Chronique film : Jeune & jolie

 de François Ozon.

jeune&jolieIsabelle, petite bourgeoise parisienne, vient d’avoir 17 ans, et on comprend très vite, on ne sait trop pourquoi, qu’elle est particulièrement titillée par le loup. Après une séance de dépucelage particulièrement morne sur une plage pendant les grandes vacances, elle décide, à la rentrée scolaire, de se prostituer en ligne. Elle mène donc une double vie de lycéenne-pute pendant quelques mois, avant d’être démasquée après la mort en plein coït d’un de ses clients. Continuer la lecture de Chronique film : Jeune & jolie

Chronique film : Dans la maison

de François Ozon.

Enthousiasme sans limite pour le nouvel Ozon. En général, Ozon et moi, c’est tout ou rien, et Dans la maison remporte tous mes suffrages.

Un professeur de français désespère de ses élèves. A part de pizzas et de parties de foot, ils ne racontent pas grand chose dans leurs dissertations. Et puis le professeur tombe sur le texte de Claude. La copie se termine par (A suivre), parle de la maison d’un ami et de l’odeur si particulière des femmes de la classe moyenne. Il n’en faut pas plus au professeur pour se laisser prendre dans les rets de ce lycéen au visage diaboliquement angélique. Chaque jour l’adolescent rend un devoir et poursuit son histoire et son intrusion dans la vie de la famille “Rapha”. Germain, le professeur, intrigué par Claude commence à lui donner des cours particuliers durant lesquels il le guide, le conseille dans la construction de son récit. Mais Claude est-il vraiment en train de construire une fiction ? Dans quelle mesure ce qu’il raconte est la réalité ? Et dans quelle mesure Germain dicte-t-il sa conduite à Claude ?

Germain l’ignore, mais le spectateur aussi, manipulé qu’il est par les mots de Claude et les images que nous donne à voir François Ozon. Le trouble fluctue tout le long du film, sans jamais disparaître et crée une tension incroyable, un fil ténu sur lequel tout repose, mais qui pourrait se rompre à chaque instant. On jubile de cette tension comme on jubile de la manipulation affichée par François Ozon, cette manipulation en poupées russes : Claude manipule Germain en racontant de quelle manière il manipule les Raphas, tout ça sous la caméra d’Ozon qui nous montre bien ce qu’il veut lui aussi.

D’ailleurs cette caméra a rarement été aussi inventive, il y a environ une idée de mise en scène par plan, et le réalisateur manie son gouvernail avec une subtilité et une virtuosité colossales, trimballant son film de la comédie la plus déjantée au suspens le plus tendu, en passant par le mélodrame, le conte et la bluette. On pense un peu à Holy Motors dans cette manière d’explorer, via toutes les pistes de son histoire, tous les genres du cinéma. On passe donc, c’est cliché mais c’est vrai, du rire aux larmes, du rejet à l’émoi, et ce, en quelques secondes. Du grand art.

Et de l’art, justement il en est question. La femme de Germain tient une galerie d’art contemporain : pendules à 13 chiffres, poupées gonflables aux moustaches de dictateurs, le tout accompagné de discours ultra-formatés. Germain déteste ça, n’hésite pas à la dire à sa femme et c’est franchement hilarant. Tout est faux, mais tout est plus vrai que nature, Koons & cie sont rhabillés pour l’hiver.

Film stimulant, taquin et ambigu, Dans la maison est, je crois pouvoir le dire sans trop me tromper, un des meilleurs films de François Ozon. The big foot.

Chronique film : Potiche

de François Ozon.

Honnêtement, allez voir Potiche demande un certain courage, voire abnégation. J’y suis plus allée pour voir le dernier Ozon, que pour me faire plaisir. C’est sans doute grâce à cette totale absence d’attentes particulières que cette Potiche a constitué un fort agréable moment. Certes, le film est plus dans la lignée de l’abominable Huit femmes que de Sous le sable ou Le Refuge, cependant, il évite ici le laisser-aller désagréable de Huit femmes (et son admiration béate pour ces actrices qu’il oubliait de diriger). Il reprend une pièce de boulevard des années 70, et la met en scène au millième degré, mais avec beaucoup de sérieux.

Très belle reconstitution, très fine dans ses détails (costumes parfaits, décors au poil), Ozon réussit surtout ici à canaliser ses acteurs. Le botox de Deneuve se résorbe un peu, et elle est nettement plus expressive, Depardieu étonnamment sobre, Luchini presque discret, et surtout un trio de seconds rôles parfaits : Judith Godrèche et ses inénarrables cheveux, Karine Viard en secrétaire qui se réveille de la tyrannie de son patron, ou Jérémie Rénier moulé dans ses petits pulls jacquards. Certes la pièce n’est pas des plus fines, vieillotte, sans doute machiste et réac, certes, les adaptations à la sauce Ségolène/Sarkozy d’Ozon sont très appuyées, mais le millième degré ici, et la bouteille des acteurs font qu’on sourit souvent, voire qu’on rit carrément de temps en temps.

Et puis il y a des flashbacks très réussis parsemés dans le film, et nous faisant découvrir le passé finalement tumultueux de la jeune Deneuve, pas si potiche que ça (un des flashbacks éclaire d’ailleurs le petit sourire de Deneuve dans la scène inaugurale lorsqu’elle voit deux lapins en plein crac-crac). Et puis il y a ces hommages multiples au cinéma (des Parapluies de Cherbourg au Dernier Metro), qui sont touchants. Certes un peu limité dans ses ambitions, Potiche reste cependant une comédie tout à fait recommandable, légère, qui se déguste juste pour le plaisir. Déjà pas mal en ces temps troublés.

A lire, la critique du film dans Télérama, assez intéressante dans son interprétation. Finalement pas si creux le divertissement.

Chronique film : Le refuge

de François Ozon. 

Jaloux non ? Clique.

Mon amour pour Ozon étant très irrégulier, et ayant particulièrement apprécié Ricky, c’est avec une suspicion certaine que je rentrais dans la salle. En général, c’est un sur deux. Mais cette fois ci était une bonne. Le refuge est un film particulièrement simple pour le réalisateur, tournant autour de deux de ses thèmes de prédilection : la perte et la maternité.

Mousse est jeune héroïnomane qui perd son compagnon Louis d’une overdose. A l’hôpital, se réveillant d’un coma, elle apprend le décès de Louis et sa grossesse. Passant outre les recommandations de la famille grande bourgeoise de Louis, elle garde l’enfant, et part dans une maison du pays basque, son refuge, pour vivre sa grossesse. Pendant quelques jours, le frère cadet de Louis vient lui rendre visite. Et c’est une belle rencontre que celle de cette femme sans mari (« vous n’êtes quand même pas la Vierge Marie ? » lui demande un dragueur de passage) et de cet homme sans mère (il a été adopté). Elle qui n’est pas encore sortie de l’enfance, à chercher encore et encore la chaleur de la matrice (sa maison, son bain, le parquet, le champ…), à demander à un amant de passage de la bercer (cette scène m’a terrassé), va enfanter. Mais pour des raisons qui ne sont pas l’amour maternel. A la mort de Louis, elle s’est sentie investie de lui, le portant dans son ventre. Mais c’est un leurre, et la grossesse se déroule comme si l’enfant n’existait pas vraiment. Mousse est encore trop immature pour cet enfant. Et Paul, le frère de Louis, est curieux de cette vie, de cette grossesse. Lui qui n’a pas connu sa vraie mère, et qui a peu de chances d’être père (il est homosexuel), cherche en Mousse quelque chose qu’il ne connaît pas.

Ce sont deux marginaux, qui se cherchent encore et s’apportent mutuellement les choses qui leur manquent : elle une figure masculine, lui une figure maternelle. Ozon réussit à faire un film d’une très grande douceur, apaisé, mais sans niaiserie. Il y a des scènes très dures dans Le refuge (le scène de l’overdose, la scène chez les beaux parents, ou l’attention d’une femme sur la plage qui tourne vite en folie), les personnages sont fondamentalement imparfaits, incomplets. Mais il émane de l’ensemble un vrai amour, une belle tendresse  dans le regard d’Ozon à l’égard de ses héros, ce qui n’avait pas toujours été le cas jusqu’à présent. Et le geste final de Mousse n’apparaît pas comme un abandon, mais comme une transition, un geste finalement de quelqu’un qui grandit et réfléchit, et qui a enfin décidé de se construire.

La caméra d’Ozon est plus limpide que dans ses précédents films. Plus naturaliste, elle gagne aussi en légèreté. Lumières naturelles très belles, jeux de miroirs sur ces êtres inachevés, c’est vraiment beau. Et l’acteur qui joue Paul a un côté Rohmerien qui passe ma foi très bien. Certes pas un film tape à l’oeil, mais un très bon moment, émouvant, suspendu. Parfait.

Chronique film : Ricky

de François Ozon.


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Après le long-très-long et bien un peu loupé Angel, Ozon nous présente un petit truc tout curieux et vraiment intéressant. Une ouvrière d’usine de produits chimiques élève seule sa fille. Elle rencontre sur son lieu de travail un intérimaire espagnol plein de charme et de poils. Et paf, c’est l’amour, et paf, un deuxième marmot, cette fois-ci un petit gars, qui chouine tout le temps, et dont le dos se couvre de contusions vraiment étranges.

Vous dire pourquoi Ricky m’a autant charmé, ça va être coton. Le film échappe quelque peu à l’analyse (à la mienne surtout). Ce qui épate c’est le culot monstrueux d’Ozon. D’abord sur le casting : qui aurait parié un kopek sur Alexandra Lamy en nana vraiment lambda, aux prises avec les difficultés de l’existence ? Et bien elle est vraiment formidable, et réussit à presque complètement faire oublier qu’elle est Alexandra Lamy. Le couple qu’elle forme avec Sergi Lopez (toujours trouble cet acteur sous son physique bonhomme et son accent charmant) est totalement crédible, un couple de « petites gens », normaux et émouvants.

Ce qui est fascinant au cours du film, c’est qu’Ozon lance à peu près 2000 pistes/indices/énigmes dans son film, qu’aucune ne sera résolue et que ça tient quand même gravement la route. D’où vient cette première scène, qui pourrait, mais en fait pas vraiment, s’encastrer au coeur du film ? Les vapeurs toxiques que Katie respire toute la journée sont-elles à l’origine des petits soucis de son marmot ? Pourquoi s’évanouit-elle après avoir fait l’amour avec Paco ? Pourquoi la gamine est-elle fascinée par les oiseaux ? Toute l’histoire n’est-elle pas une projection de sa fantaisie d’enfant effrayée par la grossesse de sa mère ? D’où vient Paco ? A-t-il une maîtresse ?

Au lieu de rendre la film complètement bancal, toutes ces interrogations créent justement un univers très cohérent dans lequel il faut accepter ne pas savoir, il faut accepter de se laisser titiller les neurones (et les émotions) pendant une heure trente et même bien au-delà. Ozon réussit donc son pari haut la main sur un principe pourtant exagérément casse-gueule. Well done.