Chronique livre : D’autres vies que la mienne

d’Emmanuel Carrère.

dautresviesquelamienneOn ne peut pas dire grand chose de nouveau sur ce roman magnifique d’Emmanuel Carrère. Commencé puis abandonné par son auteur au profit de l’écriture d’Un roman russe, le livre a manifestement beaucoup profité de cette phase de maturation et de la stabilisation de la vie de son auteur.

Emmanuel Carrère met véritablement sa plume au service d’autres vies que la sienne dans ce roman passionnant et émouvant, des vies confrontées au drame, à la maladie ou à la mort, brutale ou lente. Continuer la lecture de Chronique livre : D’autres vies que la mienne

Chronique livre : L’homme chauve-souris

de Jo Nesbø.

C’est l’absence de pathologie qui est dangereuse, parce qu’à ce moment-là, l’organisme arrête de se battre, et il tombe rapidement en morceaux.

lhommechauvesourisRedoutable auteur de polar décidément ce Jo Nesbø. Difficile de lâcher l’affaire avant la fin, et ce malgré une traduction parfois bien bancale qui rend certaines scènes d’actions particulièrement cafouilleuses et qui comprend des coquilles orthographiques grosses comme le bras (oui, la différence entre le “a” et le “à” est parfois délicate, mais tout de même…). Continuer la lecture de Chronique livre : L’homme chauve-souris

Chronique livre : Falconer

de John Cheever.

Ezechiel Farragut est un professeur marié, respectable, et juste un peu héroïnomane. Après un accident de tisonnier ayant provoqué la mort de son frère, il est incarcéré pour fratricide dans la prison de Falconer. Le roman raconte ce passage en prison, en digressant parfois un peu sur le passé de Farragut. Mais les plus belles pages sont indubitablement celles qui racontent la vie carcérale.

Il attendit que les lumières et la télévision s’éteignent et lut, à la lumière qui venait de la cour : « Je t’aime. »

La toxicomanie de Farragut semble agir comme un voile entre lui et la réalité de la prison. Compte-tenu de son niveau social, il semble s’adapter avec facilité à ce nouveau milieu et à ses codétenus. Aucun jugement n’émane de Farragut (et surtout de Cheever), il a assez des casseroles qui viennent régulièrement le hanter pour se permettre de juger les autres. Les hommes, qu’ils soient prisonniers ou personnel carcéral, sont décrits de la même façon, avec la même humanité, mais sans angélisme. Chaque habitant de Falconer se débat avec ses propres démons et ses propres fantômes, les prisonniers et les gardiens étudient pour obtenir un diplôme, se confient l’un à l’autre, font preuve tour à tour de cruauté ou de gentillesse. A Falconer, on y mange et on y baise, on y travaille et on y aime, on y triche et on y meurt aussi très bien. Et puis parfois, de Falconer, on réussit à s’en évader.

Ayez pitié de nous, essayez de comprendre nos terreurs.

Le plus beau passage du roman, c’est lorsqu’une révolte avec prise d’otages éclate dans une autre prison. Tout alors ne devient alors que terreur. Les gardiens et l’administration ont une trouille bleue que l’émeute se propage à Falconer, et des plans sont échafaudés pour endormir la vigilance des détenus. On confisque les radios et la télévision, on organise des récréations débiles (se faire tirer le portrait devant un arbre de Noël en plastique). Les rapports de force s’inversent alors entre ces gardiens qui essaient de tenir le cap alors même qu’ils sont morts de peur, et les prisonniers. Mais ceux-ci sont déjà assez éteints, et les maigres tentatives de secouer la baraque font long feu.

On peut lire Falconer également comme un roman d’apprentissage, et surtout d’apprentissage de la liberté. Car c’est finalement à Falconer, que, malgré lui et sans forcément qu’il s’en aperçoive, Farragut se libère de ses chaînes, son frère, son mariage, son addiction à la drogue. L’évasion finale peut alors être lue comme parfaitement métaphorique, une nouvelle naissance ( Farragut doit s’extraire du sac dans lequel il s’est caché). Et la générosité d’un homme post-évasion, une deuxième fois répétée, apporte un peu de chaleur à la noirceur de l’univers, une lueur d’espoir.

Un beau roman ricain, plein de creux et de bosses. Comme on les aime.

Ed. Gallimard
Coll. Folio
Trad. Michel Doury

Chronique livre : Un roman russe

d’Emmanuel Carrère.

J’ai reçu en héritage l’horreur, la folie et l’interdiction de les dire. Mais je les ai dites. C’est une victoire.

Je sors à la fois blessée et enthousiasmée par Un roman russe. Encore dans le souvenir de Limonov, je ne m’attendais pas à ce déballage de vie privée de la part de l’auteur. Déballage qui m’a rendu mal à l’aise au point de devoir arrêter, par moments, la lecture du livre.

Emmanuel Carrère nous raconte en effet l’apogée et la dégradation du couple qu’il formait avec une jeune femme nommée Sophie. Impudique, cette partie de l’histoire l’est à plus d’un titre, non pas dans son volet érotique (ou pseudo-érotique, car jamais tentative de littérature émoustillante ne m’a laissé aussi glacée), mais surtout dans la manière dont Emmanuel Carrère se décrit : comme un sale type dirigiste. Si un millième de ce qu’il raconte est vrai, on peut dire que oui, Carrère est réellement un sale type, et surtout qu’il adore se complaire et se vautrer dans cette description de lui-même. C’est brillant, je ne dis pas, mais je ne comprends pas ce que tout ça apporte au livre, du moins ce que le fait de développer cette histoire sur plus de la moitié du roman apporte au livre. C’est exactement pour ça que je n’ai aucune envie de lire du Angot : j’aime le recours à l’autofiction dès qu’il s’agit de l’intime, on y touche au plus vrai, au plus juste, au plus universel. Dans tous leurs détails factuels, l’intime d’Emmanuel Carrère et sa rupture amoureuse, unique sur la forme, banale sur le fond, resteront à jamais l’intime et la rupture amoureuse d’Emmanuel Carrère. Le lecteur, s’il n’est pas voyeur, n’a qu’à aller se rhabiller, il n’est pas le bienvenu dans cette partie du roman.

Beaucoup plus intéressante par contre l’histoire d’Emmanuel et de la Russie. Plusieurs tiroirs dans ce récit, les rapports d’Emmanuel Carrère avec la langue russe, l’histoire familiale maternelle, boîte de Pandore enfin ouverte, et les voyages de l’auteur dans un bled paumé de la Russie, Kotelnicht, durant lesquels lui et une équipe tournent un documentaire. Là, on retrouve l’écriture de Carrère qu’on a aimé dans Limonov, cette manière de raconter son histoire en créant des liens entre tout et rien, de transformer un voyage sordide, un bled sordide, en un lieu qui catalyse les tensions, les siennes, celles de sa famille et de la Russie. On y croise des personnages qui sous la plume de Carrère deviennent de vrais personnages de romans sans perdre de leur humanité. Il réussit à créer un mystère, une tension, qui se termine dans un bain de sang à la hache, et permet de faire la connaissance d’un vieille femme imbibée tout droit sortie de chez Dostoïevski. Là, c’est vraiment brillant, dans l’écriture, les noeuds qu’il entend défaire.

C’est d’ailleurs une étrange coïncidence que d’avoir choisi Un roman russe après avoir lu L’effrayable, dont les thématiques sont approchantes : nous sommes les héritiers d’une histoire familiale, qui, si elle n’est pas dite peut tout détruire. Tout ça est fait avec beaucoup plus de subtilité chez Carrère que chez Becker, dans des approches formelles complètement opposées. Une deuxième incursion dans l’univers de Carrère en demi-teinte par rapport à l’éblouissement Limonov, avec tout de même l’envie de continuer à découvrir cet auteur. Enfin ses textes. Seulement ses textes.

Ed. Folio 

Chronique livre : Chasseur de têtes

de Jo Nesbø.

Roger Brown est un excellent professionnel et pratique l’honorable métier de chasseur de têtes. C’est à dire qu’il cherche pour ses clients la bonne personne, pas celle qu’il leur faut, mais celle dont ils croient avoir besoin. Mais pour maintenir à flot la galerie d’art de sa femme, Roger Brown est obligé de faire des heures sups, durant lesquelles il cambriole le domicile de ses clients. Jusqu’au jour où un de ses clients se révèle lui aussi, un excellent chasseur. Commence une traque dont l’enjeu n’est finalement pas celui qu’on croit.

Difficile de lever le nez de ce thriller tendu et implacable. Le roman est court (à peine trois cents pages), mais réussit pourtant à déployer son intrigue ample et complexe dans laquelle le lecteur est baladé sans jamais toucher pied à terre. Jo Nesbø est un virtuose de l’intrigue et de l’écriture (c’est vraiment bien écrit). Les personnages sont complexes et fascinants à souhait, manquant tous plus ou moins de sens moral, ce qui rend le tout assez délectable. On a le droit à tout un tas de scènes cracras plutôt marrantes, et un final qui nous met dedans bien comme il faut. Bref, un thriller impeccable.

Ed. Folio policier
Trad. Alex Fouillet