisation d’une initiale pour seulement un des personnages ? Pour brouiller les pistes ? Pour garder le mystère ? ou pour permettre à Hélène Frappat de se camoufler plus précisement derrière l’un de ses personnages, même si elle les habite évidemment tous ? Peu importe finalement. Hélène Frappat réussit à émouvoir avec ces itinéraires de femmes, qui conduisent, malgré de multiples obstacles, à l’émancipation, mais également à la solitude et la nostalgie. Au travers de l’histoire de Bérangère, sa mère et sa fille, on assiste, mine de rien à une histoire de la femme, classique, presque banale, mais juste et touchante. L. nous entraîne dans son monde intérieur, dans lequel l’imagination sert de bouclier au réel, jusqu’au jour au celui-ci la rattrape. Elle réussit à fuir, à survivre par et pour son fils, à lui créer un monde-évasion rassurant autant que créatif, peuplé de bruits de gares et de voyages improvisés.

Inverno, c’est cette histoire un peu glacée, “hivernale”, mais émouvante, de passages dans la vie de ces femmes, d’abord liés aux caprices des hommes, puis peu à peu libérés. Des passages éphémères qui pourtant laissent des empreintes indélébiles, empreintes réchauffées par le merveilleux sourire d’Emmanuelle, comme le faisait l’immuable sourire d’Aurore dans Par Effraction. Un beau moment de littérature.