Chronique livre : L’attrape-coeurs

de J. D. Salinger.

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L’adolescence est un période sombre qui parfois dure toujours.
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Pas bien compliqué de comprendre pourquoi Salinger est devenu l’auteur mythique qu’il fût grâce à ce court texte. Racontant l’errance d’un adolescent peinant pour entrer dans la vie adulte, L’attrape-coeurs est un petit objet émouvant et drôle malgré le mal-être dont il est question ici.

En créant le personnage d’Holden Caufield, gosse issu d’une famille aisée, viré de son lycée pour insuffisance de résultats, Salinger réussit à saisir quelque chose d’insaisissable dans cet âge difficile d’abandon de l’enfance pour le monde « sérieux » des adultes. Ce gosse n’aime rien à part sa petite soeur ou des morts (son frère, un ami suicidé). Il est incapable d’accepter les choses comme elles sont (il faut avouer qu’il n’a pas tort, les choses ne sont pas belles), ou plutôt il est incapable d’accepter l’imperfection du monde. Pourtant derrière cet apparent dégout universel, il est ému aux larmes par n’importe quelle fille un peu mignonne, ou n’importe quel gosse mal fagoté. Bref, ce gamin est assez inapte aux compromis, se camoufle derrière son attitude détachée et j’avoue ne pas réussir à l’en blâmer vraiment. Salinger bâtit son livre comme une sorte de road-movie new-yorkais, d’errance, de place en place, de personnage en personnage. Holden Caulfield tout en prétendant vouloir s’éloigner du monde, n’a pourtant de cesse de s’y confronter : il appelle tout son carnet d’adresse, va voir les gens, mais à chaque fois,

quelque chose en eux le déglingue, et il part encore plus déprimé. Voilà, Caulfield fait une dépression, celle qui touche en général les gens intelligents quand ils découvrent qu’ils ne seront jamais pleinement dans la vie, nageant dans un monde qui n’est pas fait pour eux. Salinger utilise un langage parlé qui colle parfaitement à son récit, et a probablement dû fortement diviser les lecteurs lors de la sortie du livre.

Bourré de gros mots et d’analyses très personnelles de la vie, de la religion, des gens, l’Attrape-coeurs est un livre qu’on lit la larme à l’oeil et le sourire aux lèvres. Bingo.

Chronique livre : L’Aliéniste

de Caleb Carr.

Pas grand chose à raconter sur ce polar de plutôt bonne facture. L’Aliéniste nous plonge dans le New York de 1896, à la poursuite d’un tueur en série qui zigouille méchamment les petits nenfants immigrés et travestis. Les méthodes d’investigations en sont à leurs balbutiements, la police scientifique peine à faire entendre sa voix (les empreintes digitales ne sont pas encore reconnues comme des preuves scientifiquement valables), et un psychiatre tente de « profiler », comme on dit maintenant, le tueur, bourreau, mais également victime d’une enfance dévastatrice. Ça se lit bien, ça divertit sans trop abrutir. On ne pouvait pas en attendre beaucoup plus.

Chronique livre : L’Attentat

de Yasmina Khadra

Amine, un riche Israélien d’origine arabe exerce sa profession de chirurgien dans un hôpital de Tel Aviv. C’est un homme qui a réussi, bon boulot, bien marié, belle maison, il a su passer outre les difficultés d’être arabe à Tel Aviv. Jusqu’au jour où, sa femme Sihem, si discrète, intégrée et timide se bourre d’explosifs et se fait sauter dans un restaurant bondé de la ville. Après une phase de négation, Amine sombre dans l’incompréhension totale de ce qui s’est passé. Lui qui a bâti une cage dorée pour et autour de son épouse idéalisée, n’a rien vu passer de l’essentiel, de l’extérieur, du monde qui palpite et qui souffre au bord de son univers. Il se lance alors à la poursuite d’une explication plausible à cette incompréhensible geste, croise misère, injustices et lutte pour survivre, et retrouve son passé qu’il avait soigneusement enfoui sous une jolie couche de vernis.

Ce n’est pas par le style que ce bouquin est accrocheur. Ampoulé, métaphorique et poético-chichiteux, il navigue entre mauvais polar et bluette du dimanche, même si, à de très rares moments, un zeste de joliesse s’échappe de cet excès de verbiage.

Pour agaçant que soit ce travers, il faut avouer que les quelques 250 pages de cette courte histoire se dévorent. Les personnages sont bien campés, sans jamais être spécialement clichés. L’incompréhension du chirurgien, totalement imperméable aux explications que lui fournissent les terroristes est à ce point remarquable. Le formatage que lui a inculqué son statut de médecin israélien l’a coupé du monde réel, de ses origines. Pour lui, si sa femme s’est fait sauter le caisson, c’est parce qu’il n’a pas réussi à la rendre heureuse. Il ne peut pas imaginer une cause plus vitale, plus revendicatrice que les limites de son quotidien.

Les deux mondes s’affrontent, ceux qui souffrent, subissent, et n’ont plus rien à perdre, et ceux qui dominent, pas forcément consciemment, imposent, et pour qui les actes désespérés des premiers sont une raison supplémentaire d’étouffer les revendications. Cercle vicieux. Sans jamais excuser aucun acte de violence, et de tuerie, ou de fanatisme l’Attentat révèle une vérité assez dérangeante pour se sentir mal dans son mode de vie douillet et occidental. C’est déjà pas mal.