Chronique livre : Mémoires imaginaires de Marilyn

de Norman Mailer.

Pour curieuse que soit la traduction du titre original du roman de Norman Mailer Of women and their elegance, elle n’en est pas moins très explicite quant au contenu de l’ouvrage.

Se basant sur quelques éléments réels de la vie de Marilyn Monroe (quelques interviews, des personnages existants réellement…), Norman Mailer construit une fausse autobiographie (c’est “Marilyn” qui parle) de Miss Monroe, et dresse par là-même un portrait de la star. On s’imagine un peu, tel un Flaubert s’identifiant à Emma Bovary, Norman Mailer s’identifiant à Marilyn, essayant de capter quelque chose de sa diction, de sa façon de bouger, de la fermeté de son corps, de la détresse de son regard et du balancement de ses hanches. Le pari est réussi. L’actrice apparaît dans ce livre forte et fragile à la fois, troublante et troublée. Née trop belle, et sans doute intelligente dans un milieu qui ne lui a donné aucune base solide, aucun repère, elle a bâti sa vie comme elle pouvait, laissant en général les autres la bâtir pour elle. Fille fragile, peu sûre d’elle, elle compense par l’exhibition de son sex-appeal, jusqu’au jour où, grâce à sa liaison avec Arthur Miller, elle se dit qu’elle vaut peut-être quelque chose. Mais le bonheur n’a jamais été au programme dans la vie de Marilyn.

Norman Mailer réussit à capter toute cette fragilité, ces failles immenses que rien n’a jamais combler. Utilisant d’un style mi-parlé, mi-écrit, comme sortant tout droit de la plume de Marilyn, il réussit à ramener à la vie l’actrice, à lui donner parole et surtout corps, dans ce qu’il a de moins glamour. Car l’actrice était avant tout un être de chair, et pas forcément épanouie dans sa chair justement. Norman Mailer compose une fiction touchante, humaine autour du mythe Monroe, une fiction probablement pas très éloignée de la réalité.

Ed. Robert Laffont/Pavillons Poche

Chronique livre : Le Chant du bourreau

de Norman Mailer.

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Qui est Gary Gilmore ?
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Je suis encore sous le choc de cet ouvrage magistral et magnifique qu’est Le chant du bourreau. Ayant réservé cette énorme pavasse de 1300 pages pour des temps oisifs, je m’attendais vaguement à m’ennuyer en reconnaissant un travail documentaire impressionnant. Si le travail de journaliste est effectivement incroyable et faramineux (Norman Mailer, dans sa postface avoue que la transcription de l’ensemble des interviews qu’il a mené comportaient 15000 pages…), Le chant du bourreauva beaucoup plus loin qu’une simple compilation de documents. A la fois portrait d’une Amérique engoncée dans ses principes archaïques, réflexion sur la peine de mort et le système judiciaire américain en général, description d’une famille américaine et des gens qui gravitent autour, histoire d’un criminel, romance noire bouleversante, Le chant du bourreau est une oeuvre vaste, complexe, foisonnante.

Bizarrement, Mailer, connut pour être le “chantre des protestataires” comme l’indique le quatrième de couverture, semble refuser la polémique dans son écriture, ou plutôt on sent qu’il ne la cherche pas à tout prix. L’écriture est d’une grande neutralité, retranscrivant avec un talent monstrueux les propos des gens qu’il a rencontrés. Fidèle aux expressions des protagonistes, à leur manière de parler, à leurs souvenirs, Norman Mailer montre ainsi un immense respect pour l’être humain, quelques soient ses opinions, ses agissements. Bien sûr le roman dans son ensemble n’a rien de neutre, il est au contraire d’une grande force, mais elle résulte de cette manière à la fois intime et lointaine de rapporter les propos, les faits. Réussir à garder cette distance d’écriture sur 1300 pages, sans jamais laisser percevoir ses opinions personnelles de manière frontale laisse sans voix. C’est un immense tour de force.

Contrairement à ce qu’on pourrait croire au premier abord, Le chant du bourreau n’est pas un livre sur « la peine de mort pour ou contre? ». Bien sûr Mailer en parle copieusement, mais la détermination de Gary Gilmore à être exécuté pourrait faire vaciller n’importe quel détracteur de la peine capitale (temporairement bien entendu). L’histoire de Gary Gilmore soulève en fait des monceaux de questions outre “la société a t’elle le droit de prendre une vie”. Ce qui semble le plus crucial ici est comment une société et ses agissements peut-elle amener un homme à délibérément s’ôter toute possibilité de continuer à vivre, comment un homme intelligent et a priori sain d’esprit peut-il en toute connaissance de cause préférer mourir que de continuer à vivre dans la société américaine de la fin des années 70. Le procés de Gilmore sous la plume de Mailer se transforme alors en procés de l’Amérique profonde, engluée dans ses croyances, son système délirant, ses traditions, son moralisme douteux.

Outre cet aspect des choses, Le chant du bourreau est une formidable histoire intime. Mailer réussit bien entendu un portrait fascinant de Gary Gilmore et de son histoire d’amour avec Nicole Baker. Gilmore est un personnage ambigu, intelligent, angoissant, aux facettes multiples. Aux actes les plus mesquins et répugnants, il associe une grande dignité, une grande force spirituelle, et une capacité d’aimer déchirante quoique malsaine. Sa passion (partagée) avec Nicole Baker est d’un romantisme noir total malgré le sordide du quotidien, et a fait se tordre mon coeur de midinette déjà méchamment en lambeaux.

Le chant du bourreau est ce que j’ai lu de plus beau depuis environ un an, un livre énorme, un monument de la littérature. Oh toi lecteur (je n’ose même pas mettre lecteur au pluriel tant je doute que quelqu’un ait eu le courage ou l’inconscience de lire tout ça), cours dare dare en les murs de ta librairie préférée. C’est un ordre.


 

Pour la bonne bouche (euh façon de parler), un extrait d’une des lettres écrites par Gilmore à Nicole Baker durant sa détention. Mineurs s’abstenir. (J’adore le “frolic in the water” coincé entre tous ces détails… intimes).

« I stayed so fucked up on that beer and Fiorinol I’m afraid I never really gave you a good fuck – makes me feel bad – wish I could fuck you now when my body is on the natural, clean and pure and not full of booze and Fiorinol. I would lay you on your back and put some vasalene in your bootie and fuck you there until we both came – and then take you to the bath tub and frolic in the water with you for a while and scrub each others back and butts and arms and legs and balls and cock and pink cunt and tell you a story while we both soaked and you smoked a cigarette. »

Chronique livre : La fenêtre panoramique

de Richard Yates.


Prenez des risques : cliquez sur l’image.

Pas forcément une bonne idée a priori de lire ce livre juste après avoir vu son adaptation cinématographique : le beau film de Sam Mendes « Les Noces rebelles« . C’était risqué. Mais le bouquin tient vraiment bien le choc. Pas de grande découverte dans l’histoire, l’adaptation est tout ce qu’il y a de plus fidèle, jusqu’à la reprise de la majorité des dialogues. Je ne referai donc pas la critique, au risque de me répéter.

Ce qui est étonnant dans le livre, c’est que malgré son antériorité de plusieurs dizaines d’années par rapport au film, il est plus ouvertement virulent que le film dans sa critique de l’embourgeoisement. C’est en grande partie dû au processus narratif qui consiste à suivre plus particulièrement Franck. Le personnage y apparaît encore plus veule, petit et méprisable que dans le film, tout le temps en train de composer ses attitudes, de les tester devant le miroir, il ne vit pas vraiment, mais joue à vivre tel que la société le veut. Le point de vue passe du côté d’April à une seule occasion, lors de son avortement. Son acte n’en apparaît que plus comme une fuite hors d’un monde qu’elle rejette, et dans lequel, les gens qui ont des aspirations différentes n’ont pas leur place.

Bref, un beau livre audacieux qui n’a rien perdu de sa justesse.