Chronique livre : Fuck America

d’Edgar Hilsenrath.

fuckamericaAprès la bonne grosse crise de rire un peu creuse d’Orgasme à Moscou, l’envie m’en a pris de continuer un peu la découverte de l’œuvre d’Edgar Hilsenrath. Je n’ai pas eu tort, Fuck America est un peu plus sérieux qu’Orgasme à Moscou, non pas dans son ton, mais surtout dans son fond. Le roman, qu’on devine sans doute un peu autobiographique, raconte l’histoire de Jakob Bronsky, juif allemand, récemment arrivé aux Etats-Unis après la seconde guerre mondiale. Jakob s’imagine écrivain en langue allemande, mais a bien du mal à se sortir de son statut de semi-clodo sans le sou. Continuer la lecture de Chronique livre : Fuck America

Chronique livre : La course au mouton sauvage

d’Haruki Murakami

On commence à avoir l’habitude des dérives murakamiennes dans les sphères de l’absurde, c’est sans doute pour ça que La course au mouton sauvage, après avoir lu Les chroniques de l’oiseau à ressort ou encore La fin de temps semble aussi léger.

Plus court que ses deux petits frères, mais aussi beaucoup moins complexe et tortueux, La course au mouton sauvage raconte le périple d’un jeune homme détaché, globalement assez médiocre, à la recherche d’un ovin étoilé et inaccessible, sous la pression d’une organisation de l’extrême-droite japonaise. Ce mouton aurait la capacité de prendre possession d’un individu et d’en faire un surhomme capable de bâtir des empires. C’est ce qui s’est passé pour le pilier de cette organisation, mais le mouton l’a déserté et il souhaite le retrouver. Le jeune homme médiocre part alors tout bonnement, même s’il ne le sait pas encore, à la recherche de l’ambition et de la grandeur.

Certes pas désagréable, on trouve déjà toute la patte de Murakami dans cette histoire, dans laquelle les choses arrivent on ne sait trop comment, la réalité n’est jamais vraiment celle qu’on croit et le fantastique n’attend que le bon moment pour se manifester. Mais le roman est beaucoup moins ambitieux que ses successeurs dans l’amplitude de ses dérives, et de ses décrochements de la réalité. A part cette histoire de mouton, d’un fantôme, et d’une fille aux oreilles ensorcelantes, La course au mouton sauvage reste globalement sur la terre ferme et peine à vraiment décoller. Et si la mélancolie de l’auteur, comme d’habitude bien présente, nimbe l’histoire de sa douceur vaguement nostalgique, on regrette presque que le roman se veuille porteur d’un message, pas faux mais un peu facile et premier degré, sur la dangerosité de l’ambition et des appétits de conquête de l’homme.

Tout ça reste tout de même très recommandable, mais je continuerai malgré tout à conseiller et à offrir dans cette lignée murakamienne La fin des temps et Les chroniques de l’oiseau à ressort. A noter que la traduction de Patrick De Vos est particulièrement agréable, ce qui n’est pas toujours le cas avec les traductions d’Haruki Murakami, parfois excessivement plates. Je vous accorde toutefois que je suis fort peu apte à juger de la fidélité au texte original des traductions japonais-français…

Ed. Points
Trad. Patrick De Vos

Chronique livre : Le guerrier solitaire

d’Henning Mankell.

Commencé jeudi, fini samedi, c’est avec un plaisir renouvelé que je me suis plongée dans les aventures de l’inspecteur suédois, Kurt Wallander. Depuis mon premier contact avec l’inspecteur dans La lionne blanche, j’ai pu à nouveau croiser le personnage dans une série de téléfilms vraiment intéressants, diffusés sur Arte. Ces téléfilms “Wallander” restituent à merveille les ambiances des romans de Mankell, et Kenneth Branagh est tellement convaincant, que j’ai eu du mal à m’ôter son image de la tête en lisant Le guerrier solitaire.

Mais revenons au roman. Dans la petite et paisible bourgade provinciale d’Ystad, en Suède, Wallander assiste au suicide d’une jeune fille qui s’immole par le feu dans un champ de colza, et doit enquêter sur un meurtrier en série qui scalpe ses victimes. Un programme particulièrement sanglant donc pour les policiers d’Ystad, plus enclins à s’occuper des affaires courantes et de leurs problèmes familiaux et domestiques que d’un tueur en série. Et c’est ce qui est très fort sous la plume de Mankell, créer des personnages d’une familiarité extrême, auxquels on peut s’identifier. La fille d’untel à une angine, le père de tel autre débute un alzheimer, mais malgré tout ça, il faut néanmoins qu’ils arrêtent un tueur en série dont la violence tranche crûment avec l’apparence “propreté” et “douceur de vivre” suédoise.

Mankell, mine de rien, s’ingénie à gratouiller le vernis de respectabilité de la société suédoise. Un ancien ministre de la justice se révèle être un dangereux pervers, ainsi qu’un marchand d’art ayant pignon sur rue. Ils ne cesseront de nuire que parce qu’un adolescent déséquilibré les trucidera à coup de hache afin de venger sa soeur. Wallander observe le délitement de la société suédoise, et ne cesse de se demander comment elle peut conduire à la création de monstre tel que le meurtrier à la hache. Usé et désabusé, Wallander traîne sa carcasse de flic, en essayant de maintenir l’ordre pour le bien d’une société à laquelle il ne croit plus vraiment. Un polar impeccable, jusque dans sa construction au cordeau. Un fort bon moment.

Chronique livre : Falaises

d’Olivier Adam.

Un peu effrayée lorsqu’on m’a offert ce livre, les images de Je vais bien, ne t’en fais pas, adaptation cinématographique (et comique?) d’un autre livre d’Olivier Adam me flottaient encore dans la tête. Mais il faut avouer que Falaises est plutôt un beau livre, sincère, à la construction intéressante, aux personnages attachants.

Nous voilà plongés dans l’esprit du narrateur, qui, à trente et un ans, marié et papa, revient sur les lieux du suicide de sa mère. Durant une nuit d’insomnie, il retrace, dans le désordre, sa vie, cette enfance dont il ne se souvient quasiment plus, le suicide de sa mère, son adolescence marquée par l’absence du père, les drogues, le sexe et l’anorexie de sa copine, son début de vie d’adulte et la mort de sa petite amie, et puis la rencontre de sa femme et sa paternité, comme un point final à un itinéraire bousculé.

Difficile de savoir quel est le degré d’autobiographie dans Falaises. Mais finalement peu importe. L’écriture d’Olivier Adam, bien que flirtant parfois avec la métaphore chichiteuse, a quelque chose d’incroyablement visuelle. Pas étonnant que les metteurs en scène se soient intéressés à ses romans. Les scènes se déroulent sous nos yeux, avec évidence et pourtant avec une certaine économie descriptive. On est souvent touché par l’histoire, par les blessures des personnages, par les réflexions du narrateur, par sa volonté de vie malgré tout, sa capacité à passer outre les malheurs sans les oublier, son constat que les gens changent en profondeur parfois, sans qu’on y puisse rien. Un joli livre pour une belle et dure histoire. 

Chronique livre : Le Verdict du plomb

de Michael Connelly.

Si t’as pas peur d’ingérer du plomb, clique.

Yes ! Après deux aventures Boschiennes un peu molles du genou (Echo Park et A genoux), Connelly revient en mettant en avant le héros de son dernier très bon roman (La Défense Lincoln), Michael Haller, avocat fouineur à la morale douteuse. Bosch reste présent en arrière plan, et c’est extrêmement malin de la part de Connelly, tant le capital sympathie envers le discutable Bosch est fort. Malin également l’argument : Haller sort d’une année sabbatique pour cause de désintox, et se retrouve du jour au lendemain en charge des nombreuses affaires d’un de ses collègues, abattu dans sa voiture. Parmi ces affaires, une attire le regard de tous les médias : l’affaire Walter Elliott, un riche producteur de films, accusé d’avoir tué sa femme et l’amant d’icelle. Obligé par son client à ne pas ajourner le procés, Haller se voit contraint à aller de l’avant, de foncer dans le tas pour bâtir une défense béton pour son client.

Comme lui, le lecteur se retrouve pris dans la spirale de l’enquête, avec une seule idée en tête : trouver l’argument miracle permettant de faire libérer Elliott. Focalisé sur cet objectif, le lecteur est manipulé tout comme Haller le sera dans cette histoire, simple pion dans les mains d’une juge véreuse, d’un client futé et d’un flic bourru. Et c’est ça qu’on demande à un bon polar, être malmené, et bousculé dans tous les sens, par un auteur à l’imagination plus fertile que la nôtre. C’est ici chose faite. On pourra regretter que Connelly fasse de moins en moins d’efforts pour écrire un peu mieux qu’un pied, et la traduction m’a paru de ci de là franchement bâclée. Le Verdict du plomb reste un bon cru connellien, difficile à lâcher.

Michael est de retour, alléluia.