Chronique Livre : Les âmes fortes

de Jean Giono.

Après Un roi sans divertissement, j’ai été moins convaincue par Les âmes fortes, pourtant considéré par beaucoup comme un des meilleurs livres de sieur Giono. Il commence de manière plutôt intéressante. Des vieilles villageoises palabrent lors d’une veillée funèbre. On ne sait pas qui est qui, ça fuse dans tous les sens, de maximes campagnardes en évidences par si évidentes, de ragots de village, de pluie et de beau temps.

Peu à peu deux personnages se détachent, Thérèse, une ancêtre de bientôt 90 ans, et une femme, dont on ne sait pas le nom, plus jeune de 20 ans. Ces deux voix content l’histoire de la susdite Thérèse. Après quelques tentatives divergentes et emberlificotées, c’est la vieille anonyme qui prend le pas, et de manière linéaire narre l’histoire de la naïve Thérèse, asservie par son mari, le vilain Firmin, qui l’oblige à piller les patrons qu’elle vénère. L’histoire est belle, gentiment ambiguë (l’amour filial et un peu plus entre une servante et sa maîtresse), et couvre une bonne partie du volume. Elle n’est cependant pas la plus intéressante.

C’est la voix de Thérèse, une fois ce récit achevé qui s’élève, et vient saper la belle histoire de l’oie blanche. Thérèse, consciente de ses charmes et de son air innocent, aurait passé sa vie à manipuler les autres, y compris son mari et sa patronne, pour le seul plaisir de la manipulation. Le rythme est alors tendu, dans un flot de paroles heurtées, de phrases courtes. Ça part un peu dans tous les sens, comme la mémoire, les souvenirs, et ce jaillissement d’une vie passée dans l’ombre de la manipulation perpétuelle, fait l’effet d’un ballon, trop longtemps gonflé qui finit par exploser. Comme si à 90 ans, il y avait prescription des saloperies commises toute une vie durant.

Le travail sur la notion de mémoire, la subjectivité des souvenirs est intéressant. On ne saura pas au final qu’elle est vraiment l’histoire de Thérèse, manipulatrice ou fabulatrice, ne réinvente-t’elle pas sa vie à l’aurore de sa mort ? Le roman, tout entier consacré à l’humain perd de ce fait une des singularités de Giono, cette façon si extraordinaire de considérer l’Homme comme un simple élément dans le grand décor d’une nature vivante et toute puissante, et non comme une entité occupant le centre. Mis à part quelques belles métaphores « nature », ce sont les méandres de la bassesse humaine qui focalisent la plume de Giono. C’est beau, mais un peu désincarné. Un petit manque de chair.

Chronique livre : Un roi sans divertissement

de Jean Giono.

Bon, que je vous raconte un peu ma vie hein, ça n’arrive pas souvent, alors… Giono est lié à un souvenir très particulier. J’ai passé 3 ans en classes prépas. Trois ans pendant lesquels j’ai vécu en ermite, entre bouquins scientifiques, cours, colles, et concours. Mes seules respirations étaient les cours de français. Trois ans, trois bouquins au programme par an… neuf livres en tout. Pour une grosse lectrice comme moi, ce n’était pas grand chose, mais c’était tout ce que je pouvais me permettre, mes périodes de vacances n’étant pas non plus très fournies en lecture, abrutie que j’étais par tant de savoir, enfoncé à coups de pilon dans mon pauvre crâne.

Parmi ces 9 livres, deux gros coups de coeur. W ou le souvenir d’enfance de Perec, je l’avais lu sans le lire, finalement sans rien comprendre. Le prof nous l’avait disséqué avec délices. Ça changeait de la dissection des souris et des grenouilles. L’assemblée abrutie des élèves en profitait en général pour piquer un petit roupillon. Faire lire du Perec à des scientifiques, que voulez-vous, c’est presque de la provocation. Mon deuxième coup de coeur, Les Grands Chemins de Giono. Alors que la majorité des quelques étudiants s’intéressant un peu à la lecture (je n’ose même pas dire littérature) s’extasiaient sur Noces de Camus, moi j’étais tombée d’amour pour les Grands Chemins. Pas que Noces ne m’est pas plu, non, mais les Grands Chemins m’avaient ouvert des horizons qui à cette époque là de ma vie n’étaient même pas de l’ordre du concevable. Prise dans ce carcan, ce ghetto doré de la classe prépa, je ne savais rien de la liberté. J’étais gorgée de classiques du XIXème, et voilà que Giono se pointe, avec toute cette liberté qui éclaboussait partout. Liberté de ton, de styles, de ces personnages pour qui demain ne signifiait rien, alors que depuis toute petite on m’apprenait qu’il fallait passer ses aujourd’huis à préparer ses demains.

Dans la foulée, j’avais essayé de lire Un roi sans divertissement. Mais, style plus difficile, cerveau occupé, impossible de dépasser la vingtième page. J’ai attendu, le volume à distance respectueuse, que mon cerveau se débloque. Et puis, avant-hier, après avoir fini Beckett, je prends mon courage, ma petite après avoir lu Beckett, tu peux lire Giono. Et oui. Un roi sans divertissement est passé comme une petite douceur, après les affres Beckettiennes. Sombre pourtant est ce roman, lumineux aussi, fin connaisseur de l’humain. C’est beau et triste à la fois, cet homme fait pour les grandes choses, et qui ne peut survivre aux petites. Brassage méticuleux du minuscule et de l’ample, vision du monde comme d’un grand tout, entrelacement perpétuel de la nature et de l’homme, Un roi sans divertissement est un livre magnifique, d’une infinie mélancolie. Un livre qui donne envie d’aller se perdre dans une forêt de châtaigners, une belle journée d’automne.

Chronique livre : La Ville et les Chiens

de Mario Vargas Llosa.

J’aimerais bien pouvoir vous dire que ce livre est un des meilleurs que j’ai lus depuis longtemps. Malheureusement, ou plutôt heureusement, ce n’est pas le cas puisque mon conseiller littéraire depuis quelques mois se révèle précieusement inestimable et irremplaçable. N’empêche, la Ville et les Chiens, est, je crois pouvoir le dire sans trop me mouiller, un des plus beaux livres que j’ai lu de ma courte (enfin plus tant que ça) vie.

Comme d’habitude avec mon conseiller, on n’est ni chez Oui-Oui, ni chez Martine à la plage, et le début du livre étant un peu complexe, il faut une bonne dose de concentration pour plonger dans cet univers touffu et pourtant tout simple et cohérent.

Au collège militaire de Lima, Leoncio Prado, on suit l’itinéraire de 4 cadets, d’origines sociales différentes dans un pays en déliquescence. Alberto, dit le Poète, écrit des nouvelles érotiques pour ses camarades afin de se payer des clopes, Ricardo, « l’Esclave », souffre-douleur de toute la section, le Jaguar, adolescent prédateur, trouble et violent, et en pointillés, le Boa qui a pris sous son aile, pour le meilleur et surtout pour le pire, la Malencouille, une chienne qui traîne dans le dortoir. Evidemment, autour de ces personnages en gravitent bien d’autres, élèves, corps enseignant, famille, filles…

Le début est déroutant et cru, mélange des voix de tous, dans un flot continu de pensées. Passé, présent, imaginaire, tout se fond de manière assez surréaliste afin de mettre en place l’histoire. C’est complexe et très beau aussi. Puis le récit se fait plus construit du moment où rentre dans l’histoire, la discrète Teresa, dont est amoureux L’Esclave… puis Alberto. Car au milieu de cette univers de violence, de méchancetés, de noirceur, de dissimulation, c’est finalement l’amour qui conduit les gars à faire leur plus grosses conneries.

Mus par le désir d’être aimés, ces ados, finalement pas si loin de l’enfance, ont grandi trop vite, sans amour, quelque soit leur origine sociale. Et c’est le besoin de reconnaissance, d’affection, d’un peu d’attention et de chaleur dans le regard qui les poussent à agir. Le livre constitue en ça un témoignage extraordinaire sur l’adolescence, et le passage à l’âge adulte, sur l’incroyable besoin d’être, de se sentir exister. C’est d’un romantisme noir assez ravageur.

Quand on comprend, à la toute fin que les encarts sur l’histoire de Teresa et d’un gamin qui tourne mal, ne sont pas une œuvre romanesque du Poète, mais la véritable histoire du Jaguar, on pleure. Une fille, même pas très belle, trois gars du même Collège militaire, une seule histoire. Teresa, symbole de la femme, insaisissable, et qui finalement mène le monde par sa seule existence. C’est grand.

Chronique livre : Moby Dick

de Herman Melville

C’est sur les conseils du précieux et pointu d’un avisé ami que je me suis lancée dans la téméraire aventure qu’est la lecture de Moby Dick. On ne présente plus ce roman de quelques 732 pages (préface Gionesque comprise).

Ishmaël, seul survivant de l’équipage du Péquod, navire baleinier, raconte l’histoire qui a conduit au naufrage. Achab, le capitaine du vaisseau, s’étant fait grignoter la jambe par un cachalot blanc, monstrueux et légendaire surnommé Moby Dick, et l’ayant assez mal vécu, décide d’abattre la baleine coûte que coûte. Il entraîne dans cette chasse folle et éperdue tout ses hommes.

Bon. L’histoire tient en 3 lignes, le livre en 732, vous vous doutez bien qu’il y a dilution. Admirablement bien écrit, Melville, par souci d’exhaustivité, dresse un tableau complet de la chasse à la baleine. Description du navire, des baleinières, de chaque métier sur le bateau, liste complète du stock de boustifaille (ils ne se marraient pas trop des papilles les marins, faut avouer), du code baleinier (là, on atteint un sommet puisque le code baleinier ne possédant que 2 articles, et le chapitre 50 pages de jurisprudence baleinière), de l’anatomie de la baleine, du traitement qu’on lui inflige… bref, pour peu qu’on ait un tant soit peu de mémoire, on devient très savant, et on se sent tout prêt à aller massacrer de la baleine.

Il faut bien avouer, qu’en tant que nana, écologiste, biologiste, pacifiste du XXIème siècle, tout ça est assez insupportable, d’abord car il y a des énormités scientifiques (oui, je sais, c’est pas la même époque, blabla blabla, n’empêche, ça me tord les tripes quand je lis que la raréfaction des baleines n’est qu’une vue de l’esprit, c’est juste qu’elles se planquent parce qu’elles n’aiment pas être dérangées), et puis c’est long… très long… très très long.

Bon, en même temps, en dehors des descriptions, sur les quelques dizaines de pages qui restent, on est dans le génie pur, un art de la formule qui cloue au fauteuil pendant de longues minutes, et qui fait griffonner sur n’importe quel bout de papier quelques mots à retenir. C’est un réflexion profonde sur la place de l’Homme dans la nature, et Dieu. Achab, en se lançant dans cette folie, se prend pour Dieu, voulant mettre à ses pieds les forces de la nature. L’incroyable prétention qui l’anime le pousse à la destruction. Le livre est également bourré de réflexions profondes, et cette fois-ci très modernes, sur les questions de tolérance, liberté de culte etc… C’est dans les dialogues, et les passages très théâtraux de la fin, que le roman acquiert une véritable dynamique. Les monologues d’Achab sont extraordinaires d’amplitude, de lucidité et de folie, une force malveillante le pousse au cataclysme, incarnée physiquement par une de ses sombres recrues. Bref, un chef-d’œuvre au souffle intermittent. Comme la baleine.

Chronique livre : L’Amant de Lady Chatterley


de D. H. Lawrence

Quel beau livre que cet amant ! Du souffle, de la tendresse, des idées, du sexe, de l’amour aussi. Constance, une jeune écossaise plein d’éducation est mariée à un Lord anglais rendu paraplégique (et impuissant) par la guerre. Dévouée mais quelque peu titillée par ses hormones, elle tombe sous le charme mystérieux de Mellors, le garde-chasse de la propriété.

Le livre raconte l’apprentissage sensuel et sexuel, la naissance de l’amour entre ces deux êtres en apparence très opposés dans le contexte lourd de la décadence de l’Angleterre minière. Alors que le pays, rongé par l’industrialisation et la mécanisation des tâches et des êtres, Constance et Mellors apprennent à se découvrir à travers le sexe et la nature. C’est une éclosion, une naissance à la vie, à la sensualité.

Jamais livre n’aura établi un si juste parallèle entre un contexte historique et une histoire si intime. Hautement militant, farouchement anti-capitaliste, anti-industriel, conspuant le règne et l’argent et l’abrutissement qu’il induit chez les humains, L’Amant de Lady Chatterley prône un retour aux choses vraies, à l’adéquation avec la nature, avec notre nature animale d’êtres sensuels et sexuels. Tout cet éveil à la vie se déroule au fil des saisons, de la dépression hivernale, des premiers émois printaniers, du jaillissement estival, à la découverte finale de la grossesse. Dans un style unique, le livre distille remarques lapidaires et prophétiques sur l’humanité et sur l’Homme. Un classique, indispensable.

PS : le titre de se message revient à M. Onfray, il s’agit du sous-titre de sa Théorie du Corps Amoureux.