Chronique livre : la quadrilogie de Marie (Faire l’amour, Fuir, La vérité sur Marie, Nue)

de Jean Philippe Toussaint

nueQuand on plonge dans Nue, sans savoir de quoi il retourne, on prend le risque de devoir immédiatement le roman achevé, courir chez son libraire pour acheter les trois premiers tomes de la quadrilogie. Non pas que le roman ne puisse se suffire à lui-même, comme chacun des autres volumes d’ailleurs, mais le charme, le mystère, la sensualité, l’humour, l’angoisse sourde et fondamentale qui s’échappent de ces pages donnent envie de creuser, comprendre, pénétrer un peu plus profondément dans ce récit romanesque étonnant. Continuer la lecture de Chronique livre : la quadrilogie de Marie (Faire l’amour, Fuir, La vérité sur Marie, Nue)

Chronique livre : Rosie Carpe

de Marie NDiaye

Drôle d’impression que me laisse ce livre. J’ai tout d’abord détesté les cent premières pages, une aversion profonde, viscérale pour les personnages de Marie NDiaye, pour cet univers glauquissime dans lequel absolument rien ne brille. Mais l’écriture de Marie NDiaye, elle, est brillante et fascinante, et c’est la force de cette écriture qui finit par convaincre. J’avoue avoir du mal à adhérer aux personnages, à l’histoire de Rosie Carpe. Trop de grisaille, de fiel, de détestation de l’humanité, sans que j’arrive à discerner une réelle sincérité, mais plutôt une posture, formidablement tenue, mais au final assez artificielle.

Ce qui fascine par contre c’est bien l’écriture de son auteur. Avec une maîtrise totale, Marie NDiaye forge son récit, en se coulant de manière incroyable dans la tête de ses personnages. Elle réussit à nous faire entrer dans leur psychisme (souvent détestable, et c’est de là que vient le malaise), grâce à une insistance dans son écriture, répétitive, précise. Elle creuse, répète, revient sur ses pas, creuse encore, comme un xylophage affamé. C’est d’un inconfort total pour la lectrice sensible que je suis. Mais je conviens tout à fait que c’est très impressionnant.

Un trip intellectuel stimulant, mais pas sûre cependant de vouloir recommencer cet éprouvant trip émotionnel.

Ed. Editions de minuit

Chronique livre : Apprendre à finir

de Laurent Mauvignier.

Deuxième roman de Laurent Mauvignier après le magnifique Loin d’Eux, Apprendre à finir constitue une “suite” logique et superbement tenue.

Sur le principe du monologue intérieur, Laurent Mauvignier se glisse dans la peau d’une femme. Une femme qui apprend “à finir”, à faire le deuil de sa relation avec son mari. Le couple se déchirait quand l’homme a eu un grave accident. Un homme qui avait une maîtresse, et une femme dont l’impuissance se muait en désespoir, et en violence. Mais l’accident a tout changé. Il doit réapprendre à marcher, à vivre. Il est complètement dépendant d’elle, et la certitude qu’il ne partira plus, qu’il ne peut plus partir donne à cette femme l’énergie et l’espoir que tout est encore possible. Mais un jour l’homme réapprend à marcher, et la peur du vide revient.

La façon dont Laurent Mauvignier se glisse dans la peau de cette femme est véritablement troublante. Il compose un personnage tout en nuances, profondément humain, bouleversant dans ses peurs, contradictions, son courage et sa souffrance. Dans un style très parlé, heurté, qui laisse la place aux silences, Laurent Mauvignier réussit à nous toucher profondément, à nous ramener à nos propres angoisses face à la vie, l’abandon, la solitude. C’est beau et très émouvant, profondément humain et sincère, bien loin de l’exercice de style un peu vain de son dernier roman, Ce que j’appelle oubli.

Il y a dans Apprendre à finir un souffle, une vérité déchirante, une blessure inguérissable, comme la vie. Et c’est magnifique. Un très beau livre.

Chronique livre : L’absolue perfection du crime

de Tanguy Viel.

Impeccable, c’est le mot qui vient à l’esprit quand on termine cette Absolue perfection du crime. Dans ce petit volume, on peut dire qu’on atteint une sorte d’Absolue perfection du roman de braquage, au style réglé comme du papier à musique.

Tanguy Viel écrit cette histoire classique du braquage d’un casino par une bande de truand de manière millimétrique. C’est un condensé de tous les piliers du roman de braquage, de l’origine, à la mise en pratique, de l’arrestation à la vengeance finale. Très finement écrit, on ne peut qu’admirer le talent d’orfèvre de Tanguy Viel.

Mais c’est également un peu la limite du roman. A force de classicisme, de perfection on peine un peu à trouver de l’âme à cet ouvrage. La belle mécanique tourne à vide sans vraiment réussir ce à quoi un bon roman de braquage est destiné : nous faire frémir, nous étonner. On se demande alors quelles étaient les intentions de l’auteur. Certes, c’est admirable, brillant, mais finalement, pour quoi faire ?

Je vous avoue que l’Absolue perfection du crime m’a surtout absolument donné envie de revoir la trilogie Ocean de Steven Soderbergh. Ce n’est déjà pas si mal.

Chronique livre : K. 622

de Christian Gailly.

Jamais je ne retrouverai mon émotion, jamais je ne serai capable d’écrire ce que j’ai éprouvé ce soir-là, je crains même que la recherche des mots ne dissolve tout à fait le souvenir que j’en garde.

Pas franchement transcendée par le précédent roman lu de Christian Gailly, l’Incident, j’ai pourtant été séduite par le thème de K. 622. Pour la première fois, un homme entend à la radio le concerto pour clarinette K. 622 de Wolfgang Amadeus Mozart. Son émotion est telle que, dès le lendemain, il part à la recherche du disque. Il en achète trois versions. Mais aucune ne lui procure les mêmes sensations que lors de sa première écoute. Il décide donc d’aller écouter l’oeuvre en concert. Mais pour y aller, il a besoin d’un costume… Je ne vous raconte pas la suite, ce serait trop étrange.

Car K. 622 est un court roman vraiment étrange, et je ne sais trop quoi en penser. J’ai bien l’impression d’être complètement passée à côté du propos de Christian Gailly. J’ai d’abord du mal à suivre son écriture, fort tortueuse, pour raconter l’histoire d’un gars lui-même tortueux. Le parti-pris est très intéressant, mais ne m’a pas franchement emballé. Je reconnais à l’auteur beaucoup d’habileté, mais, le blocage vient probablement de moi, je n’accroche pas vraiment. Bizarre également ce changement de point de vue. Le récit débute à la première personne, puis se poursuit à la troisième, comme pour mettre à distance ce personnage, somme toute assez peu fréquentable. D’une interrogation brillante (une émotion est-elle liée au lieu et au moment, est-elle reproductible, comment essayer de faire renaître une émotion ?), Christian Gailly compose un récit éclaté en quatre parties, qui peine à former un tout.

Pourtant le roman se termine plutôt mieux qu’il ne se développe, par l’intrusion d’une aveugle dans la vie du héros, et sa supplique maintes fois répétée Parlez moi que je sache où vous êtes, apporte une note lancinante et quelque part fantomatique plutôt intéressante. Bref, un sentiment mitigé en reposant le livre, et l’impression tenace de ne pas avoir su saisir l’essence de la chose.