Chronique film : Les Bien-aimés

de Christophe Honoré.

C’est une fille toute desséchée qui vous écrit ces lignes, car ayant versé au moins dix litres de larmes devant ce film, et ayant ri presque tout autant. Que voulez-vous, moi, Christophe Honoré a la fâcheuse habitude de me ravager, et avec Les Bien-aimés, ça fonctionne encore et toujours, et très bien.

Dans les années 60, Madeleine est une jeune, blonde et jolie vendeuse de chaussures. Elle arrondit ses fins de mois en faisant un peu la pute, mais rien de bien sérieux. Honoré filme ses jambes ornés d’escarpins dérobés chez sa patronne à la manière de Truffaut, et c’est avec légèreté, dynamisme et surtout beaucoup de sensualité qu’on suit l’éclosion de l’amour entre Madeleine, et un de ses clients, Jaromil, jeune et très séduisant médecin Tchèque, venu approfondir ses connaissances en France avant de rentrer chez lui. Honoré nous raconte l’histoire de Madeleine, depuis cette période, jusqu’à sa vieillesse, son amour pour Jaromil qu’elle suit en Tchécoslovaquie, dont elle a une fille, Véra, puis qu’elle quitte pour retourner en France. Elle se remarie avec un gendarme, tout en continuant épisodiquement à revoir Jaromil lors de ses visites en France, et ce, jusqu’à la mort de ce dernier. On suit également l’itinéraire de Véra, prudente et courageuse comme dit son père, dont la vie amoureuse est aussi instable que celle de sa mère, mais beaucoup moins solaire et finalement beaucoup moins heureuse. Véra n’est pas amoureuse de celui qui l’aime (Louis Garrel, assez gras mouillé), mais d’un musicien américain, qu’elle ne croise qu’épisodiquement.

Je n’en dévoilerai pas plus, puisqu’il faut absolument que vous alliez voir Les Bien-aimés. Je ne sais pas pourquoi, mais Christophe Honoré réussit à faire naître l’émotion, rire ou larmes, en une fraction de seconde. Il suffit de voir réunies à l’écran Catherine Deneuve (dont les effets de ses abus de conservateurs commencent à se dissiper et c’est beaucoup mieux comme ça), et la bouleversante Chiara Mastroianni, dans un plan de nuit sur un pont, pour convoquer toute l’histoire du cinéma et déclencher en moi des torrents d’émotions. Les chiens ne font pas les chats nous dit une des chansons d’Alexandre Beaupain. C’est vrai. Donc Véra est bien la fille de Madeleine, et elle a comme elle, le goût de l’amour, de la baise, et des histoires compliquées. Mais l’époque est différente, et la légère vendeuse de chaussures a donné naissance à une sérieuse et prudente professeur d’anglais. Prudente jusqu’à ce qu’elle rencontre Henderson, dont elle tombe amoureuse. Et là, chez la prudente Véra, tout craque de partout. Manque de bol, Henderson est américain, gay et séropositif, ce qui, le tout cumulé, ne facilite pas franchement l’épanouissement de leur amour. Il est vétérinaire, lui aussi fils de l’époque et prudent, jusqu’à un soir de relâchement, un seul, mais qui a suffi à lui refiler le VIH.

De ces jeux d’amours fous, non partagés, compliqués, voire impossibles, Christophe Honoré est le maître absolu, et absolument tout fait mouche dans Les Bien-aimés. Et si c’est l’histoire déchirante de Véra qui foudroie le plus, par sa noirceur, son jusqu’au-boutisme, son désespoir total, et sa fin déchirante un certain 11 septembre 2001 (coïncidence, j’ai vu le film le 11 septembre 2011…), Christophe Honoré ne délaisse par pour autant Madeleine, contrepoint, contrepoids et cocon parfait de l’histoire de sa fille. Il y a beaucoup de cinéma dans la caméra de Christophe Honoré et de cinéphilie. Bien sûr il convoque Demy et Truffaut, mais jamais les références ne sont écrasantes, et son cinéma est moderne, charnel et intelligent. Et puis entre deux morceaux de Beaupain, il utilise les quatuors de Janacek et la chanson I go to sleep de Ray Davies, musiques qui, ultime hold-up lacrimal, m’ont toujours plongé dans un immense état de fragilité sentimental.

Alors d’accord, il y a quelques petits passages à vide de temps en temps (mais pratiques pour attraper un kleenex, enfin plutôt la boîte), toutes les chansons d’Alex Beaupain ne sont pas extraordinaires. Mais il y a plus de corps, de chair, d’âme dans n’importe quel plan des Bien-aimés que dans le nombriliste Un amour de jeunesse, sur un sujet pourtant assez proche. Je continue donc de claironner à quel point le cinéma de Christophe Honoré me touche, et que non, ce n’est pas seulement du cinéma intello, parisianiste, et élitiste. C’est du cinéma touchant, beau, sensuel, noir et lumineux, qui parle à la tête mais surtout droit au coeur (oui, je sais, j’en fais beaucoup, c’est dégoulinant, mais c’est comme ça, j’ai plus de kleenex.)

Chronique film : Non ma fille, tu n’iras pas danser

de Christophe Honoré.


Toute tentative d’évasion est inutile. Clique.

Magnifique, magnifique film que celui-ci. En dressant le portrait de la belle Léna, mère de deux enfants, ayant quitté son mari après une tromperie, Honoré se débarrasse de son côté Diesel parisien. Ses deux précédents films avaient en effet un côté élitiste bobo et mettaient pas mal de temps à décoller. En se délocalisant en Bretagne, sa région d’origine, Honoré réussit à faire démarrer son film dès les premières minutes (très belle scène à la gare, très forte, où Léna commence par perdre son fils, qui essaie de sauver une pie à moitié crevée). En retournant chez ses parents pour un week-end, avec son frère et sa soeur, Léna se retrouve dans un traquenard, son ex ayant été invité par sa mère. Famille, je vous hais.

Le film est constamment sur le fil : entre rire et larmes. C’est très drôle (ma voisine de salle s’est, à raison, marré tout le long), et en même temps totalement poignant (j’ai hurlé intérieurement les trois quart du film), bref, d’une infinie subtilité. On pense à l’Heure d’été bien sûr, à Un conte de Noël aussi, pour la description de la haute toxicité familiale banale, mais Honoré réussit un film moderne, solaire, risqué, prenant le parti de l’émotion plutôt que du jugement, un film en équilibre fragile, comme son héroïne, qui peut donner lieu à de multiples interprétations (désaccord totale entre ma voisine de fauteuil et moi d’ailleurs).

Non ma fille, tu n’iras pas danser, est un film sur la pression extérieure, sur la violence familiale et sociale faite à cette femme (aux femmes ?) sensible. Léna vit dans la culpabilité permanente, soigneusement entretenue (et causée fondamentalement sans doute), par l’ensemble de son entourage. Une femme sous influence donc, de ses parents d’abord, incapables de voir autre chose en elle qu’une inapte, incapables de lui faire confiance, jugeant à tour de bras ses actes, interventionnistes (ils invitent son ex, critiquent sa façon de tenir son appartement, et donc prenent les choses en main…). On imagine que cette présence pesante, cette pression permanente, n’est pas pour rien dans la fragilité de Léna, dont le potentiel ne peut pas s’exprimer, dont toutes tentatives d’évasion restent incomprises, jusqu’à l’évasion finale radicale. Cette fin est bouleversante, elle sonne comme une de fatalité, un cercle vicieux imbrisable quoi qu’on fasse, quoi qu’on tente, quel que soit l’amour et l’énergie dépensés. C’est d’une tristesse ineffable (Léna décide de partir, en abandonnant ses enfants. Son frère lui dit qu’ils ne comprendront pas, qu’ils lui en voudront. Elle répond que peu importe, puisque qu’ils lui en voudront de toutes façons).

Victime ou irresponsable Léna ? en fait, c’est la question à ne pas poser. C’est le piège dans lequel il ne faut pas tomber : le jugement, l’analyse du comportement de Léna. Bien que de pratiquement tous les plans, le film est finalement plus le portrait de l’entourage de Léna, que de Léna elle-même. On reste dans le subjectif, dans la façon dont les proches de Léna la perçoivent (y compris son « pas encore amant », qui se permet de décortiquer ses faits et gestes), plutôt que dans le vrai portrait. Du coup, toute tentative de jugement vis à vis de Léna tombe à plat, puisqu’on a qu’une vision partielle et subjective de cette femme. On peut lui reprocher d’être hystérique (mais entre traquenard et mauvaises surprises, n’a t’elle pas des raisons ?), de ne pas tenir parole vis à vis de son fils (elle ne va pas le chercher à l’école, mais pourquoi ? on l’ignore), d’être illogique, irrationnelle… on peut aussi dire que c’est une femme qui essaie de se trouver, dont la tromperie du mari (excellent Jean-Marc Barre, tellement raisonnable et puant de responsabilité face à sa folle d’ex-femme) a été le déclencheur d’une tentative de reconstruction, ou plutôt de construction, que personne n’accepte, une tentative de fuite du schéma traditionnel (travail, famille…) que tout le monde juge négativement. On sent le poids discret mais bien présent de la tradition dans cette famille, de la religion aussi. L’incursion dans la Bretagne du conte et du biniou au coeur du film est à la fois complètement décalée et complètement éclairante sur le film. Cet aparté raconte l’histoire de Katell, une belle jeune femme qui aime s’amuser : ses partenaires de danse meurent les uns après les autres, épuisés par la belle, qui finit par succomber au charme du diable, et d’en mourir de la même façon que sont morts ses partenaires.

Katell, Léna, des femmes qui paient cher leur envie de liberté, dans un monde où la tradition, la morale, la religion sont autant de facteurs d’anéantissement de la personnalité sous couvert de paix sociale et d’une recherche de bonheur à moindre coût (ou coup ?). Magnifique.

Chronique film : La belle personne

de Christophe Honoré.

la_belle_personne_800
Encore plus belle, caresse son visage de la souris et clique.

Vu ce film en avant-première sur Arte, mais comme il fait partie des sorties 2008, une petite critique s’impose. Une pointe de déception pour La belle personne, après l’énorme émotion qu’avait été pour moi Les chansons d’amour. Cette transposition de La princesse de Clèves dans une cour de récré de lycée est pourtant une bonne idée, même si mes souvenirs de l’ouvrage restent assez brumeux. D’ailleurs j’avais dû lire ça à peu près à l’âge des héros. Rétrospectivement, je me dis que l’éducation nationale ne fait pas grand chose pour insuffler la passion de la lecture aux gamins : la carte du Tendre enseignée par ma prof de première est un souvenir qui a dégoûté de l’amour quelques générations de périgourdins, faut pas s’étonner après que les gamins soient pas romantiques. Mais je digresse donc.

Le début de la Belle personne est très artificiel : dialogues travaillés dans la bouche de lycéens qui ne parlent que de Racine (pas Racines hélas, ils savent pas ce qu’ils ratent) et de sentiments amoureux. C’est parisien à mort, bobo à mort, et Honoré, visiblement n’a pas fréquenté un lycée populo de Province. Mais comme dans les Chansons d’amour, on finit par passer outre cet aspect du film et se laisser gentiment porter par l’histoire, mais on n’est jamais capté totalement, restant un peu en dehors du film.

La faute ne vient pas des acteurs, tous très bien (ahhhh Louis Garrel, gulps), bien qu’évidemment beaucoup trop âgés pour les rôles (en ce qui concerne les ados). La caméra d’Honoré est totalement respectueuse de ses acteurs, les filmant de très belle façon, mais je crois un peu paresseusement. Ça tâtonne un peu dans la manière de filmer son histoire, essayant même d’intégrer une chanson de Beaupain, comme dans son précédent film. Mais là le truc ne marche pas, trop isolé, trop artificiel. Comme dans le dernier Doillon, la prise de son est absolument catastrophique, on a beau tendre l’oreille, c’est insuffisant, on passe à côté.

Sans doute à revoir sur grand écran avec un son un peu meilleur pour mieux apprécier. Mais sinon, pas grand chose quand même.

Détail d’une peinture de Guido Reni « Anima Beata »,
Pinacothèque capitoline
(c’est pas joli ça « pinacothèque capitoline » ?)

Chronique film : Les chansons d’amour

 de Christophe Honoré

« Aime-moi moins, mais aime-moi longtemps« 

Dans un Paris tendance décrépit et grisâtre, on s’aime, on s’éloigne, on meurt, et on essaie de se reconstruire, tout ça, de préférence en musique, et en chansons.

Il y a quelque chose d’assez agaçant dans Les Chansons d’amour. Chez Honoré, on lit les bons livres (depréférence aux éditions de l’Olivier), on écoute la bonne musique, les lycéens déclament du Aragon dans les rues à 7 heures du mat’, et possèdent une bibliothèque digne de rendre jaloux les plus intellectuels des bobos, on est toujours fringué avec un détail retro-moche-qui-tue (d’ailleurs, Louis Garrel m’a volé mon écharpe-poulpe que j’ai faite de mes blanches mains). Bref, Honoré ne fait pas vraiment partie du même monde que le commun des mortels, on navigue dans un microcosme parisiano-parisien, et malgré quelques images de rues, de pauvreté et d’affiches déchirées, on n’en sort guère.

Mais voilà, les sentiments, les situations dont parle Honoré sont tellement universels que le contexte importe assez peu, il est même parfois un atout. Car dans cette sphère, il n’y a pas de tabous amoureux. Les sentiments ne dépendent pas d’un schéma type, ils naviguent de l’un à l’autre, garçons ou filles, à deux ou à plusieurs. Le film est mouvement, communication, liberté, et quand on n’arrive pas à se dire les choses, on les chante, et c’est d’autant plus poignant.

Honoré se révèle un maître es-personnages. En deux coups de caméra, et trois lignes de dialogues, il fait exister ses créatures de manière brillante,élégamment bien servi par sa pléiade d’acteurs, tous très justes.La mère poule, qui se mêle un peu trop des affaires de sa fille, la sœur aînée, oreille attentive et protectrice, la benjamine qui ne survit qu’avec un livre en poche. C’est très fin, et très précis, vraiment brillant. Et puis, évidemment, il y a Julie, la cadette indécise (Ludivine Sagnier), la lumière qui meurt trop vite, Ismaël, son fiancé qui n’assure pas toujours (Louis Garrel, en lévitation), et Alice, la troisième roue du tricycle, pont entre les êtres, et électron libre (Clotilde Hesme, lunaire).

Quand Julie meurt, de manière imprévisible et brutale, c’est tout ce petit monde là qui doit réapprendre à vivre. Et c’est magnifique de justesse et de pudeur. On est bouleversé à peu près toutes les deux phrases, sans pour autant qu’il y ait une once de pathos. Les sentiments deviennent universels, prennent de l’ampleur, chacun essaie de survivre comme il peut. Alors à ce moment là, on se fout que le petit breton ait l’accent auvergnat, que les play-back ressemblent à des post-synchros felliniennes, que les ados aient 25 piges, et qu’il y ait deux-trois longueurs. On se laisse emporter, on rit, on pleure et c’est assez magnifique. Peut-être pas le chef-d’œuvre du siècle, mais un bien beau film.