Chronique film : Au-delà

de Clint Eastwood.

Sur le papier, le sujet n’est pas très alléchant. Eastwood vieillissant qui s’attaque à la mort, ou plutôt à ce qu’on peut s’attendre à trouver après la mort, voilà qui peut laisser perplexe. Au travers de trois personnages confrontés plus ou moins directement à la grande faucheuse et dont les itinéraires se croiseront à la toute fin, la maître Eastwood compose une partition, qui, sans révolutionner le monde du cinéma, a franchement de la gueule.

La caméra du réalisateur a rarement était aussi fluide, d’une classe et d’une discrétion absolue, presque toujours en mouvement. Que ce soit dans les scènes “chocs” (le tsunami, l’accident de voiture), ou dans les scènes plus intimes, la caméra d’Eastwood réussit à trouver une distance absolument parfaite avec ses personnages, proche de leurs corps, de leurs émotions. On pense à Ang Lee dans cette façon de trouver une distance parfaite entre l’oeil et le personnage, jamais voyeur, mais sans éloignement non plus. Cette grande simplicité apporte une lumière extraordinaire au film, et c’est cette sensation de lumière qui prédomine quand la séance s’achève. Au-delà, malgré son sujet a priori sombre, est d’une extraordinaire luminosité, et on ressort de là heureux et ému, presque rassuré.

Mais ce qui séduit surtout, c’est que le film est émaillé de quelques séquences absolument irrésistibles, taquines et d’une grande beauté. Lors d’un cours de cuisine, Matt Damon fait déguster, à l’aveugle, quelques produits italiens à une Bryce Dallas Howard charmante comme tout. Cette petite scène, ultra-sensible, sensuelle, sorte de petit jeu du chat et de la souris est complètement adorable et craquante. Une autre scène fantastique, lorsque le petit Marcus perd la casquette de son frère jumeau récemment décédé dans le métro londonien. Il court au ras du sol, entre les pieds des usagers, dans cette forêt dense pour récupérer le souvenir de son frère. Ou encore Matt Damon, s’endormant grâce à des enregistrements des livres de Dickens. Ces scènes magnifiques font oublier les points faibles du film, notamment toute la partie “française”, avec une Cécile de France et un Thierry Neuvic, qui ont vraiment du mal à tenir la route face à un Matt Damon, juste parfait. On oublie aussi l’esthétique assez décévante par rapport à ses dernières réalisations (malgré quelques contre-jours à tomber dont Eastwood seul à le secret), le scénario, pas vraiment convaincant (honnêtement, on ne sait finalement pas vraiment ce qu’il a envie de nous raconter).

Mais comme je l’ai dit, quelques scènes mignonnes comme tout raflent la mise, et finissent par remporter l’adhésion. Le film est résolument tourné vers le vie et les plaisirs sensoriels (le goût via la cuisine, l’ouïe via les cassettes qu’écoute Damon pour s’endormir, le toucher bien entendu …). Pas un grand Clint, c’est sûr, mais un Clint qui a du coeur et du sentiment. J’aime. Beaucoup.

Chronique film : Invictus

de Clint Eastwood.

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Un ballon de rugby ne reste pas longtemps solitaire.
Clique avant la ruée. 

Clint Eastwood prouve encore une fois que simplicité n’est pas synonyme de simplisme. Invictus est magnifique, car magnifiquement lumineux, évident. J’ai passé 2h entre rire et larmes (certes ma super sinusite a particulièrement exacerbé la partie larmes). Sur un sujet vraiment casse-gueule (si, si, avouez), l’élection de Nelson Mandela et la façon peu orthodoxe qu’il utilise pour unifier l’Afrique du Sud, un des pays, si ce n’est le pays le plus clivé des années 1990. C’est en soutenant l’ascension spectaculaire de l’équipe de rugby sud-africaine, les Sprinboks et leur conquête de la coupe du monde en 1995 que Mandela pose la première pierre de la difficile mission qu’il s’est fixé, construire une nation soudée, où les discriminations et préjugés réciproques s’effacent.

Sous l’aspect un peu « anecdotique » de cette méthode, et derrière le lissage (inévitable ?) du film, qui omet quelques détails sur cette finale 95 qui ont cependant leur importance, Eastwood arrive cependant à réaliser un film très profond, et d’autant plus efficace que le bougre sait parler au coeur et aux tripes des gens pour mieux leur agiter les neurones. Et le parallèle avec la méthode de Mandela (impeccable Morgan Freeman, mais on en attendait pas moins de lui) est frappante : Eastwood/Mandela, même combat, où comment utiliser ce qui fait vibrer les gens pour mieux réveiller les consciences, l’art et le sport, deux « disciplines » a priori futiles, inutiles, sans bénéfice matériel, et pourtant d’essentiels facteurs d’évolution des mentalités. D’ailleurs Mandela utilise également l’Art, la poésie, pour réussir à rester debout durant sa détention notamment. Et il partage ce poème, ce socle (Invictus de William Ernest Henley dont je vous conseille vivement la lecture) avec le capitaine de l’équipe de rugby.

Partage, générosité, connaissance mutuelle, voilà les valeurs avec lesquelles Mandela dirige. Il force les joueurs de l’équipe à réaliser une tournée dans les quartiers sud-africains : mal perçue au départ par les joueurs (qui auraient préféré se ménager avant le tournoi), cette tournée sera pourtant la source de leur force. Très beaux plans que ceux de ces culs blancs à l’abri dans leur bus qui traversent et découvrent les quartiers miséreux de leur pays. Médiatisée (Mandela prône la paix, mais a bien les pieds sur terre), cette tournée va souder derrière l’équipe tout un pays, et va ancrer l’équipe dans la réalité d’un pays. Et c’est par le collectif, au sein de l’équipe, autour du stade et aussi en dehors, que cette finale va devenir un moment historique, symbolique de la réconciliation d’un peuple.

On sent chez Eastwood une véritable fascination pour Mandela, un respect immense pour son combat, son parcours, sa force de conviction, sa grande sagesse sans naïveté. Très beau plan en clair-obscur de Mandela habillé en blanc, travaillant dans son bureau plongé dans l’obscurité. Un ange blanc qui se détache de l’obscurantisme : cet homme là a dépassé toutes les petitesses humaines pour atteindre une sagesse lucide et éclairée. Il n’est pas facile de pardonner, c’est un chemin long et douloureux. Atteindre une telle grandeur d’esprit, après avoir vécu le pire, tout en restant intrinsèquement tourné vers les autres est immense. Et pourtant il n’est qu’un homme, comme nous le renvoie sa fille rancunière.

La caméra d’Eastwood est très souple, féline, tout le long du film. Evidente. Et faire simple n’est pas simple. Et même si, comme d’habitude, je déplore son goût pour la musique sirop, et les ralentis un peu too much, Invictus est un sacrément beau moment, qui touche là. Profondément.

Chronique film : Gran Torino

de Clint Eastwood.


Encore plus carte postale, clique image.

C’est avec un grand plaisir qu’on retrouve le grand Clint à l’écran. Vieillissant, certes, mais l’oeil toujours aussi pétillant. Le bougre n’hésite pas se foutre de sa propre gueule avec délectation. Son personnage est vieux, réac, raciste, un chouia nerveux, bref une espèce d’inspecteur Harry décrépit, et donc complètement anachronique. C’est une belle revanche pour lui de jouer des tares dont on l’a souvent accusé, et il s’en donne à coeur joie. Chaque haussement de sourcil, chaque grognement d’ours me faisait bondir de joie de mon fauteuil. Le film est par ailleurs souvent très drôle, et le plaisir communicatif. J’étais par ailleurs un peu soulagée que Clint confie la musique à son fiston, ça nous évite ses sempiternelles 5 notes (jolies par ailleurs) au piano, mais qui commencent à faire long feu.

J’ai récemment vu passer un article sur le site des inrocks fustigeant l’engouement de la critique pour ce film, et contestant l’humanisme du grand Clint. J’avoue ne pas bien comprendre cet acharnement, le film lui permettant de tourner la page Dirty Harry, sans la déchirer. Mine de rien, Eastwood dresse un portrait de l’Amérique, dans tous ses paradoxes, ses composantes. Oui, Dirty Harry et la violence, ce sont aussi des facettes de l’Amérique, et l’immigration et le communautarisme en sont d’autres. Mais le geste final d’Eastwood dans le film permet de dépasser ces composantes et d’affirmer que ok, on a merdé, on merdera encore, mais on peut au moins essayer de transcender tout ça.

L’Amérique de demain ne sera pas celle d’hier, elle est rentrée dans une nouvelle ère, et Eastwood passe le relais à une nouvelle génération. Le beau plan final est à la fois un message d’espoir mais aussi un avertissement : Tao s’enfonce avec la Gran Torino dans un décor de carte postale, une Amérique clinquante, un cliché : Il fait/il est maintenant cette nouvelle Amérique, porteuse d’espoir, mais qui doit se méfier de ne pas retomber dans sa superficialité et son conformisme. Gran Torino est donc un très bon film d’Eastwood, à voir, les yeux grands ouverts (jai rarement écrit un truc aussi kitshcou quand même).

Chronique film : L’échange

de Clint Eastwood.


Encore plus tout seul, clique sur l’ombre de la roue arrière.

Y’a pas à dire : Clint Eastwood c’est la grande classe. Même dans une salle honteusement non chauffée, même avec un film de plus de deux heures, Clinty réussit à tenir en haleine et à faire verser une chtite larmouille (qui a gelé de suite sortie de la glande lacrymale). Bref, il est trop fort ce Clint, et je n’arrive pas à lui en vouloir de ne jamais avoir répondu à mes propositions de mariage. L’échange est un beau film, sobre, classique et efficace, dont on reconnaît le metteur en scène dès le premier plan et surtout dès les trois premières notes de musique, grosso-modo toujours les mêmes depuis quelques pelloches.

Christine Collins est ce qu’on appellerait aujourd’hui une célibattante : mère d’un petit garçon, délaissée à la naissance du marmot par un homme incapable d’assumer ses responsabilités, une mère courage qui bosse dure. Pas très original, sauf qu’on est en 1928. Eastwood réussit à éviter tous les clichés, et ainsi à focaliser son histoire sur l’amour absolu maternel : Christine Collins n’est pas dans la dêche, elle gagne bien sa vie, bouleversant ainsi le stéréotype de la fille-mère pauvrette. Mais tout son monde s’effondre lorsque son enfant, Walter, disparaît. Elle part à la recherche de son môme avec une obstination qui dérange.

Ce qui fait du bien aux yeux déjà, c’est la magnifique reconstitution historique du film. On s’y croirait en 1928, et on est à la limite de se demander si le Clint n’aurait pas rangé des mouchoirs d’époque dans les tiroirs des commodes, façon Visconti. Les costumes sont également traités de très belle manière, jusqu’à constituer à Angelina Jolie une garde-robe cohérente et réduite, qui finit par faire sens (elle garde son col de fourrure rousse à la fin, incapable de se forger une nouvelle vie, de passer à autre chose). Au niveau de la photographie, on est dans la veine des clair-obscurs qui commence à sérieusement signé le style Eastwood. Comme dans Mémoires de nos Pères et les Lettres d’Iwo Jima, l’image semble un peu désaturée, mais cette fois-ci plutôt dans le sépia que dans le bleu-gris. La seule note de couleur étant également le rouge, plus le rouge sang, mais le rouge à lèvre écarlate de Christine Collins, traité avec un soin maniaque.

Ce qui me touche chez Clint, c’est la simplicité, sa révolte on va dire « premier degré », sa façon de faire passer des messages sous une forme accessible, souvent via le moteur de l’émotion. L’élégance absolue de sa mise en scène, sa direction d’acteurs millimétrée, font absolument tout passer, des sujets les plus légers (le polar basique à la Créance de sang), les plus violents (la guerre à maintes reprises), voire suversifs (je ne peux pas m’empêcher de croire qu’un film comme Breezy aujourd’hui serait absolument immontable, l’amour partagée d’une gamine et d’un quasi pépé). Et mine de rien, sous ses aspects éternellement classieux et respectueux, la filmo du chef montre qu’il a un sérieux problème avec l’autorité et le pouvoir, ou du moins les dérives de l’autorité et du pouvoir. Dénonciateur des injustices sous toutes ses formes, s’interrogeant perpétuellement sur les notions de bien et de mal (jusqu’à réalisé deux films sur le même sujet, mais de deux points de vue différents), Clint Eastwood trace en douceur, avec émotion et classe mais également révolte et frontalité, une oeuvre personnelle, diversifiée et totalement cohérente. Un grand monsieur.

Chronique film : Lettres d’Iwo Jima

de Clint Eastwood (Lettres d’Iwo Jima)

Second volet eastwoodien sur la bataille d’Iwo Jima, après Mémoires de nos pères. Un sujet, deux points de vue. On est ici du côté nippon, après la vision américaine (renseignements zici).

Bien moins complexe dans sa construction temporelle que son prédécesseur, Letters from Iwo Jima est relativement linéaire, bien qu’éclaté entre plusieurs personnages : un jeune boulanger enrôlé de force pour servir l’empereur, un capitaine cavalier, médaille d’or aux JO de Los Angeles, un général américanophile, humaniste et artiste, un caporal fou furieux…

Comme dans Flags of our fathers, l’image est désaturée à l’extrême, à l’exception du rouge, rouge des flammes, rouge sang, rouge du drapeau japonais. C’est magnifique et cracra en même temps, ça reflète ce qu’est la guerre du dedans, crade, bourbeuse et poussiéreuse, déglamourisant complètement tous les attraits potentiels de la chose.

Tourné en japonais, avec des acteurs japonais tous excellents (sacré défi, remporté de ce point de vue là haut la main), Letters of Iwo Jima est très lent, sans pour autant ennuyer, malgré ses 2h19. Alternant scènes d’introspection des personnages (le général, et le boulanger écrivant à leurs familles, le champion et son cheval, le caporal fou faisant le mort au milieu d’un charnier, des bombes posées sur sa poitrine), scènes de groupe (notamment une scène de hara-kiri à la grenade assez sidérante), et scènes de batailles désolantes, Eastwood donne à chaque échelle de l’histoire son sens, ou plutôt tout son non-sens.

Car Letters from Iwo Jima, comme son alter ego américain, est un film profondément pacifiste. Si aux Etats –Unis, c’est le culte de l’héroïsme public qui est la cible du tir, ici, c’est le culte du dévouement à l’empereur, à la nation, au code de l’honneur nippon qui en prend un coup. Le film se met à hauteur d’hommes, démontre avec force que quelque soit la culture, les hommes sont finalement tous les mêmes, capables du meilleur, comme du pire, emprisonnés pour la plupart dans un mode de pensée codifiée qui ne peut amener qu’au pire.

Letters from Iwo Jima n’est certes pas le meilleur Eastwood, mais un film de bonne facture, profondément humaniste, qui a enfoncé le clou de mon pacifisme encore un peu plus profond.

PS : j’allais faire une blague nulle sur la façon de dire « Général » (ou capitaine, j’en sais rien), en japonais, mais Gols l’a déjà faite .