Chronique livre : Ascension

de Ludwig Hohl.

ascensionBel objet que ce livre publié par les Editions Attila. Ascension relate la joyeuse randonnée en montagne de deux alpinistes, un chevronné, l’autre moins. Dans des conditions météorologiques déplorables, ils tentent d’atteindre un sommet inaccessible. Les deux hommes ont des caractères et des motivations différentes. Leurs antagonismes se matérialisent dans des conditions d’ascension impossibles.

Les livres sur la montagne, ce n’est pas vraiment mon truc. Continuer la lecture de Chronique livre : Ascension

Chronique livre : Un roman russe

d’Emmanuel Carrère.

J’ai reçu en héritage l’horreur, la folie et l’interdiction de les dire. Mais je les ai dites. C’est une victoire.

Je sors à la fois blessée et enthousiasmée par Un roman russe. Encore dans le souvenir de Limonov, je ne m’attendais pas à ce déballage de vie privée de la part de l’auteur. Déballage qui m’a rendu mal à l’aise au point de devoir arrêter, par moments, la lecture du livre.

Emmanuel Carrère nous raconte en effet l’apogée et la dégradation du couple qu’il formait avec une jeune femme nommée Sophie. Impudique, cette partie de l’histoire l’est à plus d’un titre, non pas dans son volet érotique (ou pseudo-érotique, car jamais tentative de littérature émoustillante ne m’a laissé aussi glacée), mais surtout dans la manière dont Emmanuel Carrère se décrit : comme un sale type dirigiste. Si un millième de ce qu’il raconte est vrai, on peut dire que oui, Carrère est réellement un sale type, et surtout qu’il adore se complaire et se vautrer dans cette description de lui-même. C’est brillant, je ne dis pas, mais je ne comprends pas ce que tout ça apporte au livre, du moins ce que le fait de développer cette histoire sur plus de la moitié du roman apporte au livre. C’est exactement pour ça que je n’ai aucune envie de lire du Angot : j’aime le recours à l’autofiction dès qu’il s’agit de l’intime, on y touche au plus vrai, au plus juste, au plus universel. Dans tous leurs détails factuels, l’intime d’Emmanuel Carrère et sa rupture amoureuse, unique sur la forme, banale sur le fond, resteront à jamais l’intime et la rupture amoureuse d’Emmanuel Carrère. Le lecteur, s’il n’est pas voyeur, n’a qu’à aller se rhabiller, il n’est pas le bienvenu dans cette partie du roman.

Beaucoup plus intéressante par contre l’histoire d’Emmanuel et de la Russie. Plusieurs tiroirs dans ce récit, les rapports d’Emmanuel Carrère avec la langue russe, l’histoire familiale maternelle, boîte de Pandore enfin ouverte, et les voyages de l’auteur dans un bled paumé de la Russie, Kotelnicht, durant lesquels lui et une équipe tournent un documentaire. Là, on retrouve l’écriture de Carrère qu’on a aimé dans Limonov, cette manière de raconter son histoire en créant des liens entre tout et rien, de transformer un voyage sordide, un bled sordide, en un lieu qui catalyse les tensions, les siennes, celles de sa famille et de la Russie. On y croise des personnages qui sous la plume de Carrère deviennent de vrais personnages de romans sans perdre de leur humanité. Il réussit à créer un mystère, une tension, qui se termine dans un bain de sang à la hache, et permet de faire la connaissance d’un vieille femme imbibée tout droit sortie de chez Dostoïevski. Là, c’est vraiment brillant, dans l’écriture, les noeuds qu’il entend défaire.

C’est d’ailleurs une étrange coïncidence que d’avoir choisi Un roman russe après avoir lu L’effrayable, dont les thématiques sont approchantes : nous sommes les héritiers d’une histoire familiale, qui, si elle n’est pas dite peut tout détruire. Tout ça est fait avec beaucoup plus de subtilité chez Carrère que chez Becker, dans des approches formelles complètement opposées. Une deuxième incursion dans l’univers de Carrère en demi-teinte par rapport à l’éblouissement Limonov, avec tout de même l’envie de continuer à découvrir cet auteur. Enfin ses textes. Seulement ses textes.

Ed. Folio 

Chronique livre : L’année de la pensée magique

de Joan Didion.

Ah la la très difficile d’écrire cette chronique. Si j’étais un tantinet superstitieuse, je dirais que les malédictions existent et qu’il y en a une qui plane par là. C’est une amie très chère, fort cultivée et au goût très sûr qui m’a offert ce livre. Et chaque fois (ou presque) qu’elle me conseille un livre, après l’avoir entamé avec gloutonnerie, force est de constater qu’il me tombe des mains. Celui-là devait être le livre qui rachèterait tous les conseils précédents, celui que je ne pouvais pas ne pas aimer. Bon c’est encore loupé. N. ne nous décourageons pas, je suis sûre qu’un jour ça marchera.

Ne connaissant pas du tout Joan Didion, c’est d’un oeil totalement neutre que j’ai entamé L’année de la pensée magique (titre déjà pas terrible me semble, mais bon). Cette année-là donc, Joan Didion n’a pas vraiment eu de chance : elle perd son mari d’une crise cardiaque, et sa fille tombe gravement malade. Visiblement cette grande intellectuelle est une femme forte, genre une super-woman, et le deuil provoque chez elle des phénomènes dont elle n’a pas l’habitude : retours en arrière continuels, incohérence du comportement… ce qu’elle supporte avec beaucoup de difficulté. Ne comprenant pas ce qui lui arrive, elle se plonge dans des ouvrages sur le deuil pour essayer d’analyser ce qui se passe en elle. Le livre devient alors une suite quasiment ininterrompue de digressions sur la vie en commun de Didion et de son mari, entrecoupées de références sur le deuil, ou sur la vie en général.

Ecrit un ans après la mort de son mari, L’année de la pensée magique est clairement une catharsis pour l’auteur, incapable de faire face à ses émotions (qui semble d’ailleurs plus encline à analyser ses émotions qu’à les vivre pleinement). La démarche est totalement personnelle, tout à fait respectable, et probablement salvatrice pour Didion. Malheureusement, elle nous propose de lire ses états d’âme, ou plutôt ses pensées et réflexions. Et c’est là que ça coince. Didion écrit pour elle, pas pour ses lecteurs, dans une espèce de monologue intérieur décousu. Rameutant dans ses propos ses connaissances et amis (visiblement nombreux), ses références culturelles (visiblement nombreuses), ses souvenirs avec son mari (visiblement nombreux), elle n’ouvre jamais la porte au lecteur, écrivant de manière opaque, obscure, absconse (oui tout ça à la fois). On est complètement perdu, on ne comprend rien au message qu’elle veut nous transmettre (ou plutôt à ce qu’elle cherche à éclaircir en elle), on relit les pages vingt fois pour essayer de discerner ce qu’il y a à extraire de son verbiage chichiteux, et qui apparaît au final assez prétentieux. Le personnage de Didion, au lieu d’apparaître émouvant dans son deuil et sa quête de lumière, semble assez antipathique : superwoman à qui tout a réussi dans la vie, visiblement peu capable de se remettre en question ou d’écouter les autres, d’éprouver de l’empathie pour les autres et qui, pour la première fois de sa vie est confrontée à un drame. Son niveau d’auto-analyse (pour ce que j’ai pu en comprendre, vu que je n’ai pas compris grand chose) est incroyablement faible (oh lala perdre quelqu’un, ça fait péter les plombs. Ah bon ?), et n’est nullement compensé par une écriture intéressante.

On aurait aimé un peu plus de coeur, de sentiments intimes, de tripes, au lieu de toutes ces digressions. On se demande bien ce qui a pu pousser l’auteur à vouloir publier ce texte, fort respectable dans sa démarche de tentative de guérison, mais trop personnel et superficiel pour vraiment raisonner au coeur, à l’intime et l’universel du lecteur. Déception déception. Allez, la prochaine fois sera la bonne.

Chronique livre : La Fille sans qualités

de Juli Zeh.

fillesansqualites_300Blablablablabla. Ouf, voilà ma pavasse des vacances achevée, et j’en suis assez contente. Pas du livre, mais d’avoir pu le terminer rapidement grâce à quelques heures de liberté. En 2007 paraissait donc La fille sans qualités, épais roman contemporain écrit par une jeune avocate allemande et bourlingueuse, Juli Zeh. Je me souviens vaguement d’avoir entendu parler du bouquin à l’époque, il me semble qu’il avait fait sensation. Mouais.

Le projet de Juli Zeh ne manque pas d’ambition. Au moyen de personnages en apparence anodins (des lycéens et des profs), mais en réalité “bigger than life”, l’auteur s’est lancée dans l’entreprise couillue de décrire une génération, la génération post-11 septembre, post-guerre en Irak. La voilà donc qui met en scène ses protagonistes dans un jeu machiavélique. Ada et Alev, deux lycéens, manipulent avec dextérité un professeur de sport gentil comme tout. Ça finit mal nous dit le quatrième de couverture pour nous allécher (un “bain de sang”), en fait tout ça finit plutôt très bien si on considère la perversité des personnages. Du coup, mon esprit malsain a poussé un petit soupir du genre “tout ça pour ça” après avoir refermé le livre.

Ada, c’est la fille sans qualités du titre. Sans qualités à prendre plutôt dans le sens de in-qualifiable, c’est à dire impossible à qualifier. Grosso modo, Ada se définit comme un produit du nihilisme et de l’Histoire, une nouvelle étape de l’évolution de l’espèce humaine (rien que ça) qui ne croit en rien, à qui tout est égal, ou plutôt à qui tout est équivalent. Dans ce désert de désirs, la seule alternative possible pour secréter de l’adrénaline est le jeu, un jeu dangereux dont les règles sont inventées au fur et à mesure par l’impuissant (au sens physique du terme) Alev. Dans ce qu’Ada et Alev considèrent comme un désert intellectuel, peuplé de “princesses”-cruches ou de rockers-déjàdépassés, leur brillante intelligence laisse tout le monde KO, et ils en jouent comme de petits démons.

L’ambition de Juli Zeh est donc immense de vouloir décrire une nouvelle génération d’adolescents, revenus de tout, déjà vieux avant d’être

jeunes, enfants de familles malmenées, qui ont dépassé le stade de la carapace de protection contre l’extérieur pour une absence totale de désirs, de croyances ou de sentiments. L’idée n’était pas mauvaise, malheureusement, la réalisation l’est beaucoup plus. J’avoue déjà avoir du mal à trouver de l’intérêt dans ces personnages “bigger than life”, à l’intelligence ultra-développée qui ne parlent que par sous-entendus qu’eux seuls et l’auteur peuvent comprendre, contrairement à la pauvre cervelle du lecteur moyen. Juli Zeh est probablement brillante, mais pas suffisamment pour qu’on y croit vraiment. Les dialogues sont faussement profonds, laborieux et au final assez mauvais. Par ailleurs, Zeh est affligée d’une tare que je croyais franco-française : le recours à la référence culturelle à outrance. C’est plombant de se voir imposer une culture qui n’est pas la nôtre (pas la mienne en tous cas) à longueur de pages. Ça rebuterait presque de se plonger dedans. Mais surtout, le principal défaut de La fille sans qualités, c’est sa totale absence de style. Quelle lourdeur, quel verbiage, que de blabla pour rien. Le même livre réduit au tiers aurait été nettement plus intéressant, mais Zeh dans sa folle ambition d’écrire un grand roman contemporain se plaît à en rajouter des tonnes, et ce, dans un néant stylistique abyssal.

On lit le livre en serrant les dents, à la recherche d’une seule phrase un peu bien écrite qui montrerait qu’il y a une écrivain sous cet épais manteau de mots. Mais non. Et c’est dommage. Il y a dans ce livre des idées, de la culture, de l’ambition, mais pas encore d’écriture. A voir ce que son nouveau roman va nous raconter sur l’évolution littéraire de la demoiselle.

Chronique livre : Comment les riches détruisent la planète

d’Hervé Kempf.

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Même si piquant, à protéger. Mets-y les doigts, et clique.

Voilà un bouquin essentiel à mettre entre absolument toutes les mains. Hervé Kempf est un journaliste tout ce qu’il y a de plus sérieux, qui sait que, justement pour être pris au sérieux, il y a nécessité à être factuel et précis. Son livre est donc complété par une très impressionnante bibliographie mêlant des références scientifiques, sociologiques ou économiques et extraits de journaux. Ses potentiels détracteurs devraient donc se casser copieusement les dents en essayant de discréditer ses théories. La très grande qualité de ce livre est de lier intimement écologie et social. Les « écolos », dont je fais partie, sont souvent considérés comme des doux rêveurs ou au contraire des ayatollahs capables de sacrifier père, mère, et humanité en général au profit des petits fleurs et des baleines. Kempf démontre par A plus B, que vouloir sauver l’homme et améliorer ses conditions de vie passe par la préservation et la restauration de l’environnement. La crise sociale actuelle est indissociable de la crise écologique puisque celle-ci provient de visions économiques toujours tournées vers le productivisme. L’équation croissance = travail est désormais obsolète, il y a nécessité à trouver des voies différentes, réinventées afin d’assurer à l’Homme et la planète une cohabitation plus harmonieuse et durable.

Les propos de Kempf sont très étayés, et le livre est vraiment passionnant, réussissant à mettre des mots sur ce qu’on intuite mais qu’on ne réussit pas forcément à verbaliser. Il cite notamment un économiste américain d’origine norvégienne du XIXème siècle, Thorstein Veblen, dont la pensée et les écrits sont totalement visionnaires et indispensables. Visiblement un grand mons

ieur qui prend à contrepied toutes les postulats économiques considérés comme inamovibles. Brillant. Le livre est émaillé de phrases chocs et salvatrices, du genre qui surtout ne passeront pas à la télé car totalement subversives et dangereuses pour les pouvoirs en place : il est toujours tabou de dire qu’il faut moins consommer, que la croissance matérielle appauvrit la planète et donc les hommes, que notre démocratie chèrement gagnée est en danger par la faute d’une oligarchie toujours plus repliée sur ses inutiles amas de richesses. Le livre sous des dehors un peu éclatés entre écologie, économie, social, démocratie, fait le lien entre toutes ces notions et ose courageusement regarder les choses en face, de pointer du doigt les responsables (et les responsabilités sont très partagées), et de proposer des solutions.

A lire, à retenir, et à appliquer.