Chronique livre : Peindre, pêcher et laisser mourir

de Peter Heller.

peindre-couvNon mais comment ils sont forts ces ricains quand ils s’y mettent. Dans son deuxième roman, le très prometteur Peter Heller, découvert en France grâce à la magnifique Constellation du chien, déploie à nouveau des trésors d’humanité poétique et rugueuse.

Un petit mot d’abord sur ce sublime titre français, Peindre, pêcher et laisser mourir (en VO, The Painter…), sorti d’on ne sait où, mais dont on bénit le créateur. Ce titre dit tout du roman et pourtant si peu à la fois.

Un peintre au passé chaotique, englué dans le deuil de sa fille qu’il n’arrive pas à négocier, s’isole pour peindre et pêcher dans un coin de campagne presque perdu. Au cours d’une virée de pêche, il sauve de la main brutale de son propriétaire, une petite jument. L’esprit naïf du lecteur se dit alors qu’on va avoir droit classiquement à une histoire de rédemption et peindrepecheretlaissermourird’acceptation de soi et de sa douleur par le sauvetage d’un être plus faible et fragile. C’est sans compter sur le tempérament légèrement sanguin de notre héros et  l’immense talent de Peter Heller qui nous entraîne dans une course-poursuite échevelée et déchirante, ponctuée par des pauses « pêche, peinture et flash-back » sidérantes d’audace et de beauté. Oui, il y a de l’audace à « casser » sa ligne narrative de cette manière-là, quand le mec à envie de pêcher, il largue tout pour pêcher, quand Peter Heller a envie de raconter le frétillement de la truite et le comportement de la mouche, il largue tout pour raconter le frétillement de la truite et le comportement de la mouche. L’auteur réussit à faire coïncider la forme de son roman avec la complexité de son personnage, sans chercher le confort pour le lecteur et les chemins balisés.

Ce qui bluffe dans ce roman, c’est sa capacité à révéler les nuances. Comme les peintures du héros, compositions faussement simples et naïves, Peter Heller réussit à superposer les couches de complexité dans les agissements de son héros, sans oublier d’ailleurs ses personnages secondaires, bigrement réussis. On est complètement fasciné notamment par le « traqueur vengeur », sorte de double négatif du héros, à qui on doit un final tout en ambiguïté.

Rugueux, mal peigné, parfois bancal, Peindre, pêcher et laisser mourir contient tellement d’intelligence, d’humanité, de finesse et d’honnêteté qu’on ne peut que hurler de joie et vous conseiller avec insistance la lecture de ce roman magnifique et poignant.

Trad. Céline Leroy.
Ed. Actes Sud.

 

Chronique livre : Crash-test

de Claro.

« vous êtes ::: le dépassement, l’expérience des parallèles »

crash-test800Ouvrir un livre de Claro, s’est se soumettre au vertige et à la peur de perdre pied. S’est aussi prendre le risque de s’ouvrir à un univers plus grand et plus intense dans lequel chaque détail revêt le poids du monde.

Crash-test s’ouvre donc par son titre, cette collision entre l’hommage au maître de la tôle et du sexe (J. G. Ballard, je te salue) et ce test fondateur de l’écriture de Claro, maître de l’expérimentation et de la trituration de la langue.

Trois histoires, Crash, Porn, Strip, ou plutôt trajectoires, qui se croisent et se percutent, montent et descendent dans l’effervescence des années 70. On est dans l’air de l’industrialisation de masse, de la démocratisation de la consommation et de la désincarnation progressive, symbolisées ici par ces trois trajectoires de métal, de sang et de cul. Celui-ci enfourne des cadavres à peine froids dans des voitures destinées à la désintégration pour que d’autres puissent rouler en toute sécurité dans leur cercueil de fer, celui-là bâtit son enfance sur des magazines pornos pour échapper à la violence alcoolisée familiale, celle-là s’effeuille en racontant la vie de Linda Lovelace et la naissance du porno moderne. Trois histoires distinctes donc, mais qui pourtant entrent en résonance et dont les frontières, malgré la rigueur du chapitrage (je déteste ce mot), sont floues et poreuses.

Au-delà de l’intelligence du fond (chaque phrase pourrait grosso modo donner lieu à une thèse de 800 pages) et de la construction claire, précise, tranchante, mais vivante et mouvante, c’est l’audace de l’écriture qui envoie du lourd. Claro se permet absolument tout, du récit presque linéaire à l’explosion totale de la langue. C’est sublime, inventif et profond. On s’émerveille à chaque page de la manière dont tout glisse, puis se rattrape et martèle, se pose et s’enfuit. C’est de la poésie pure, mais c’est aussi un roman, un roman sur hier, mais ultra-contemporain, et qui donc ne fait que parler d’aujourd’hui et de demain.

Avec Crash-test, Claro réussit à trouver une espèce d’équilibre aussi magnifique qu’instable entre son courant expérimental (Plonger les mains dans l’acide) et ses aspirations romanesques (Tous les diamants du monde), une grande réussite. Et puis quiconque réussit à glisser le mot « cheddar » dans un texte ne peut pas être foncièrement mauvais.

« —s’absenter silence— »

Ed. Actes Sud

Plus de Claro.
Plus d’Actes Sud.

Chronique livre : Danse noire

de Nancy Huston

dansenoireNancy Huston fait partie de mes grandes prêtresses de la littérature, ces femmes qui inventent, malaxent, invoquent, percutent. Certains de ses romans m’ont accompagnée, et m‘accompagnent encore aujourd’hui. Mais las, même les plus grandes prêtresses peuvent se casser la gueule de temps en temps. Dèjà, son Infrarouge m’avait pas mal refroidie, Danse noire est une calamité : lourd, inintéressant, dépourvu de toute grâce. Continuer la lecture de Chronique livre : Danse noire

Chronique livre : L’esprit de l’ivresse

de Loïc Merle.

L'esprit de l'ivresseUne cité, les Iris. Un homme meurt dans la rue. Cette mort est le déclencheur d’une révolte qui bientôt gagne tout le pays. De la propagation de la révolte, on ne verra rien, elle est traitée en arrière-plan de l’histoire de deux personnages : Clara, égérie en carton-pâte de la révolution, et Henri Dumont, le président de la république.

Le roman est constitué de quatre parties (Iris/Clara/Dumont/Clara en gros) d’une densité considérable, pas de paragraphe, pas de respiration. Continuer la lecture de Chronique livre : L’esprit de l’ivresse

Chronique livre : Profanes

de Jeanne Benameur.

profanesUn vieil homme dans une grande maison. Il était chirurgien, il avait une famille. Aujourd’hui il est seul, simplement aidé par sa gouvernante. Il s’appelle Octave. Octave embauche, pour une raison connue de lui seul trois femmes et un homme qui passeront chacun leur tour, quotidiennement, du temps avec lui. Pourquoi ces quatre là, recrutés avec minutie ? Qu’attend-il de ces personnes qui ne se connaissent pas et n’ont rien en commun ? Continuer la lecture de Chronique livre : Profanes