Chronique film : Les amants passagers

de Pedro Almodóvar.

lesamantspassagers-nbA cause d’une avarie matérielle, un avion à destination de Mexico tourne en rond dans le ciel espagnol. Pour éviter tout mouvement de panique, les hôtesses ont drogué les passagers de deuxième classe, les quelques passagers VIP étant chouchoutés par trois stewards adeptes respectivement de l’alcool, la prière et la dope, et conjointement de comédies musicales. Dans le petit monde fermé de la classe VIP, il va s’en passer des choses. La peur du crash aidant, les coeurs et les braguettes s’ouvrent. Continuer la lecture de Chronique film : Les amants passagers

Chronique film : La piel que habito

de Pedro Almodóvar.

Malgré tout l’amour que je porte au prince ibère du grand écran, j’avoue que la plupart de ses films forment, après quelques temps de visionnage, un ensemble magmatique dans lequel, à de rares exceptions près, ils ont tous tendance à se confondre. Je pense que ce ne sera pas le cas avec La piel que habito, car le film clairement ne ressemble à rien de ce qu’il a réalisé auparavant.

Un chirurgien plastique, Roberto, interprété par un carygrantien Antonio Banderas, garde prisonnière, avec la complicité de sa gouvernante, une très belle femme, Véra, étrangement vétue d’une combinaison couleur chair. Qui est Véra, pourquoi est-elle là, pourquoi la garde t’il enfermée ? C’est tout l’enjeu de ce film que de dénouer tous ces mystères.

Thriller fantastique, plutôt lent, peu bavard, et surtout d’une classe absolue qu’on croyait disparue depuis longtemps, le film réjouit de belle manière le regard. Car c’est surtout ça qui séduit dès le départ : une beauté parfaite des plans, baignés d’une lumière toute picturale superbe. On est en permanence plongé à la fois dans l’art contemporain, les tableaux renaissance, et dans les films des années 50. Les noirs et blancs somptueux de Fritz Lang ou Hitchcock par exemple, auxquels on pense souvent, sont remplacés ici par du blanc et toute une palette de couleurs chaudes, du rouge sang à la couleur chair. C’est visuellement sublime, et la perfection des plans, accompagnés de la toujours parfaite musique d’Alberto Iglesias suffiraient largement au bonheur du spectateur.

Mais l’intrigue n’est pas mal non plus, et surtout soutenue par une très belle réflexion sur le corps, les apparences. Le corps, c’est l’élément central du film, comme souvent chez le réalisateur. Mais dans La piel que habito, le corps n’est pas considéré comme un outil de plaisir, mais comme une interface entre l’intérieur et l’extérieur, une interface modelable comme un costume, à la fois armure de protection contre l’extérieur, ou au contraire porte de pénétration des mauvaises choses de l’extérieur. Il y a le corps protection contre l’extérieur (la peau, les vêtements, les déguisements) ou au contraire comme porte d’entrée (le viol) et de sortie (la naissance) du mal, il y a aussi le corps oeuvre d’art (les tableaux, les sculptures, et bien sûr Véra), et le corps comme prison dont il faut réussir à s’évader (Véra et sa pratique du yoga)… Cette monomanie du corps, qui amène d’ailleurs à s’interroger sur sa propre façon d’habiter son corps, transforme le film en un long poème noir et obsessionnel.

Noir car aucune réelle lumière ne perce sous les masques. Il n’est question dans ce film que de souffrance, de domination, de possession par et pour le corps. Mais rien de solaire ici, aucun réel érotisme là-dedans, ou alors glacé, mécanique. On pense souvent à Cronenberg, notamment dans une scène post-opératoire et instrumentale absolument terrible, comme un retour de bâton, le violeur sera violé à son tour. Alors devant cette incroyable démonstration de virtuosité, cette tenue impeccable, on est un tout petit peu déçu par ce final en demi-teinte, un peu simple, et presque un peu gentil. J’avoue que j’aurais aimé que Véra, avec se peau transgénique et ignifugée, foute le feu à toute la boutique. Mais Pedro Almodóvar croit fondamentalement en l’homme et préfère nous le rappeler dans sa dernière scène.

Somptueux, maîtrisé, intrigant, La piel que habito m’a séduit plus que ses inégales Etreintes brisées. Totalement conquise.

Chronique film : Etreintes brisées

de Pedro Almodovar.


Aurore boréale ? Le pouvoir de l’image… Clic.

Je sens que je vais me faire lyncher, mais il faut bien que je l’avoue : j’ai eu un mal fou à rentrer dans ce film classieux que j’attendais la larmichette toute prête à déborder. Mais voilà, la mayonnaise n’a pas pris, et il a fallu attendre les trois quarts du film pour que je commence à y trouver un tout petit intérêt.

Inutilement tarabiscotée au départ, et pleine de cul-de-sac, l’histoire se linéarise ensuite en un long flash-back très inégal, puis un dénouement maladroit mais mignon. Un des problèmes d’Almodovar qui m’avait déjà gêné dans la Mauvaise Éducation, c’est qu’il filme et dirige admirablement les femmes, mais il est vraiment manchot avec les personnages masculins. Et des personnages masculins, il y en a beaucoup ici, quatre principaux. Sa direction d’acteurs devient alors difficile à cerner (à part José Luis Gomez, les autres moulinent vraiment dans le caramel, surtout le catastrophique Ruben Ochandiano ), la caméra se fait lourde, trop fixe, théâtrale ou tentant des mouvements maladroits et peu lisibles. On serre les dents alors.

Heureusement, Almodovar n’étant quand même pas le dernier des plâtriers, il réussit in extremis à s’en sortir par quelques idées et quelques plans absolument bouleversants. Etreintes brisées, c’est l’histoire de trois histoires d’amour : celle passée de l’agent avec le metteur en scène, toute en hors-champs mais qui sert d’étau au film, celle du vieille homme politique pour sa maîtresse, Lena, un peu trop jeune, belle, et finalement trop indépendante, enfin l’histoire partagée entre le metteur en scène et Lena. Et c’est dans le romantisme noir tiré de ces amours que naissent les plus belles scènes, magistrales, du film. En fait, je le soupçonne de n’avoir tourner ce film que pour ces quelques plans épars et magnifiques qui renversent complètement la cervelle. Le personnage de Lena n’y est également pas pour rien, et Penélope Cruz est absolument parfaite : trouble, flamboyante, brisée, acceptant de se « vendre » par reconnaissance, mais aussi de tout lâcher par amour, c’est la belle réussite du film.

Almodovar est un génie quand il filme les gens « l’un derrière l’autre ». Je m’explique : Le politicien étreint sa femme de dos devant une immense nature morte aux pommes ou dans le dos de Lena fait semblant d’être mort pour découvrir sa réaction, son fils placé derrière Lena filme son visage par le biais d’un miroir, l’agent serre son fiston par derrière devant un évier, Lena derrière Matteo qui prend une photo le serre comme pour ne pas le perdre, Matteo derrière Lena en train de regarder un film… L’amour ici ne peut pas être dit frontalement, il est puissant, mais contrarié. Et la fin de l’amour de la même façon passe par un biais (sublime scène où Lena annonce à son mari, dans son dos, qu’elle le quitte, en faisant la voix d’une vidéo muette tournée par le fils).

Réflexion sur le regard, sur la projection (au propre et au figuré) de l’image qu’on se fait des autres (arghhhh les mains de Matteo sur l’écran où le visage de Lena apparaît), sur la mort de l’image/mort de l’amour, cri d’amour évident au cinéma (images du génériques de début, métamorphoses de Lena ,…) Étreintes brisées est sans doute le film le plus personnel et angoissé de son auteur, mais trop inégal pour être le chef d’oeuvre qu’on attend de lui : un toute petite dizaine de scènes sublimes noyées dans 2h de film corseté, c’est trop peu. A quand le prochain ?

Chronique film : Divers

Cannes est terminé, et seulement trois films de la compétition officielle sont sortis (si je ne m’abuse) : Volver (Pedro Almodovar), Marie-Antoinette (Sofia Coppola) et le Caïman (Nanni Moretti).

Très attendus tous les trois, peut-être les plus attendus de la compétition officielle, seul Volver est reparti récompensé, pour l’ensemble de ses actrices (amplement mérité), et pour son scénario (là je reste perplexe – Prix de consolation ?). J’ai beaucoup aimé Volver, Almodovar vieillit, épure sa mise en scène, tout en restant foisonnant. C’est un beau film, émouvant, bien fait. Pas grand chose à dire, c’est de la belle ouvrage. J’ai été surprise par le prix du scenario, peut-être le seul point un peu faiblichon du film. Surtout quand on le compare à la magnifique intelligence du scénario du Caïman.

Marie-Antoinette est sortie bredouille du festival, et c’est normal. C’est un grand film raté. Il y a des scènes magnifiques dans ce film. Quand Sofia Coppola filme au plus près Kirsten Dunst (vraiment bien), l’émotion naît brutalement, c’est d’une beauté à couper le souffle. Par contre, dès qu’elle s’éloigne de son actrice, la réalisatrice semble perdue, images illisibles, cadrages approximatifs, éclairages laids… Le mélange de rock/baroque ne m’a pas dérangé, mais cette absence totale de sens de l’image en cinemascope, oui. Au final, on pleure un peu, on est émerveillé de temps en temps, mais on s’ennuie beaucoup. Je suis sortie de la salle assez en colère, ça aurait pu être un grand film…

Au moment où je vous parle, je sors juste du visionnage du Caïman, et je suis encore toute retournée. Je ne connais pas très bien Moretti, je connaissais juste « Journal Intime », que j’avais beaucoup aimé. Mais un film politique, bof, ça m’enthousiasmait moyennement. Mais le Caïman n’est pas un film politique, ou pas seulement. Le côté politique, Nanni Moretti l’expédie assez vite : toute l’Europe se moque de ces italiens qui ont laissé l’impensable arrivé au pouvoir, tout le monde connaît les malversations de Berlusconi, alors on en parle, pour ne pas oublier, on visionne quelques images d’archives (incroyables) pour se mettre dans l’ambiance. Le Caïman parle avant tout d’un moment charnière, professionnellement et humainement, dans la vie d’un homme, un producteur sur le retour, ayant voté Berlusconi, qui pour sauver ses finances (ou se sauver lui-même), décide de produire (sur une mauvaise lecture de scenario), le projet d’une jeune réalisatrice de gauche. Le Caïman parle également de création, de la difficulté de monter un projet, surtout aussi sensible. Le scenario de ce film est grandiose, brillamment intelligent. La mise en scène est également extraordinaire. Pied de nez et mise en abyme magnifique de Moretti, après le désistement de l’acteur principal, devant jouer Berlusconi, c’est lui-même qui reprend le rôle du Caïman… Les dernières scènes du film ne sont plus celles de Moretti, mais celles du film dans le film, les scènes du film de Teresa, et on voit le Caïman, en voiture, s’éloigner du tribunal en flamme, dans lequel il vient de se faire condamner. Et vous savez quoi? Ca faisait longtemps que je n’avais pas autant ri, ni autant pleuré pendant un film… Si ça n’est pas le meilleur des arguments ça !

Un regret donc, dans ce palmarés cannois. Volver deux prix, le Caïman aucun… Une récompense pour le scénario n’aurait pas forcément été une mauvaise idée !

Petits rajouts, suite à gros oublis concernant le Caïman :
– l’itinéraire du héros, est bien évidemment très symbolique de l’état actuel de l’Italie, qui se trouve à un moment charnière de son histoire ;
– finalement le Caïman ne serait-il pas un grand film autobiographique déguisé?
– Moretti a choisi des musiques excellentes, en complète adéquation avec l’histoire. Encore une grande intelligence dans ce choix.
– Je vous l’ai déjà dit, le Caïman est un film intelligent, mais autant sur le fond que sur la forme. Il possède surtout une immense qualité, il est intelligent du point de vue émotionnel, ce qui est encore plus rare.
Je me répète? Peut-être, tant pis, allez le voir !