Chronique livre : Vies et moeurs des familles d’Amérique du Nord

de Garth Risk Hallberg.

Livre concept de Garth Risk Hallberg, composé avant son best-seller City on fire, Vies et mœurs des familles d’Amérique du Nord (V&MFAN) séduit par sa concision et son originalité, là où City on fire explorait l’abondance et une forme de classicisme narratif « à l’américaine ».

Ici, le classicisme narratif « à l’américaine » subsiste en toile de fond (l’histoire de deux familles voisines banales dans une banlieue banale) mais explose par le dispositif formel. V&MFAN est un abécédaire partant d’ « adolescence » pour arriver à « vulnérabilité« . Pour chaque entrée, une photo et un fragment de l’histoire de ces deux familles. Le livre se lit dans l’ordre que l’on souhaite, chaque entrée est liée à plusieurs autres entrées, les photos, à la fois quotidiennes et mystérieuses, peuvent également signaler un lien entre deux entrées. La chronologie explose, les événements distants dans le temps se percutent à la lecture, révélant avec minutie les failles, les faiblesses, les blessures des personnages.

Lucide, tendre et cruel, V&MFAN confirme le talent de son auteur et le fait indubitablement rentrer dans le cercle restreint des dignes héritiers du grand Richard Yates.

Trad. Elisabeth Peellart
Ed. Plon

Chronique livre : City on fire

de Garth Risk Hallberg.

cityonfire - copie

Il paraît donc que c’est le roman le plus cher de l’histoire. Mais ça je ne le savais pas en l’achetant. Tout simplement séduite par le titre, la couverture, le papier bible et ces inserts bizarroïdes dans le cours du roman. Acheté donc en se disant que je n’aurais de toutes façons jamais le temps de lire une telle pavasse. Presque mille pages et des pages assez denses.

Aussi denses que cette histoire, ses dizaines de personnages, ses intrigues emmêlées, imbriquées, ses ramifications multiples. Et c’est tout le talent de la littérature américaine qui se dresse au travers de ces personnages tous plus ou moins déglingués. G. R. Hallberg a sans aucun doute lu tous les bons livres et réussit à faire exister ses personnages, du principal au figurant d’arrière-plan, de manière convaincante. On s’attache à toute (ou presque, le frère démon brrrrr) cette galerie de portraits, du journaliste alcoolique, au flic cabossé (au sens propre, polio), en passant par l’ado perdu et la mère hantée par son passée.

Et puis il y a aussi ces scènes, quelques-unes, qui émergent du magma, dans un état de grâce absolu. Durant ces scènes, pas besoin de paroles inutiles. L’auteur se contente de décrire ce que font ses personnages, juste leurs gestes et leurs hésitations. Par exemple cette scène magnifique dans laquelle la mère de famille, hantée par l’avortement qu’elle a subi lorsqu’elle avait 20 ans est tentée de projeter sur un adolescent perdu les fantômes de son passé et finit pourtant par s’en détourner, choisissant la vie, le futur, plutôt que le repli sur soi. C’est beau, pudique, tout en retenu. Allez, il y a même quelques éclats de Richard Yates là-dedans. Mais un Richard Yates sous amphéts et cocaïne qui aurait eu bien du mal à contenir son récit dans une volumétrie modérée.

Alors City on fire, un chef d’oeuvre ? Certainement pas. Le roman est bourré de défauts, trop long, digressif à mort, bordélique. Et pourtant. Par sa construction complètement éclatée (il faudrait s’y pencher scrupuleusement, mais tout de même difficile de remettre tout en ordre et de comprendre exactement le schéma suivi par l’auteur), City on fire semble ressusciter quelque chose de l’atmosphère de l’époque, ce New York de la fin des années 70, libre, rebelle, artiste et pourtant manipulé (déjà) par la grande finance qui dessine son futur à coup de déclarations d’insalubrité et d’incendies criminels.

Malgré son épaisseur et ses côtés foutraques, City on fire est pourtant difficile à lâcher. Rien à dire, ils sont forts ces ricains pour faire naître des personnages et des scènes absolument inoubliables.

Ed. Plon (Feux croisés)
Trad. Elisabeth Peellaert.

Chronique livre : La Perrita

d’Isabelle Condou.


Dans la paille de ses poils, je fourrerai mon nez. Clique sur la Perrita (ou presque)

Première critique concernant les bouquins lus en tant que membre du jury Fnac de la rentrée littéraire 2009. Quelle surprise de voir ce livre dans la sélection des adhérents ! Bien qu’étant tout à fait synpathique, il me semble un peu lisse pour mériter une distinction particulière entre les centaines de sorties de cette rentrée littéraire.

On est tout d’abord plutôt agréablement surpris par la qualité de l’écriture. Isabelle Condou écrit d’une langue belle, maîtrisée, mais très très classique. On se laisse porter gentiment, mais sans exaltation non plus dans cette histoire pourtant forte. Car le livre est ambitieux dans son sujet : au travers du portrait de deux familles que tout oppose et liées par un lourd secret, on (re)découvre une Argentine meurtrie, marquée par son Histoire, cette Histoire impacte la vie des gens.

On ne peut pas dire qu’Isabelle Condou échoue dans son projet, bien au contraire. Le livre est vraiment très finement construit, mêlant les deux histoires de manière intelligente, et visiblement les autres adhérents Fnac ont adhéré. Malgré tout ça subsiste une certaine impression de transparence, on n’arrive pas franchement à se passionner pour ce livre trop parfait, trop lisse : pas assez d’aspérités, le livre est appliqué et concerné, mais finalement pas assez vivant et un peu impersonnel.

C’est cependant prometteur, et nul doute que ce livre irréprochable n’obtienne un joli succès auprès de ses lecteurs.