Chronique livre : L’avenir de l’eau (Petit précis de mondialisation II)

d’Erik Orsenna.

Si tu n’as pas peur de faire le grand saut : clique.

Avec L’avenir de l’eau, Orsenna échoue clairement à renouer avec la réussite de Voyage aux pays du coton, son premier petit précis de mondialisation. L’intelligence d’Orsenna et sa compréhension du sujet n’est pas en cause. Il a bossé à fond, c’est évident et connaît très bien les problématiques liées à l’eau. Le livre d’ailleurs, pour les gens complètement étrangers au sujet, devrait d’ailleurs se révéler fort instructif. Mais pour quelqu’un qui connaît un tout petit peu les enjeux liés à l’eau, le livre se révèle pour le moins brouillon, confus, mélangeant un peu tout, sans réelle méthode. Pourquoi ?

Orsenna a abordé l’eau de la même manière qu’il avait approché le coton. Comme une marchandise comme les autres. Par un voyage sautillant de pays en pays. Or l’eau, se refuse, c’est évident, à cette méthode d’exploration. Comme le dit justement la Directive Cadre Européenne dans le domaine de l’eau : « L’eau n’est pas un bien marchand comme les autres mais un patrimoine qu’il faut protéger, défendre et traiter comme tel. » Et cette même directive, même si elle met en place un cadre européen de la gestion de l’eau, reconnaît également le principe que la gestion de l’eau doit se faire à une échelle appropriée à sa nature : le bassin hydrographique. Voilà tout le paradoxe de l’eau : nécessaire à tous, confrontée peu ou prou aux même problématiques partout dans le monde (qualité, quantité), sa gestion ne doit pas s’imaginer à une échelle mondiale, mais à une échelle locale, adaptée à sa nature, adaptée à son comportement dans le bassin versant, comportement fondamentalement influencé par l’action et les besoins humains. C’est même à l’échelle locale qu’il faudra (faut) gérer l’impact des changements climatiques mondiaux sur le cycle de l’eau. Et même si Orsenna prend bien conscience de ces aspects de l’eau, il continue de déployer sa méthode d’exploration qui paraît par conséquent bien à côté de la plaque. Le sous titre est donc trompeur, puisqu’il peine clairement à faire de son livre un « précis de mondialisation » puisque son sujet esquive le plus souvent ce phénomène. Il le reconnaît d’ailleurs lui-même bien volontiers dans ses 7 convictions finales : trop lourde, trop fragile, il ne pourra pas exister de marché mondial de l’eau, et toute réponse aux besoins d’eau sera forcément locale. C’est dommage, mieux organisé, plus centré, vu sous un angle différent, il y avait pourtant de quoi traiter le sujet « mondialisation », il l’effleure d’ailleurs à la fin du livre en parlant des sushis : l’engouement nippon croissant de ces petits bouts de poissons provoquent la paupérisation piscicole des mers, et par conséquent un accroissement de l’élevage dans des pays éloignés où l’eau est déjà bien trop rare (la Mauritanie).

Mais voilà, là où l’exemple du coton, puisqu’il existe bien un marché mondial du coton, permettait de révéler les incohérences et les impasses d’un système économique mondial, l’exemple de l’eau y échoue : il n’existe pas de marché mondial de l’eau. Et par conséquent, l’eau, alors même qu’impactée par la mondialisation, ne peut pas servir de révélateur de ses dangers. En tant que « bien marchand pas comme les autres », elle est trop complexe, pose trop de questions, révèle trop d’intérêts vitaux a priori antagonistes qui nécessitent des réponses et des arbitrages locaux.

Gloire à Orsenna cependant de mettre au premier plan ce sujet, somme toute mal aimé et appréhendé. A lire par les néophytes de l’eau, le livre brasse large, se lit bien, et leur apprendra probablement plein de choses.

Chronique Livre : La Possibilité d’une île

de Michel Houellebecq.

Il a fallu toute la force de persuasion de deux personnes pour me convaincre à mettre le nez dans ce bouquin, échaudée que j’étais par le souvenir catastrophique de certaines particules élémentaires. Ils avaient raison. J’ai été terrassée par ce livre, foudroyée par le regard lucide et la plume acérée de Houellebecq.

Deux récits se croisent dans deux temporalités différentes : celui de Daniel, comique cynique à succès du XXIème siècle, et celui de son clone, plusieurs millénaires plus tard, qui commente la vie de son lointain ancêtre. Même ADN pour deux modes de vie diamétralement opposés. Si Daniel, premier du nom, affecte une haine de l’humanité sans fond, il n’est à la recherche que d’une chose, l’Amour. Sous ses propos souvent limites, se cachent le gouffre immense du manque de tendresse, la peur du vide, l’angoisse de la mort. Tout en rejetant l’idée même de paternité, sa terreur de la fin, et surtout de la vieillesse, le pousse dans une réelle fascination pour les travaux scientifiques d’une secte promettant la vie éternelle. Il accédera réellement à cette vie éternelle, via le clonage. Mais cette vie, régulièrement renouvelée par la mise en circulation d’un nouveau Daniel, n’a plus rien à voir. Pas de contacts humains, pas d’amour, pas de baise. C’est une vie purement intellectuelle consistant à se replonger dans les souvenirs de l’ancêtre, à essayer de comprendre ses motivations, ses choix. Mais quand il n’y a plus d’envie, plus de désirs, plus de décisions à prendre, plus de futur incertain, cette compréhension disparaît.

Malgré quelques légères longueurs, le roman est bouleversant de bout en bout, notamment dans ces dernières pages, modestes et ambitieuses, qui essaient en quelques lignes, et réussissent, à définir ce qu’est la vie. Au détour des lignes, Houellebecq assène des vérités, mine de rien, et sans esbroufe. La Possibilité d’une île fait partie de ces oeuvres qu’on pose en se disant « ce gars là a tout compris ». Oui, il a tout compris à l’Homme, ses élans et sa peur au bide, sa misanthropie et son indulgence à pardonner la faiblesse humaine. C’est moralement contestable, et humainement indispensable.

Chronique livre : Insecte

de Claire Castillon

Style enlevé, langue acerbe, vitesse de la pensée et de l’écriture, Insecte, de Claire Castillon, se propose, en quelques nouvelles courtes de brosser un panorama des relations mères-filles. C’est trash et provocateur, vénéneux, sadique, sans pratiquement jamais une petite goutte de tendresse. Forcément, on finit par s’identifier ça et là, par se projeter dans quelques souvenirs de tensions familiales. En ça, c’est réussi et accrocheur.

Si on se laisse vite prendre par ces histoires malignes, ces retournements de situation brutaux, on a pourtant rapidement l’impression que Claire Castillon remplit soigneusement son cahier des charges. Elle a bien dû se taper toutes les émissions de Delarue traitant peu ou prou des rapports mères-filles, des enfants à problème, ou pire de Confessions intimes sur la chaîne qui est conçue pour abrutir.

La liste finit par paraître systématique et sans honnêteté, un catalogue où tout passe : inceste, retombée en enfance de la môman, crise d’adolescence, matricide, syndrome de Münchausen par procuration, enfant handicapé, gavage de médicaments forcé, abandon de bébé … Ca devient peu à peu malsain et truqueur, vaguement nauséabond, sans jamais être vraiment dérangeant (ben ouais, ça m’est arrivé de regarder Delarue, j’en connais un rayon). A lire sur un Dijon-Paris, avec des gosses qui hurlent dans le wagon.

Chronique livre : Voyage aux pays du coton

Voyage aux pays du coton
Petit précis de mondialisation
d’Erik Orsenna

de l’Académie française (rien que ça)
Fayard

Voila un moment que Voyage aux pays du coton me nargue dans cette vitrine. Illustré du bel idéogramme signifiant « coton » (association des trois idéogrammes : arbre, soleil/blanc et tissu), j’ai longtemps résisté à cause du sous-titre, craignant un ouvrage rébarbatif, bien-pensant et didactique. J’avais tort. Erik Orsenna s’est pris de passion pour l’histoire du coton, cette plante aux fruits pelucheux à laquelle nous sommes tous redevables, et il est parti sur ses traces du Mali à la France, en passant par le Brésil, les Etats-Unis, la Chine, l’Egypte, et l’Ouzbékistan.

Ce livre est donc le récit d’un voyage thématique, avec ses découvertes, anecdotes, rencontres. De ses rencontres avec des petits paysans maliens, brésiliens, ouzbeks, rencontres avec des ouvriers chinois, on ressort l’œil un peu humide : des millions, des milliards de vie, dépendantes d’une matière première sur laquelle ils n’ont finalement aucun contrôle, dans notre société de « trop », c’est la demande qui décide, et non pas l’offre. De l’autre côté, de son œil pourtant fort averti, il raconte de façon faussement naïve ses entrevues avec les puissants de ce monde (en gros les négociants et politiques américains, passages d’autant plus effrayants que racontés de manière assez brute, je le soupçonne de ne même pas en rajouter).

Ton enlevé, écriture délicieuse et poétique, le livre s’avale comme une confiserie, sans écœurement aucun. C’est aigre-doux, entre espoir et désespoir. J’ai lu quelques critiques plutôt déçues par ce livre « sans fond », une « succession d’anecdotes »… alors oui certes, Voyages aux pays du coton n’est pas un livre qui apporte sur un plateau une pensée prédigérée, c’est un livre en creux, qui donne à penser, un miroir partial et partiel de l’économie mondiale dans toute sa diversité et sa cruauté, qui distille sous un récit de voyage faussement bon enfant une peinture grinçante et complexe de notre société.

Le seul reproche que je peux lui faire, en bonne écologiste de métier c’est de ne pas insister suffisamment sur les désastreuses conséquences de la monoculture du coton. Il le fait, bien entendu (il lui était impossible de passer à côté de l’assèchement de la mer d’Aral, coincée entre Kazakhstan et Ouzbékistan, dû à l’irrigation des champs de coton, ainsi que la disparition rapide de la forêt amazonienne au Brésil pour laisser la place aux immenses cultures de coton notamment), mais de manière ponctuelle. Enfin, je mégote, l’ouvrage est court, impossible de développer tous les thèmes abordés.

Pour finir quelques morceaux choisis :

Au Brésil, Orsenna s’étonne de l’effectif (incroyablement faible) d’ouvriers dans les filatures, le patron rétorque :
« –Je sais, c’est encore un peu trop pour résister aux chinois. Quel est donc le secret de ces chinois, l’arme qui les rend si forts ?
Depuis longtemps j’ai réfléchi à cette question. Je vous livre ma réponse : les Chinois ont inventé l’ouvrier idéal. C’est-à-dire l’ouvrier qui coûte encore moins cher que l’absence d’ouvrier« .

Orsenna rencontre un manitou américain de la recherche génétique :
« –Je sais que vos lobbies antigénétiques sont parvenus à faire interdire la recherche. Interdire la recherche ! Comment acceptez-vous cet obscurantisme ? De plus en plus, (…), nous avons l’impression que l’Europe refuse son époque. Et se suicide. L’Europe, berceau de la science moderne !
Ce n’est pas le genre de propos qu’il est agréable d’emporter avec soi. Je ne recommande à personne une soirée dans un motel de Knoxville (Tennessee) en la seule compagnie d’une telle vérité. »

Dans les immenses plaines américaines :
« Qu’est-ce qu’un plat pays ? La sagesse locale donne la meilleure des réponses : ne t’inquiètes pas pour ton chien. Aucune chance de le perdre. Il peut s’enfuir où il veut, courir trois jours et trois nuits, jamais tu ne le perdras de vue. »

A Datang (Chine), capitale mondiale de la chaussette :
« Quatre hectares et neuf milliards de chaussettes (…). Des chaussettes jusqu’au vertige. Jusqu’à douter que l’humanité ait assez de pieds pour enfiler autant de chaussettes. »