Chronique livre : Rosie Carpe

de Marie NDiaye

Drôle d’impression que me laisse ce livre. J’ai tout d’abord détesté les cent premières pages, une aversion profonde, viscérale pour les personnages de Marie NDiaye, pour cet univers glauquissime dans lequel absolument rien ne brille. Mais l’écriture de Marie NDiaye, elle, est brillante et fascinante, et c’est la force de cette écriture qui finit par convaincre. J’avoue avoir du mal à adhérer aux personnages, à l’histoire de Rosie Carpe. Trop de grisaille, de fiel, de détestation de l’humanité, sans que j’arrive à discerner une réelle sincérité, mais plutôt une posture, formidablement tenue, mais au final assez artificielle.

Ce qui fascine par contre c’est bien l’écriture de son auteur. Avec une maîtrise totale, Marie NDiaye forge son récit, en se coulant de manière incroyable dans la tête de ses personnages. Elle réussit à nous faire entrer dans leur psychisme (souvent détestable, et c’est de là que vient le malaise), grâce à une insistance dans son écriture, répétitive, précise. Elle creuse, répète, revient sur ses pas, creuse encore, comme un xylophage affamé. C’est d’un inconfort total pour la lectrice sensible que je suis. Mais je conviens tout à fait que c’est très impressionnant.

Un trip intellectuel stimulant, mais pas sûre cependant de vouloir recommencer cet éprouvant trip émotionnel.

Ed. Editions de minuit

Chronique livre : L’absolue perfection du crime

de Tanguy Viel.

Impeccable, c’est le mot qui vient à l’esprit quand on termine cette Absolue perfection du crime. Dans ce petit volume, on peut dire qu’on atteint une sorte d’Absolue perfection du roman de braquage, au style réglé comme du papier à musique.

Tanguy Viel écrit cette histoire classique du braquage d’un casino par une bande de truand de manière millimétrique. C’est un condensé de tous les piliers du roman de braquage, de l’origine, à la mise en pratique, de l’arrestation à la vengeance finale. Très finement écrit, on ne peut qu’admirer le talent d’orfèvre de Tanguy Viel.

Mais c’est également un peu la limite du roman. A force de classicisme, de perfection on peine un peu à trouver de l’âme à cet ouvrage. La belle mécanique tourne à vide sans vraiment réussir ce à quoi un bon roman de braquage est destiné : nous faire frémir, nous étonner. On se demande alors quelles étaient les intentions de l’auteur. Certes, c’est admirable, brillant, mais finalement, pour quoi faire ?

Je vous avoue que l’Absolue perfection du crime m’a surtout absolument donné envie de revoir la trilogie Ocean de Steven Soderbergh. Ce n’est déjà pas si mal.

Chronique livre : La joueuse de go

de Shan Sa.

Je suis sûre qu’elle aime les fleurs, la petite joueuse de go…
ok ça n’a pas de rapport, mais clique sur l’image quand même.

La Mandchourie occupée par les japonais, une jeune chinoise folle de go, et un soldat japonais traditionaliste : leurs histoires sont racontées en parallèle pour finalement se croiser.

Il faut reconnaître à la Joueuse de Go une implacable efficacité : les très courts chapitres de 2-3 pages chaque fois s’enchaînent avec rapidité, et il est difficile de stopper la lecture, victime que j’ai été du syndrome du « oh, ben je peux bien en lire encore un (de chapitre) ». L’intérêt est maintenu par un thème toujours titillant : la naissance du désir chez une adolescente, et son passage à l’âge adulte. Le contexte historique semble bien documenté et contribue a bien faire tenir l’ensemble.

A part ça, pas grand chose. Le petit style qu’on croit déceler dans les premiers chapitres s’évapore petit à petit au cours du récit et l’histoire se termine de manière finalement assez attendue. Du romantisme sur fond de guerre, ça c’est déjà fait, et ça ne fait pas spécialement bondir mon petit cœur. Vite lu, vite oublié ?

Chronique livre : Chroniques de l’oiseau à ressort

d’Haruki Murakami.

L’histoire commence lors de la disparition du chat de Toru et Kumiko. Non, en fait, c’est sûrement au moment de l’avortement de Kumiko que l’histoire a réellement débuté. En réfléchissant un peu plus loin, c’est peut-être bien lorsque la ruelle derrière chez eux a été bouchée que les choses ont vraiment déraillé, ou peut-être bien quand le puits des voisins s’est asséché. Mais non finalement, les racines du trouble sont sans doute plus profondément ancrées dans l’histoire japonaise, dans les terres mandchoues.

Dans Chroniques de l’oiseau à ressort, c’est comme ça, on n’est jamais sûr de rien. Le héros, Toru, bonne pâte d’une affligeante et incroyable passivité (ou ouverture d’esprit, c’est selon), se voit embarqué dans une spirale d’événements assez incompréhensibles, en apparence disjoints. On le suit dans sa quête (récupérer sa femme), perplexe sur sa méthode, mais reconnaissant qu’elle est plutôt efficace. Beaucoup plus cohérent et moins poseur que Kafka sur le rivage, Chroniques de l’oiseau à ressort est une pure merveille, qui m’a emmené très loin de mes bases et certitudes, dans une espèce de monde parallèle, pourvu de sa logique propre, de ses codes, de sa vérité. Car c’est bien de vérité qu’il s’agit ici. Dans notre monde sûr de ses fondamentaux, Murakami s’ingénie à saper nos croyances matérialistes et rationnelles. « La vérité n’est pas forcément dans la réalité, et la réalité n’est peut-être pas la seule vérité« .

Il s’agit également de libre-arbitre , les personnages sont ici lancés dans un histoire qui les dépasse, et trouver des marges de manoeuvre et de contrôle des événements est très difficile. C’est absolument fascinant, ça se lit comme on mange une tartine de beurre salé, et quand on arrive à la fin, on a la véritable impression que les mystères sont résolus. Fort heureusement, en y réfléchissant bien, ce n’est pas du tout le cas. Tant mieux, de quoi cogiter et rêver encore un bon petit moment.

Chronique livre : La Morue de Brixton

 de Timour Serguei Bogousslavski

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C’est avec une légère pointe d’anxiété que j’aborde la chronique de ce pavé merveilleux. Je sais qu’elle sera lue. Premier roman autobiographique, publié il y a dix ans, d’un homme de 84 ans, La Morue de Brixton est à ranger dans la catégorie des livres qui peuvent changer une vie, ou du moins la perception qu’on a de la vie, et la façon d’aborder la sienne propre.

Dans un style d’un incroyable richesse, coloré, foisonnant, émaillé d’un argot aujourd’hui exotique, le livre s’approche doucement pour se finir au pas de course. Un fois achevé, une fois posé au pied du lit, on ne peut s’empêcher de le rattraper du bout des doigts, d’en relire les premières pages, pour quelque temps encore côtoyer ce fascinant personnage au passé sombre et à la plume lumineuse.

Privé de sa mère trop tôt, fils d’aristo déchu, amateur de beauté et d’art, il s’est crée une vie, libre des contraintes de la société, ne suivant que son cœur et son inextinguible soif d’aimer et d’être aimé. C’est parfois très noir, le drôle payant souvent cher le prix de sa liberté, baladé de geôles en cages, mais réchappant à tout. Il traverse la guerre, l’espadrille trouée mais la dégaine hautaine, le mépris pour tout ordre établi, tout travail régulièrement rémunéré, toutes religions. Il crache sur tout et tout le monde, exècre la misère.

Et pourtant, ému par le moindre geste de bonté, bouleversé par la beauté du monde et des êtres, c’est baigné de lumière qu’on achève ce roman qui tourneboule. Alors on rêve quelques instants d’être aimé d’un amour aussi profond et sensible, aussi tendre et absolu, et d’aimer, de la même manière.

Être paradoxal, hors-norme, contestable et libre, Timour Serguei Bogousslavski a écrit là un roman magistral, et a gagné le salut profond de la pauvre salariée, abrutie par le système que je suis. Il me paraît indispensable que les nombreux lecteurs de ces quelques lignes se procurent par tous les moyens légaux (ou autres), La Morue de Brixton. Dont acte ?