Chronique livre : Je viens

d’Emmanuelle Bayamack-Tam.

Mon père m’a tuée, mais c’est ce que font tous les pères. Mon père m’a tuée, mais ma mère avait commencé avant, et comme je ne suis pas morte, on a bien le crime parfait (…).

Je viensIl fallait bien ça, l’énergie irrésistible de l’écriture d’Emmanuelle Bayamack-Tam, pour me redonner le goût d’écrire. Je viens ne constitue certes pas le choc monumental qu’avait été Si tout n’a pas péri avec mon innocence, la découverte de ce bouillonnement littéraire, ce jaillissement de vie mal-poli et irrésistible. Mais tout de même. Continuer la lecture de Chronique livre : Je viens

Chronique livre : Nouons-nous

d’Emmanuelle Pagano.

J’ai connu avec elle la sensation à bascule d’être presque heureux, au bord de l’ouverture, et la certitude qui l’accompagne : ça ne durera pas.

nouonsnousQuel est le lien entre les gens ? Qu’est-ce qui rapproche, sépare les gens qui s’aiment ou ne s’aiment plus ? Qu’est ce qui nous relie à l’autre, fait que, tout d’un coup, l’autre a une existence à nos yeux, singulière entre toutes ? Ce sont ces difficiles questions qu’Emmanuelle Pagano aborde dans Nouons-nous. Mais pas de thèse ici, des fragments, souvent poétiques, d’impressions, de pensées, de souvenirs qui parlent de l’autre, la femme, le mari, l’amant, l’inconnu croisé au hasard. Continuer la lecture de Chronique livre : Nouons-nous

Chronique livre : Le roman d’un être

de Bernard Noël.

leromandunetreEn littérature il y a des grosses claques, Le roman d’un être en est une, à la fois par la rencontre avec le personnage dont il est question ici, le peintre Roman Opalka, et par la rencontre avec l’écriture de Bernard Noël. Roman Opalka est né en 1931. Dès 1965, il a choisi une direction pour son oeuvre qu’il conservera jusqu’à sa mort. Il peint sur des toiles de plus en plus blanches, au format immuable, la suite des nombres, en partant du 1 primordial, puis 2, puis 3… En parallèle il se photographie, chaque jour, vêtu de la même chemise et sous une lumière identique. Continuer la lecture de Chronique livre : Le roman d’un être

Chronique livre : Si tout n’a pas péri avec mon innocence

d’Emmanuelle Bayamack-Tam.

sitoutnapasperiavecmoninnocenceAhlala, pas facile de vivre quand on a un cerveau en état de marche dans un famille nombreuse qui n’en compte aucun autre. C’est ce que nous raconte Kimberly, en nous faisant le récit de sa vie, depuis sa naissance lorsqu’elle atteint ses neuf ans (si si), jusqu’à sa majorité et son émancipation. Une force de la nature cette Kim, à la fois lucide, sans concession, mais également tendre et attentionnée. C’est un animal aussi physique (le corps est un des enjeux centraux du livre), qu’intellectuelle, tombée en poésie quand elle est mioche, comme on tombe en religion. Continuer la lecture de Chronique livre : Si tout n’a pas péri avec mon innocence

Chronique livre : Forêt noire

de Valérie Mréjen.

Forêt NoireVoici un livre d’une gaieté extrême. On y croise que des morts. Accidentés, suicidés, c’est un catalogue de décès, des plus banals, aux plus absurdes ou tragiques. Et s’enchevêtrant à cette liste macabre, l’auteur imagine une balade dans les rues de Paris avec le fantôme de sa mère.
Le livre ne ressemble qu’à lui-même. Et cette sorte de litanie des morts dont on croise le chemin possède une espèce de douceur étrange, quasiment hypnotique, comme pour exorciser la peur de la mort, de l’absence, du manque.

On devine (peut-être à tort) d’après la quatrième de couverture que le livre est une illustration de la question “à quoi vous fait penser une forêt noire ?”. La “forêt noire” induit dans la psyché de Valérie Mréjen l’irruption de fantômes, mais également des réminiscences d’enfance et d’adolescence, dans un mélange de légèreté et de gravité tout à fait à l’image du livre.

Il n’est parfois pas évident de discerner ce qui relève de l’autobiographie ou de la litanie macabre, mais une grande homogénéité se dégage pourtant de l’ensemble. Les personnages se suivent, sans lien apparent, à part cette proximité et/ou ce contact avec la mort. Valérie Mréjen a choisi un style neutre, presque distant. La référence à Depardon prend tout son sens, dans cette démarche de recherche d’une sorte d’objectivité humaniste, qui n’est pas synonyme d’absence de regard ou de point de vue, mais bien la mise en avant du sujet et non du narrateur/réalisateur.

Et puis ce qui m’a particulièrement touché, c’est cette attention portée aux détails les plus anodins du décor. Quelques soient les circonstances, l’esprit de Valérie Mréjen se concentre sur une poignée de porte, l’anse d’une tasse, un poster au mur, une image de cinéma ou encore une référence populaire. Et cette manière de mettre en lumière le trivial, l’insignifiant est particulièrement juste, parce que c’est bien ça qui, dans ce contexte d’irruption de la mort, s’imprègne dans l’esprit, hante les souvenirs, et finit par faire sens. Un livre juste, touchant, grave et lumineux.

Ed. P.O.L