Chronique livre : Eux sur la photo

d’Hélène Gestern.

Intéressant sujet que celui choisi par Hélène Gestern, et surtout intéressante façon d’aborder son sujet.

Une femme, Hélène, la quarantaine, part à la recherche de son passé, ou plutôt de celui de sa mère, Natalia, disparue alors qu’elle n’était qu’une enfant. Son père et sa belle-mère ont toujours refusé de lui parler de cette mère disparue trop tôt. Le père décédé, et la belle-mère atteinte d’Alzheimer, Hélène commence à fouiller dans son passé. Comme unique point de départ, une coupure d’un journal suisse, dont la photo représente une femme qu’elle pense être sa mère, et d’un homme qu’elle ne connaît pas. Elle publie une petit annonce dans un journal, et un mois plus tard, reçoit une lettre de Stéphane, un botaniste, qui croit reconnaître son père, Pierre, sur la photo. Commence alors une correspondance entre ces deux protagonistes. Ils parviennent peu à peu à reconstituer le fil de l’histoire, finalement peu glorieuse, de leurs parents grâce à des photographies découvertes petit à petit, ainsi que des écrits de proches de Natalia et Pierre.

Chaque chapitre débute par la description d’une photographie, découverte au cours de “l’enquête”, puis suivent les correspondances entre Stéphane et Hélène. La construction est simple, mais très efficace, et Hélène Gestern possède un vrai sens de la progression dans son intrigue. Elle harponne joliment le lecteur, désireux de découvrir les mystères de cet opaque passé. Mêlant roman épistolaire et enquête, Eux sur la photo présente ainsi un vrai univers et une belle réflexion sur justement ce que sont les photos, ce qu’est le passé, son exhumation, sur la manière dont quelque chose de caché peut détruire une vie, et comment quelque chose de révélé peut également détruire (ou sauver ? ) une vie.

Hélène Gestern a visiblement une vraie fascination pour les images. Ses descriptions sont factuelles, mais très belles, évocatrices, et les images qu’elle nous décrit prennent vie sous nos yeux, et prennent vie dans notre esprit alors même qu’elles n’ont probablement jamais existé. La romancière parle très bien du pouvoir de la photo, et de son ambivalence. La photo fige en effet un instant de la vie de ses sujets, alors même que l’instant fait déjà partie du passé. Comme le dit Barthes dans La Chambre Claire “...cette image qui produit la Mort en voulant conserver la vie”. Ce sont ces photos, ces objets doublement morts (l’objet photo lui-même, et les personnages capturés par ces photos), qui vont permettre à Hélène et Stéphane de recoller les fragments de leur passé, de combler les failles, et sans doute (?) de leur permettre de vivre mieux dans le présent.

J’ai aimé également cette idée que l’amour avorté entre Natalia et Pierre se transmette, d’une certaine manière à leurs enfants respectifs, comme une prédestination, une idée romantique à mort. Le final laisse planer, quant à lui, un mystère trouble vraiment bienvenu. Le seul vrai problème du roman, c’est le style que choisit d’utiliser Hélène Gestern dans la correspondance entre ses deux personnages. Hélène et Stéphane sont des gens bien comme il faut, et un peu prout-prout pouet-pouet hu-hu-hu. On sourit souvent devant ce style vieillot, emprunté, engoncé parfois même un peu ampoulé. Et quand les deux protagonistes s’encanaillent, autant vous dire qu’il n’y a pas attentat à la pudeur.

Pour moi, tout ça manque un tout petit peu de fantaisie et de corps. Mais doux, intelligent, lumineux malgré la dureté de la vérité révélée, (un peu trop?) classique dans son style, intéressant dans sa forme, sa construction et sa réflexion, Eux sur la photo est un roman qui devrait plaire à beaucoup et de manière justifiée.

Chronique livre : La Morue de Brixton

 de Timour Serguei Bogousslavski

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C’est avec une légère pointe d’anxiété que j’aborde la chronique de ce pavé merveilleux. Je sais qu’elle sera lue. Premier roman autobiographique, publié il y a dix ans, d’un homme de 84 ans, La Morue de Brixton est à ranger dans la catégorie des livres qui peuvent changer une vie, ou du moins la perception qu’on a de la vie, et la façon d’aborder la sienne propre.

Dans un style d’un incroyable richesse, coloré, foisonnant, émaillé d’un argot aujourd’hui exotique, le livre s’approche doucement pour se finir au pas de course. Un fois achevé, une fois posé au pied du lit, on ne peut s’empêcher de le rattraper du bout des doigts, d’en relire les premières pages, pour quelque temps encore côtoyer ce fascinant personnage au passé sombre et à la plume lumineuse.

Privé de sa mère trop tôt, fils d’aristo déchu, amateur de beauté et d’art, il s’est crée une vie, libre des contraintes de la société, ne suivant que son cœur et son inextinguible soif d’aimer et d’être aimé. C’est parfois très noir, le drôle payant souvent cher le prix de sa liberté, baladé de geôles en cages, mais réchappant à tout. Il traverse la guerre, l’espadrille trouée mais la dégaine hautaine, le mépris pour tout ordre établi, tout travail régulièrement rémunéré, toutes religions. Il crache sur tout et tout le monde, exècre la misère.

Et pourtant, ému par le moindre geste de bonté, bouleversé par la beauté du monde et des êtres, c’est baigné de lumière qu’on achève ce roman qui tourneboule. Alors on rêve quelques instants d’être aimé d’un amour aussi profond et sensible, aussi tendre et absolu, et d’aimer, de la même manière.

Être paradoxal, hors-norme, contestable et libre, Timour Serguei Bogousslavski a écrit là un roman magistral, et a gagné le salut profond de la pauvre salariée, abrutie par le système que je suis. Il me paraît indispensable que les nombreux lecteurs de ces quelques lignes se procurent par tous les moyens légaux (ou autres), La Morue de Brixton. Dont acte ?