Chronique livre : Des idiots nos héros

de Moreau.

Chronique publiée initialement dans le numéro 28 de l’indispensable Revue Dissonances.

idiotsUne famille : deux frères, la mère et le père. De ces quatre-là, Moreau nous fait entendre la voix de trois. Un des garçons d’abord, « L’UN », qui parle à son frère, « l’autre », la mère ensuite et enfin le père.

« Je sais que je suis un idiot / Je sais ça / Je sais / J’ai toujours su ça que je serais ton idiot ».

On remonte l’histoire de cette famille à travers ces trois monologues et les ruines des êtres, on reconstitue notamment le puzzle de cette relation ambiguë entre les deux frères que L’Un nous livre dans un premier texte bouleversant. C’est une litanie, une catharsis, la parole longtemps ressassée de L’Un qui se tait et qui est si peu face au jugement, face à la brillance, face à l’éclat de l’Autre :

« Et tu parleras de Beckett / Je sais ça / Je sais ça qu’il te faut toujours parler de Beckett ».

Il y a dans ce texte une force étonnante née de la blessure, du silence et de l’ombre. La prise de parole est en elle-même un acte fort et l’écriture de Moreau possède une frontalité et une sincérité déchirées. Ses mots sont posés, des constats, implacables mais presque apaisés, nés d’une longue construction par le regard de l’autre, une construction dans la violence et la douleur silencieuse.

Les trois monologues révèlent ainsi les courants, les vibrations internes individuelles au sein de la cellule familiale et les lignes de forces et de failles qui en relient les membres, des liens qui forgent et détruisent, mais maintiennent en équilibre instable cette famille. Jusqu’à sa rupture :

« Je vous ai regardés. / J’ai compris que quelque chose était détruit ».

Ed. Théâtre ouvert

Chronique théâtre : Krach

de Philippe Malone.

Chronique publiée initialement dans le numéro 26 de l’indispensable Revue Dissonances.

krachIl a fallu attendre quatre années pour entendre à nouveau l’écriture de Philippe Malone. Après la déflagration Septembres, Krach vient confirmer son immense talent. Un homme tombe d’une tour, réelle, métaphorique. Sa chute est disséquée – effets, causes, lutte perdue d’avance, solitude face au grand tout.

Publié chez Quartett, éditeur spécialisé dans le théâtre, Krach, texte des frontières, est pourtant inclassable. Ça commence comme un poème, une phrase

« que tu craches ou heurtes le mur ne cédera pas »

qui gonfle, se nourrit, se débat dans l’impuissance de la chute. Puis, en trois tables – des heures, des semaines

« 52 dont 46 produites & 6 chômées réparties comme suit : 4 été soleil huile bronzante maillot épilé Ricard mélanome »

et des années – Philippe Malone résume le quotidien et l’existence de l’homme lambda. C’est drôle et terrible, d’une lucidité ravageuse. La chute reprend et le texte se fait plus dense, moins oral, les étages défilent en ordre et en statut social décroissants. Et le sol de se rapprocher.

Dans Krach, l’écriture de Philippe Malone est identifiable dès la première phrase. Et pourtant, à chaque nouveau texte l’auteur réussit à réinventer son écriture. Après l’écriture du souffle dans Septembres, l’auteur s’essaie ici à l’écriture de la chute. Moins homogène, plus polymorphe, toujours surprenante, la voix de Krach enfle, s’arrête, digresse, explique et terrasse. L’auteur ose prospecter des territoires sans doute plus personnels, le texte s’en nourrit, diffuse l’angoisse sourde de l’étouffement. Et ébranle son lecteur.

Ed. Quartett

Chronique théatre : Elle brûle

Mise en scène Caroline Guiela Nguyen
Textes Mariette Navarro

Personne ne voit rien mais c’est moche. C’est monstrueux. Et en ce moment même, c’est en marche, en mouvement. Ça se multiplie, ça sort de nulle part. Et ça va s’étendre, ne pas arrêter de s’étendre. C’est comme un trou noir, de plus en plus profond, qui grandit, qui se métamorphose. Chaque jour c’est une nouvelle forme, on ne peut jamais l’apprivoiser, on ne peut jamais s’y habituer, tu comprends ? Il n’y a jamais de repos, il n’y en aura plus jamais. Ça a commencé depuis longtemps, avant même qu’on y pense. C’était peut-être minuscule au tout début. Un tout petit dérèglement. Si ça se trouve, ça a commencé dans un moment joyeux. Un étincelle, et l’expansion est lancée, la grande explosion, et c’est en train d’aspirer tout ce qui est vivant. Mais moi je ne veux pas que ça m’aspire, mais moi je veux rester debout.

Je n’avais plus vraiment l’intention d’alimenter le blog en chroniques sur des représentations théâtrales. Mais Elle brûle m’a tellement bouleversée que je ne peux pas m’empêcher de vous en glisser un mot.

ellebruleUn téléphone sonne dans un appartement, Emma ne décroche pas et soudain le répondeur se déclenche. Une voix appelle, pleure, résonne dans l’espace réduit de l’appartement et fait écho à ce qui se joue à l’intérieur d’Emma. Elle brûle, c’est l’histoire de l’ effondrement intérieur d’une femme, d’une famille, une consumation lente et inéluctable d’autant plus tragique qu’elle est sans prise, idiote, quotidienne, banale. Continuer la lecture de Chronique théatre : Elle brûle

Chronique théâtre : Roms & Juliette

par le Groupe Petrol*.

roms&julietteAlternance nuit/jour. C’est dans une nuit en chambre que Le Président, son conseiller et sa fiancée Juliette élaborent les discours et les stratégies de demain, alors que le jour révèle les répercussions de ces discours dans une famille lambda.

(…) Des forces de l’ordre en bas âge dont certains étaient handicapés
Ils leur ont tiré de dessus (…) Continuer la lecture de Chronique théâtre : Roms & Juliette

Chronique théâtre : Prodiges®

de Mariette Navarro.

prodiges-600Voilà plus de six mois que, pour la première fois, j’ai lu Prodiges®. Et puis je l’ai relu, et encore sans doute deux ou trois fois, sans réussir à me décider. Je ne pouvais rien écrire sur ce texte. En l’ouvrant à nouveau ce matin, je crois voir poindre une explication à ce phénomène : ce texte me fait peur. Parce qu’il est “vendu” comme le plus léger et drôle de son auteur, et que je n’arrive pas à le prendre avec légèreté, la moindre esquisse de sourire laissant place rapidement à un grincement de dents. Ce texte me donne le vertige. Continuer la lecture de Chronique théâtre : Prodiges®