Chronique livre : Les nouvelles métropoles du désir

d’Eric Chauvier.

lesnouvellesmetropolesVous qui entrez dans ce livre, laissez toute espérance ! Grande amatrice des errances psycho-socio-géographico-lexicalo-péri-urbaines d’Eric Chauvier, me voilà toute bousculée par ce texte sans pour autant pouvoir mettre immédiatement le doigt sur ce qui m’effraie à ce point là-dedans. Oui, ce qui m’effraie et d’ailleurs, il est beaucoup question de peur dans Les nouvelles métropoles du désir. Où plutôt de terreur. Une terreur à la spatialisation calculée, mais ça, on ne le comprendra qu’à la fin, n’allons pas trop vite.

Voilà que je me perds une fois encore dans la contemplation de leur beauté – sublimation de la vérité urbaine.

Comme d’habitude chez Eric Chauvier, au commencement il y a le fait vécu, l’expérience. Ici, en centre-ville, un hipster se fait tabasser sans raison apparente par trois banlieusardes en furie. Eric Chauvier le suit dans un bar auquel j’aurais bien du mal à donner un qualificatif (on y passe des films sans le son, du tennis sans les bruits de balle, de la musique remixée plein pot et on y croise des gens super-lookés, ça vous dit quelque chose ? moi non, mais je suis un peu plouc et je n’aime pas la musique à fond). Dans ce bar, notre contemplatif contemple et dissèque, ou tente de disséquer, les comportements opaques d’ilôts d’humains branchouilles, tout en essayant vainement de commander une bière (ça c’est la running joke du livre). Viennent se greffer à sa contemplation pour le moins morne, des bribes de souvenirs, un apéro chez un ami d’enfance raciste, des ados qui manipulent des armes dans le bois d’un lotissement et bien sûr les trois furies.

Partout, domine l’impression que cette zone existe par défaut, telle l’antichambre d’une vie sociale qui serait ailleurs.

Parce que c’est ça en fait qui intéresse Eric Chauvier, essayer de comprendre ce qui a poussé ces trois filles à tabasser le gars qui ne faisait que passer. Il entame alors une réflexion « à la Chauvier », brouillant les frontières de l’histoire, de la géographie, de la sociologie et de la psychologie. Banlieue et péri-urbain (les abords, les périphéries) vs les centre-villes dans lesquels tout est calculé (y compris le look et les comportements de ses habitants) pour en faire ces « nouvelles métropoles du désir » dans lesquelles même les périphériques doivent ressentir une illusion d’appartenance construite et finalement factice. Bon, alors ici, on n’est clairement pas dans une grande révolution de la pensée, riches vs pauvres, la lutte des classes, le désir de posséder ce que la classe sociale « supérieure » possède, tout ça tout ça, on a déjà lu ça à toutes les échelles possibles, du local au mondial, de l’ancien à l’actuel. C’est bien fait, mais pas très nouveau.

C’est tout le problème : tout comme mon ami d’enfance, les trois furies détestent de façon viscérale ce qu’elles désirent. Seul le passage à l’acte les distingue.

Ce qui est bien plus intéressant par contre, c’est la façon dont Eric Chauvier met en lumière un processus de renversement de la terreur. Au passage à l’acte des trois furies (on peut y voir métaphoriquement tant de choses dans ce passage à l’acte terrorisant), il oppose la violence engendrée par la sophistication des hyper centres urbains et de leur faune (occidentale?). Par cette sophistication pleine, matérielle (les commerces, les marques, le look) ou immatérielle (la beauté), consciente ou inconsciente, la ville (contenant et contenu), qui accueille physiquement et s’abreuve de tout le sang qu’on lui injecte, renvoie à leur vide les « occupants des limbes », provoque le désir, suscite la détestation. Les plus chafouins me rétorqueront que tout ça n’est pas très nouveau non plus, pas très abouti et qu’il serait temps d’aller plus loin. Oui, certes, mais c’est quand même plutôt bien fichu.

Par leur comportement blasé, (les résidents épanouis des métropoles) appliquent les préceptes contenus dans l’étymologie du mot « territoire » : « droit de terrifier ». Les êtres sexy qu’ils pensent être ici deviennent parfois monstrueux là-bas, dans l’outre-ville d’où émanent d’indistinctes menaces.

En fait, je pense que ce qui me bouscule là-dedans, c’est que ce qu’Eric Chauvier raconte m’est viscéralement étranger. Je vois ce qu’il veut dire, je fais les mêmes constats, je pense qu’il a probablement raison sur beaucoup de choses. Mais moi je ne fonctionne pas comme ça et je me sens démunie face à la vision du monde (des mondes) qu’il décrit, je ne les appréhende pas, je les vois, mais je ne les vis pas. Tout ça manque cruellement d’amour et de lumière. Les nouvelles métropoles du désir est glaçant, un cercle vicieux, car que reste-t’il à sauver ? Où est passée l’humanité ? N’y a t’il pas le moindre espoir d’esquisser une solution ? A quoi sert un livre s’il ne sert pas à fracturer nos propres impasses ? Si la réflexion qu’il engendre nous fait nous cogner aux parois du bocal ? Comment survivre à cet étouffement ? Là tout de suite, je ne vois pas. Sans doute une petite chanson douce ?

Ed. Allia

PS : je parcours après avoir écrit ce texte quelques critiques sur ce livre parues dans des revues des vraies, surgit alors le mot « Réjouissant ». De l’hétérogénéité des perceptions.

Chronique livre : Anthropologie

d’Eric Chauvier.

anhropologie800Première des enquêtes publiées par Eric Chauvier chez Allia, on trouve effectivement dans cette Anthropologie, tous les ferments de ce qui se déploie dans ses recherches futures. Tout commence par une rencontre un peu particulière, une femme qui fait la manche à un carrefour. L’automobiliste Eric Chauvier est interpellé par la vision de cette femme et cherche à comprendre ce qui lui arrive. Pour essayer de comprendre, il interroge les passagers qui l’accompagnent au sujet de cette femme, mais aucun ne lui apporte une réponse satisfaisante. Continuer la lecture de Chronique livre : Anthropologie

Chronique livre : Neverdays

d’Alizé Meurisse.

…, c’est grisant de refuser d’être soi.

OLYMPUS DIGITAL CAMERAQuand Allia publie des jeunes auteures, j’ai toujours un peu peur du syndrome de la fille ayant du mal avec sa propre réalité. Neverdays vient mettre à mal mes préjugés, même si justement, il est question ici d’identité, de vérité de l’être et des sentiments.

Le roman est, il faut le dire, plein de défauts : souvent maladroit, un peu jeune dans l’écriture, bourré du grand mal de la littérature française, la référencite aiguë. Mais le truc, c’est qu’Alizé Meurisse, malgré tout ça, réussit vraiment bien à nous embarquer dans son histoire. Continuer la lecture de Chronique livre : Neverdays

Chronique livre : Contre Télérama

d’Eric Chauvier.

Nouvelle incursion dans l’univers d’Eric Chauvier après le fabuleux Somaland. Contre Télérama est un très court livre, écrit, du moins mis en forme et publié en réaction à un article paru dans Télérama et parlant de « La France moche », pour qualifier les zones périurbaines. Mais ce moteur, on ne le découvre qu’au milieu du livre. Contre Télérama est constitué de mots-clés, dont chacun donne lieu à une réflexion tenant sur une ou deux pages.

Chacune de ces “franchises individuelles”, qui – avec leur décoration neutre et standardisée – semblerait, pour ce journal de la capitale, tout aussi “moche” que les franchises commerciales, hébergent des fictions insondables et jamais sondées.

L’argument principal d’Eric Chauvier pour la “défense” de cette vie périurbaine consiste en la neutralité de ces zones. Leur “invisibilité” rend ces zones intéressantes car encore jamais explorées. Dans ces quartiers, la moindre discontinuité peut alors faire émerger l’interrogation, et donc titiller l’imagination et engendrer la fiction.

En se rendant réceptif à ces hurlements sauvages, l’adulte évite ici de flirter avec une tristesse sans nom. Il éperonne sa mémoire et produit des images, des odeurs et des sons qui délient son potentiel de fiction, autrement dit son aptitude à transgresser les standards de la vie mutilée.

La vie en zone périurbaine serait alors un moteur puissant grâce auquel les hommes, par le biais de la fiction pourraient apprendre à transgresser, à dépasser le cadre qui les entoure et qui les habite. L’uniformisation et la neutralité des lieux seraient le terreau fertile dans lequel la moindre anfractuosité permettraient aux habitants de déployer leurs capacités de fiction et donc sans doute d’atteindre un état d’éveil supérieur, impossible dans un contexte moins neutre.

Nos voix ne porteraient pas, et cette impossible conversion de l’intime en politique nous préoccupait au plus haut point.

Nous en avons parlé rapidement certes, mais il ne fait pas de doute que cette appétence pour la dissolution des causes pourrait constituer un principe majeur de la vie péri-urbaine.

Malgré tout, Eric Chauvier constate un phénomène préoccupant. Si la vie dans les quartiers périurbains permet à l’homme de développer sa capacité à voir et à imaginer, elle anésthésie pourtant sa capacité à agir et à prendre position. L’habitant, alors, est condamné à subir. Et quand il réagit, c’est forcément vis-à-vis d’une discontinuité, d’un élément non concordant avec son cadre. C’est ainsi que l’âne, habitant originel du quartier, est caillassé en pleine nuit car ses braiments dérangent le voisinage.

Tout autre choix de vie nous semblait faux et impraticable – définitivement impraticable.

Eric Chauvier ne délaisserait son mode de vie pour rien au monde, mais cette dernière phrase est aussi un couperet. Comment qualifier une vie, un mode de vie, qui empêche l’individu de se projeter dans autre chose ? L’aliénation est totale, et la zone périurbaine devient alors un lieu sacré, dans lequel il n’y pas besoin de prêcheur. Les habitants s’auto-convertissent, et la liberté gagnée d’imagination et de fiction, se paie par une diminution de la capacité de mouvement et d’intégration au réel.

Bien que formellement moins original et travaillé que le fabuleux Somaland, Contre Télérama montre à quel point la langue est une préoccupation majeure d’Eric Chauvier. Le texte est littérairement très travaillé, et c’est par le biais de cette langue que le lecteur, lui aussi est amené à bâtir sa fiction autour du texte. Jamais sèche, l’écriture d’Eric Chauvier laisse deviner tendresse et humanité à travers les apparitions fugaces de la vie des autres. Une voix passionnante et stimulante, dont j’ai bien l’intention de poursuivre la découverte.

Ed. Allia

Chronique livre : Fermer l’oeil de la nuit

de Pauline Klein.

Je ne sais pas pourquoi j’ai craqué, je sais pourtant bien qu’il faut se méfier des livres publiés par Allia et contenant le mot “nuit”. Donc chez Allia, en général, soit je tombe sur les “cérébraux” (Eric Chauvier, Bruce Bégout, Hélène Frappat…) et là, j’exulte, soit sur les jeunes femmes “ayant un peu de mal avec leur propre réalité et leur corporalité et fondamentalement sous-occupées” (Marina de Van) et là je pleure. Pauline Klein se situe à mi-chemin entre les deux catégories.

Une jeune femme emménage dans un appartement parisien. Elle ne fait rien de ses journées, reste enfermée presque tout le temps. Puis se découvre un demi-frère en prison avec lequel elle entame une correspondance. L’homme enfermé la pousse à sortir et à lui raconter ses sorties. Elle devient son extérieur. Dans le métro, elle croise un couple qui la fascine, elle est enceinte, il a une barbe. En sortant du métro elle comprend que le couple habite juste au dessus de chez elle. Ils sont artistes. Elle les écoute, puis les espionne franchement, avant de carrément pénétrer dans leur appartement, puis de faire la rencontre du peintre. Tout ça et plus encore en 127 très courtes pages.

L’art de la concision fait donc partie de la palette de Pauline Klein, qui déploie son complexe projet dans un format micro (le côté cérébral donc). Il est question d’enfermement et de liberté dans ce livre, d’identité et de réalité aussi. Tous les personnages semblent en effet coincés dans leur vie, soit mentalement, soit physiquement. Et Pauline Klein sonde ce thème et ses variantes avec un certain talent, et une écriture intéressante. Il y a même une très jolie idée dans Fermer l’oeil de la nuit, deux amants communiquant de manière éphémère par fausses pages wikipédia interposées, et une fin vraiment belle qui m’a presque émue.

Mais en même temps, et là c’est un rejet tout à fait personnel, je n’arrive pas à adhérer à ces personnages de jeunes femmes diaphanes mal dans leur peau, qui ne savent pas vraiment quoi faire d’elles-mêmes. Je suis sûrement bassement matérialiste, mais ces héroïnes qui ne travaillent pas, mais trouvent un appartement dans un claquement de doigt, qui n’ont rien d’autre à faire que d’écouter leurs voisins, ou de se gratter les croûtes, désolée, mais moi, je n’y arrive pas, ça m’agace fondamentalement. Pauline Klein écrit bien, c’est sûr, mais son écriture n’arrive tout de même pas à transcender suffisamment son sujet pour me faire oublier mon énervement. Enfin, à force de multiplier les variations sur son thème et les histoires dans l’histoire, on finit par ne plus très bien comprendre quel est vraiment le projet de l’auteur. Ça part au final un peu dans tous les sens, sans vraiment être centré comme il le faudrait.

Fermer l’oeil de la nuit finit par ressembler à un patchwork, dont certaines pièces ont de la valeur, mais dont le tout est plutôt mal cousu donc pas forcément très fonctionnel. Ça peut plaire et ça plaît si on en croit le presse. Moi j’avoue que ce n’est pas mon truc.

Ed. Allia