Chronique livre : Sur les chemins noirs

de Sylvain Tesson

Nous cherchions les chemins noirs.

Conseillé avec ardeur, titillant mon amour éternel pour les cartes et les errances, ce livre avait tout pour me plaire. Sylvain Tesson a le corps en miettes après une chute. Il décide de traverser la France, telle que nommée par l’INRA “hyper-rurale”, par ses chemins oubliés, les “chemins noirs” des cartes IGN au 1/25000ème, chers aux randonneurs. Il part du Mercantour pour rejoindre le Cotentin, de temps en temps accompagné par des amis ou de la famille de passage ou croisant quelques locaux qui sentent bon le terroir avec leurs petits fromages et leur c’était mieux avant.

(…) c’était grande excitation de sillonner l’agencement délicat des terroirs français pour lui qui avait l’habitude des paysages où l’immensité écrasait tout espoir de variation.

L’idée est incroyablement sympathique, on aime d’emblée quelqu’un qui porte cette attention aux détails oubliés, aux failles isolées, aux détours dictés par le vide. Et par conséquent on aimerait aimer autant son livre. Malheureusement, ça ne fonctionne pas toujours. Il faut le dire, Sur les chemins noirs est bâclé. Comment raconter des mois de marche, de nuits à la belle étoile en seulement 140 pages ? La moitié du roman se passe en Provence, le reste de la France n’aura que quelques miettes. Quelques descriptions légères, l’évocation d’un énième viandox dans un énième café sur une place de village sous un énième tilleul, d’une énième conversation, tout semble survolé, parcellaire, lacunaire et finalement immatériel. L’impression est renforcée par cet omniprésent passé simple. Il engloutit tout sous un vernis usé et ampoulé. On renifle même quelques utilisations abusives et bancales. Le texte ressemble à un patchwork d’écrits de voyage, assemblés au moyen du passé simple comme colle de luxe de ces fragments épars.

C’est l’avantage des petits pays aménagés comme des jardins japonais.

Et puis, aucun doute, Tesson est un écrivain français. La moindre de ses pensées est ultra-référencée. Il y a un auteur sous chaque caillou. Chaque terroir a ses héros. On reconnaît même dans ses descriptions naturalistes quelques vidéos qui ont fait le buzz sur internet. Tesson, l’explorateur des forêts de Sibérie ne peut donc renier ses origines. Comme le jardin japonais dont toutes les formes sont maîtrisées, Tesson cherche dans les replis les plus obscures du petit pays aménagé qu’est la France, la familiarité et le réconfort dans l’invocation de ses maîtres. Je ne suis pas très sensible à ce type de dispositif.

Bien trop bancal, Sur les chemins noirs a bien du mal à maintenir son potentiel de sympathie intact jusqu’au bout. On est passé à côté du grand livre. D’assez loin.

Ed. Gallimard

Chronique livre : Règne animal

de Jean-Baptiste del Amo.

En pleine saison de l’Amour est dans le pré, après avoir vu Petit paysan au cinéma et avoir parlé en ces pages de la Halle et de ses saucissons, on continue le trip tripes. Règne animal retrace l’histoire d’une famille de paysans du piémont pyrénéen, de métayers culs terreux avant la Grande guerre, à propriétaires terriens et éleveurs de porcs hi-tech dans les années 80.

Le grand talent de Jean-Baptiste del Amo, ce sont ses descriptions minutieuses. La violence des tranchées, l’égorgement d’un cochon, l’accouchement d’une truie, le moindre des épisodes de la vie de cette famille est décrite par le menu, dans une fureur de mots et de violence. Del Amo fait preuve d’une virtuosité linguistique et lexicale bluffante et tourbillonnante. Mais, il faut le dire, trop de virtuosité abat la virtuosité et Règne animal se fait par moment particulièrement pompeux. L’auteur cherche la puissance, le souffle permanent dans la densité de sa phrase mais en racontant son histoire dans cette extrême tension langagière, que ce soit pour parler d’une pâquerette ou de l’avortement spontanée de la mère dans une soue, le puissant devient pompant. On ne comprend même pas clairement pourquoi cette famille serait particulièrement maudite, quelle serait la faute originelle si terrrrrrrible qu’elle ait marqué d’un sceau indélébile le destin de la lignée. Virtuosité donc, mais virtuosité un peu mouillée quand même.

Ed. Gallimard

Chronique livre : La jeune Épouse

d’Alessandro Baricco.

Fais-moi goûter.

lajeuneepouseCertains, qui se reconnaîtront peut-être, ont, de tous temps, moqué mon goût assez immodéré pour Alessandro Baricco. Mais voilà, je persiste et signe, Baricco fait définitivement partie des patrons de la littérature contemporaine. Il a ce génie de se réinventer à chaque fois, avec humour, plaisir, légèreté, gourmandise et fantaisie et pourtant de rester identifiable dès la première ligne.

La Jeune Épouse est un roman initiatique au féminin, ce qui n’est pas très courant finalement. Ici, les personnages, n’ont pas de nom, que des « titres », le Père, le Fils, la Mère… chacun a sa place dans cette famille et la Jeune Épouse n’en fait pas encore partie, promise au Fils qui  est parti et tarde à revenir. Dans cette famille non conventionnelle, la Jeune Épouse découvre des mondes inconnus et charnels, teste son amour et sa patience, bouscule ses habitudes et convictions. Tout comme le lecteur.

(…) il m’arrive de changer plus ou moins brutalement de narrateur, pour des raisons qui, sur le moment, me paraissent rigoureusement techniques et tout au plus banalement esthétiques, avec pour résultat manifeste de compliquer la tâche du lecteur, (…)

Car loin d’être un simple conte, La Jeune Épouse pousse à s’interroger sans cesse, brouille les pistes de la narration. Si tout le monde dans cette famille est à sa place, tout le monde a également sa place dans la narration en elle-même. Qui est en train de nous raconter l’histoire se demande le lecteur ? Car le narrateur change au gré des envies de l’écrivain, qui lui-même n’hésite pas à intervenir dans le cours de son histoire, à intégrer des éléments de son histoire à lui et à rebasculer ni vu ni connu dans le cours du récit initial. Tout ça dans un geste d’écriture d’une souplesse absolue, écriture qui se fait ambiguë, ambivalente, qui joue sur plusieurs tableaux avec plusieurs niveaux de sens différents. Mais comme c’est brillant et taquin ! Car l’écrivain (ou son double), n’hésite pas à se moquer de lui-même, à s’interroger sur sa propre démarche, à faire part de ses doutes, tout ça pour mieux affirmer sa totale liberté d’écrivain.

Moi je trouve ça beau, profond, léger, plein de vie et de plaisir, d’une virtuosité d’écriture implacable sans jamais être démonstrative. La grande classe.

Avec la langue, elle alla récupérer deux choses qui lui appartenaient et qui provenaient de son giron.

Ed. Gallimard
Trad. Vincent Raynaud

Chronique livre : Consumés

de David Cronenberg.

IMG_20160318_211234Parfois, on est sentimental. On se rappelle de grands souvenirs de cinéma, déjà anciens et on a envie de retrouver une sensation, un frisson, une stimulation. Alors on fait les fous, on achète un livre, écrit par un ex demi-dieu du cinéma et. Rien. Ou presque. Ou un mélange étrange de perplexité, de consternation. D’hilarité même.

Parce que tout de même, Consumés est un assez gros ratage et démontre de belle manière qu’écrire des livres, c’est un métier. Le livre commence comme une espèce de scénario qui pasticherait Cronenberg (le réalisateur) en explicitant tout ce qui normalement, dans son cinéma, passe par l’image. Alors évidemment, ça n’est pas léger léger, même assez lourdement signifiant. Le tout est par ailleurs servi par un style d’une platitude extrême. On ne sait qui conspuer, l’auteur ou la traduction et puis on se dit que non, impossible que la traduction soit en cause, et on a alors une pensée de sympathie pour la traductrice qui a dû se coltiner ces dialogues accablants pendant des centaines de pages. La construction en parallèle pourrait être intéressante et insuffler une certaine dynamique au roman, mais elle est clouée au sol à peu près au milieu, par le monologue d’un personnage racontant une histoire fleuve de manière excessivement littéraire et artificielle. Mon dieu, quel ennui. La fin du roman en revanche apporte sa petite pincée de mystère et de folie, mais bien tard, et sans non plus grand génie.

Cronenberg n’arrive que très rarement à faire naître la curiosité du lecteur au cours de cette histoire biscornue. Certes, on retrouve tous les motifs relatifs aux particularités et motifs récurrents de son cinéma, technologies, sexes, mystères et bizarreries en tous genres. On pourrait donc en tirer toutes les analyses qu’on peut faire de son cinéma. Mais c’est presque trop, une vraie accumulation, on frôle l’auto-pastiche. A quoi bon ?

Alors, comme on est sentimental, on n’arrive pas à lui en vouloir et on ne regrette rien. Mais tout de même, bof bof bof.

Ed. Gallimard
Trad. Clélia Laventure

Chronique livre : Mr Gwyn

d’Alessandro Baricco.

Un jour je me suis aperçu que plus rien ne m’importait et que tout me blessait mortellement.

mrgwynJasper Gwyn est un romancier britannique à succès. Son souci, c’est qu’il ne veut plus écrire de romans. Il abandonne l’écriture, voyage et essaie de trouver sa nouvelle voie. Mais l’écriture le rattrape. Il a tout de même besoin d’écrire. Ça y est, c’est décidé il sera copiste. Mais copiste de quoi ? Continuer la lecture de Chronique livre : Mr Gwyn