Chronique livre : Toutes les femmes sont des aliens

d’Olivia Rosenthal.

(…) c’est comment on héberge dedans une chose qui nous mange.

touteslesfemmessontdesaliensQuand je serai grande je veux écrire comme Olivia Rosenthal. Non mais sans rire. Chaque fois qu’un de ses livres me tombe entre les mains, c’est un raz-de-marée émotionnel. L’univers de cet auteur me bouleverse, sa manière pudique d’en parler par des constructions littéraires hyper contrôlées m’enthousiasme. Voilà. Olivia Rosenthal c’est quelqu’un qui a tout compris de la puissance de la littérature et qui trouve mille chemins pour parler de choses profondes et intimes. C’est juste super beau.

Si ça se trouve, Mowgli est entre les mains, pendant presque toute la durée du film, d’un couple gay, traumatisme supplémentaire qui redouble et approfondit le drame dont il est la victime consentante.

Pour parler de choses aussi profondes que la féminité, la maternité, l’enfance, les questions de genre, de tolérance, d’abandon, Olivia choisit de décortiquer des souvenirs de cinéma : de la saga des Aliens, en passant par les Oiseaux pour terminer sur une incroyable dissection de Bambi et du Livre de la jungle. C’est absolument délectable, très intelligent, émouvant mais aussi d’un humour fin et puissant qui touche toujours juste.

Dès lors (…), on accorde sa confiance à des animaux qui prônent le chômage consenti et revendiqué, on lâche ses résistances, on se laisse aller à l’appel du corps, c’est-à-dire à l’homosexualité, à la prostitution, à la gloutonnerie et à la paresse.

Je ne m’appesantirai pas sur le fond. Olivia Rosenthal déroule de manière complétement limpide sa pensée. Il faut le lire. C’est formidable. Ce qui m’intéresse le plus ici, c’est vraiment la manière dont elle le fait. Le cinéma, mais sans doute l’art en général, sert de point de départ au développement de la réflexion. C’est l’étincelle, le catalyseur, le support. A partir des images et des histoires que d’autres mettent au monde, Olivia Rosenthal construit, adhère, rejette, tricote, détricote, fait émerger les briques de l’insconscient. C’est passionnant de voir ça à l’œuvre, ça ouvre des portes dans la tête et dans le cœur. C’est drôle aussi parfois, ce que je n’avais pas encore discerné dans l’écriture d’Olivia Rosenthal mais qui est ici tout à fait visible et ça sans jamais sacrifier à la profondeur.

Mais les enfants, eux, ne sont pas dupes. Ils pleurent quand Mowgli s’en va, ils perdent quelque chose qu’ils ne retrouveront pas, la fable s’éloigne, les animaux se cachent, la société reprend ses droits, l’ordre règne, les espèces se déchirent, le semblable appelle le semblable, l’éden est méconnaissable.

Hommage absolu au cinéma, essai passionnant sur le conditionnement, l’enfance, la féminité, la maternité, Toutes les femmes sont des aliens, comme ses fondements cinématographiques  ouvre, initie, révèle. Mise en abyme élégante et taquine.

Ed. Verticales

Chronique livre : si les bouches se ferment

d’Alban Lefranc

Pour apprendre à parler, il vous faut aller chercher des mots dans la bouche des autres.

silesbouchesBiographie, roman historique, portrait d’une génération, si les bouches se ferment est un livre passionnant et difficile à classer. Après avoir entraîné le lecteur dans le tourbillon Mohammed Ali dans le magnifique Ring invisible, Alban Lefranc aborde de biais, dans un mélange d’Histoire et de fiction, une période chahutée de l’Allemagne, de la naissance de la Fraction Armée Rouge jusqu’au suicide de ses premiers leaders. Continuer la lecture de Chronique livre : si les bouches se ferment

Chronique livre : Réparer les vivants

de Maylis de Kerangal.

reparerlesvivants800Chers lecteurs, me voilà bien en peine. Je suis partagée entre doutes et enthousiasme pour ce roman à succès d’une des plus grandes prêtresses de la littérature contemporaine.

Un jeune garçon plein d’avenir tombe dans le coma après un accident de voiture. Ses parents sont confrontés au douloureux choix du don de ses organes. Sur ce sujet très intime, Maylis de Kerangal compose une partition huilée et complexe comme elle sait si bien le faire. Continuer la lecture de Chronique livre : Réparer les vivants

Chronique livre : Le ring invisible

d’Alban Lefranc.

Quelques hommes blancs (…) réussissent à déplacer mon ring invisible (seul réel) sur un ring visible de tous (pâle et provisoire matérialisation du premier), (…) réussissent à faire coïncider les deux rings jusqu’à ce que la foule ne distingue plus le ring transitoire (matériel, destructible) du seul ring véritable et permanent, l’invisible, qui contient toute ma vie.

leringinvisibleVoilà, c’est ça ce que je cherche dans la littérature. Etre emmenée ailleurs, sur des chemins que je n’aurais jamais empruntés seule, par un auteur qui me convainc de le suivre par la seule force de son écriture. Dans les rencontres improbables, il y a eu Oliver Rohe l’an dernier, et son livre sur la kalachnikov, alors que je frémis toujours rien qu’à la vue de ciseaux à bouts ronds. Cette année il y a Alban Lefranc et son ring invisible, biographie imaginaire de Mohammed Ali quand il était encore Cassius Clay, soit l’histoire de la naissance d’un corps, d’une vocation, d’une révolte et d’un mythe. Continuer la lecture de Chronique livre : Le ring invisible

Chronique livre : Le paradis entre les jambes

de Nicole Caligaris.

leparadisentrelesjambesNicole Caligaris a cotoyé le mal absolu. Durant sa vie étudiante, elle a croisé Issei Sagawa. Ce jeune japonais, venu en France parfaire ses études littéraires, a tué dans sa chambre une jeune femme, puis, et là est sans doute la plus grande des transgressions, mangé certains morceaux de sa chair crue, des fesses au clitoris. Issei Sagawa est rapidement pris et emprisonné. Nicole Caligaris échange alors avec lui, sans trop savoir pourquoi quelques lettres, avant d’arrêter brusquement. Trente ans plus tard, il est temps pour l’auteur de revenir sur ces événements qu’elle a depuis soigneusement ensevelis. Comment se remettre de cet événement ? En quoi cet acte monstrueux a été la fin de quelque chose et le début d’autre chose ? Continuer la lecture de Chronique livre : Le paradis entre les jambes