Chronique livre : Menteurs amoureux

de Richard Yates.

(…) Susan Andrews annonça à son père d’une voix très calme qu’elle ne l’aimait plus.

menteursamoureuxVous connaissez tous mon admiration absolue pour Richard Yates, dont chaque livre m’a absolument bouleversée, retournée comme une crèpe.

Menteurs amoureux est un recueil de nouvelles. Une courte notice biographique placée en tête de l’ouvrage éclaire judicieusement l’ensemble de ces textes, mais dans chaque oeuvre de Richard Yates, vaguement inspirée d’épisodes biographiques ou pas, il y a du vécu et des tonneaux de désespoir et d’attentes déçues. Continuer la lecture de Chronique livre : Menteurs amoureux

Chronique livre : Un été à Cold Spring

de Richard Yates.

Les fidèles de Racines savent déjà à quel point j’aime Richard Yates, et ce n’est certainement pas Un été à Cold Spring qui me fera réviser mon jugement. Richard Yates est un très grand écrivain, qui derrière un classicisme de façade dissimule une des plumes les plus chirurgicales et bouleversantes que je connaisse.

En quelques pages l’auteur dresse le portrait d’une famille américaine somme toute très moyenne. Charles Shepard est un militaire pas franchement brillant, obligé de démissionner à cause de sa vue basse, sa femme une dépressive chronique adepte de la bouteille. Ils ont un fils, Evan, pas vraiment brillant non plus, mais un beau gars, fou de mécanique et de filles. Evan se marie trop tôt, avec une fille trop jeune qu’il a engrossé, se trouve un boulot d’ouvrier dans une usine. Le mariage périclite très vite, et Evan retourne vivre chez papa-maman. Quelques années plus tard, sur le point de reprendre ses études il rencontre Rachel, jolie et docile, mais bien décidée à lui mettre le grappin dessus.

Rien de spectaculaire dans les histoires de Richard Yates. Il nous raconte la vie des petites gens dans les banlieues new-yorkaises. Ce n’est pas la misère, mais pas l’opulence non plus. Cette neutralité permet à l’auteur de déployer un regard d’une lucidité glaçante sur ses personnages. Sa manière de disséquer ses personnages, avec une efficacité de l’écriture, une économie de mots m’impressionne toujours. Richard Yates est à la fois sans complaisance pour ses personnages, il n’essaie pas de leur trouver d’excuse, de les rendre plus beaux ou plus admirables qu’ils ne sont. D’ailleurs, il ne le sont pas, ils sont tous plus ou moins ratés, cassés, brisés. Mais pourtant il n’y a rien de condescendant dans cette écriture, pas de jugement. Cet équilibre délicat entre clairvoyance crue du regard et humanisme est tout à fait miraculeux, et bouleversant.

“En réalité, il n’y a jamais rien de risible chez une femme assoiffée d’amour.”

dit Charles Shepard à son fils après leur rencontre avec l’hystérique et grotesque Gloria qui deviendra la belle-mère d’Evan.

Contrairement à Easter Parade, Un été à Cold Spring ne débute pas sous le signe de la fatalité, bien au contraire. Dans Easter Parade on apprenait dès la première phrase la fin tragique du roman :

“Aucune des deux sœurs Grimes ne serait heureuse dans la vie,(…).”

Un été à Cold Spring débute sous de meilleurs auspices :

“Toutes les peines de la triste adolescence d’Evan Shepard furent oubliées lorsque, à dix-sept ans, en 1935, il tomba fou amoureux des automobiles.”

Évidemment, cet optimisme sera de courte durée, et le destin d’Evan Shepard suivra la même courbe que celui des sœurs Grimes. La vie des personnages de Richard Yates ressemble à un entonnoir, plein d’espace et de possibilités au départ, puis ces possibilités se réduisent jusqu’à ne plus pouvoir suivre qu’un seul et fatal chemin. La dernière phrase du roman nous assène un coup fatal quand, après avoir pour la première fois était battue par son mari, la douce Rachel se console en cajolant son bébé, et lui dit :

”Oh ma petite merveille, (…). Un jour… un jour tu seras un homme.”

Pan dans les tripes.

Pour finir j’ajouterai qu’on en apprend plus sur l’humanité, l’Amérique, les américains et la littérature en 200 petites pages de Yates qu’en plus de 700 pages de Franzen. Mais après, c’est à vous de voir.

Chronique livre : Easter Parade

de Richard Yates.

Pas facile de parler de ce magnifique livre, tant il m’a retourné comme un blini. Décidément, Richard Yates entre de grande manière dans mon panthéon, après sa sublime Fenêtre panoramique et ses Onze histoires de solitude. Je crois qu’Easter Parade franchit encore un cap tant dans l’économie d’effets, l’efficacité émotionnelle, que dans la description d’une humanité à la dérive engoncée dans ses mécanismes et ses schémas destructeurs.

Deux sœurs, la belle Sarah et l’intelligente Emily, vivent ballottées par leur mère hystérique en banlieue New-Yorkaise. Divorcée de leur père, vivant dans le fantasme et sur les apparences, la mère, Pookie, est insupportable et projette sur ses filles ses espoirs perdus. Elles sont toutes les deux jolies et futées mais vont prendre des trajectoires opposées. Sarah va se marier jeune à un beau parti très relatif, et pondre trois gosses dans la foulée. Derrière la façade du mariage parfait, elle mourra d’une cirrhose et des coups de son mari à 47 ans. Emily, femme indépendante, intègre la fac, puis des compagnies publicitaires, multiplie les conquêtes, et les liens sociaux. Elle finira seule, moitié folle de chagrin, hantée par une famille qu’elle a pourtant tout fait pour tenir à distance.
Aucune des deux sœurs Grimes ne serait heureuse dans la vie,…

La première phrase du roman annonce déjà la tonalité. On est bien ici dans la tragédie, on sait que l’histoire finira mal, reste à savoir comment. Le pourquoi n’est même pas une question, c’est inéluctable. Une sorte de spirale du malheur, sans échappatoire. Les sœurs Grimes ne sont pas pourtant des “cas”, ce sont des jeunes filles puis des femmes plutôt gâtées par le vie, elles ont des qualités physiques et intellectuelles (elles écrivent bien toutes les deux notamment). Mais elles sont tout simplement écrasées par la vie, sans pouvoir y faire grand chose. Elles essaient, longtemps, ne se laissent pas abattre, mais finissent tout de même par capituler. Le moment où Emily, la croqueuse d’homme, regarde le reflet d’une vieille femme dans la glace et met un long moment à comprendre que cette vieille femme à l’apparence aigrie et qui “vieillit mal”, c’est elle, est absolument bouleversante. Yates parle du temps qui passe et qui abîme tout, inexorablement, en seulement quelques mots, et c’est poignant.

Dans les années 60, Richard Yates était considéré comme un auteur has-been. Son écriture d’apparence classique, loin des tentatives et audaces de ses contemporains de la beat generation, apparaît aujourd’hui comme incroyablement moderne et complètement intemporelle : attention focalisée sur des personnages de femmes (quels magnifiques personnages féminins !), art de l’ellipse, on est dans la très grande littérature, sans fioriture, sans chichis, sans complaisance.  C’est d’une tristesse et d’un fatalisme absolus, cru sans jamais être vulgaire, on n’en ressort pas forcément le sourire béat aux lèvres, mais c’est d’une telle justesse, sobriété, d’une telle beauté ravageuse, qu’on ne peut que s’incliner respectueusement. Un très grand livre pour un très grand auteur.

Chronique livre : Suite(s) impériale(s)

de Bret Easton Ellis.

Quel monstre sommeille derrière les anges que nous ne sommes évidemment pas ?
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Hélas les amis, trois fois hélas, Suite(s) impériale(s) est aussi peu intéressant que Moins que zéro était brillant. Imaginez un auteur qui n’a rien produit depuis 5 ans, en plein brainstorming avec son éditeur. La seule idée qui leur vient à l’esprit est d’écrire la suite de Moins que zéro, soit une espèce de “que sont-ils devenus 25 ans plus tard ?”. La réponse est assez évidente : les protagonistes étaient déjà des « moins que zéro », là ils ne sont franchement pas grand chose, ou plutôt pas grand chose de neuf et d’intéressant. Mais ça on aurait déjà pu le dire en posant Moins que zéro.

Fausse bonne idée, ou vraie mauvaise,  la lecture de Suite(s) Impériale(s) provoque la déliquescence de l’enthousiasme initial. Les phrases courtes et sèches de Moins que zéro ont fait place à des phrases à rallonge, inutilement compliquées (entre temps Ellis est devenu écrivain, il essaie de le prouver). C’est voulu, on n’a jamais d’explication claire, tout reste dans une espèce de brouillard mystérieux. Enfin mystérieux pas tant que ça. Franchement, on se doute de ce que veut démontrer Ellis dès le début : l’adolescence désincarnée de Moins que zéro donne des adultes monstrueux qui ne prennent leur pied qu’en se manipulant les uns les autres. Ouais. Tout ça ne va pas pisser très loin, et n’apporte pas une goutte d’eau de plus au moulin Ellissien.

Du coup, on frissonne un max en pensant que dans 25 ans les protagonistes se feront des crasses dans une maison de retraite d’Hollywood, avec leurs problèmes de pilules bleues, de transit et de prostate. Et là franchement, j’ai pas hâte.

Chronique livre : Onze histoires de solitude

de Richard Yates.


Chacun dans sa bulle.
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Après La Fenêtre Panoramique, force est de constater que Yates s’impose comme un outsider très intéressant de la littérature américaine de la deuxième moitié du XXème siècle. Si ses Onze histoires de solitude sont un tout petit peu inégales, et d’une écriture sans beaucoup de flamboyance, il faut cependant reconnaître un immense talent de portraituriste à Yates.

Il réussit à doter ses personnages de caractère, ou plutôt il réussit à les rendre vivants avec beaucoup de talent. Il concentre son attention notamment sur leur gestuelle, leurs mimiques, comme révélateurs de leurs sentiments. On est pas dans le descriptif au premier degré ici, mais plutôt dans une vision assez cinématographique de la littérature. Les scènes se déroulent sous nos yeux, et c’est au spectateur-lecteur de faire sa propre interprétation des scènes. Et ça fonctionne très bien puisque sans jamais sombrer dans aucun misérabilisme, on ressort du livre le cœur serré de tant de solitude, d’incapacité à communiquer, à se comprendre, à vivre ensemble.

La première nouvelle, sur un enfant inadapté, en quête d’amour, mais totalement incompris est assez déchirante : l’institutrice est gentille comme tout, elle fait tout ce qu’elle peut, mais elle passera quand même à côté, l’enfant ne peut s’empêcher de tout saboter. Il n’y a pas de coupable, de gentil ou de méchant chez Yates, juste une juxtaposition d’êtres dont la compréhension mutuelle ne pourra jamais se faire, faute de mots, de temps, de patience.

C’est beau, très intelligemment fait, et on oublie la vraie-fausse platitude de l’écriture, pour savourer chacune de ces très courtes nouvelles qui en racontent pourtant beaucoup. Un très beau moment.