Chronique livre : L’ampleur du saccage

de Kaoutar Harchi.

Pas spécialement convaincue par ce très court roman dont l’intention première m’avait pourtant séduite. Kaoutar Harchi, au travers du destin de quatre hommes vivant en France mais ayant tous des origines algériennes, tente de raconter à quel point la répression sexuelle (d’origine sociale, économique, religieuse) exercée sur les hommes en Algérie provoque frustration, désirs exacerbés jusqu’à l’inceste, et en conséquence des déferlements de violence, comme une malédiction ancestrale se transmettant de génération en génération. L’idée est belle et courageuse. L’auteur a également un certain sens de la plume, malheureusement inégal, la faisant parfois plonger dans le cliché.

Après un début plutôt intéressant, complexe et mystérieux, l’intérêt retombe cependant assez vite. La construction, alternant les récits des quatre personnages et d’un narrateur omniscient, ne m’a pas convaincu. Mais surtout, le livre est bourré d’incohérences, de raccourcis abusifs et d’ellipses mal maîtrisées. Probablement la faute à cette forme très courte qu’habituellement j’adore, mais qui là, pour le coup, est vraiment trop ramassée. On a souvent l’impression d’assister à un film durant le tournage duquel la scripte se serait absentée et dont le monteur aurait perdu tous les raccords et plans de coupe.

Le résultat c’est un roman assez décousu, dont les fondations ne semblent pas suffisamment stables pour pouvoir supporter le poids de ce récit chargé de sens. Dommage, le sujet reste intéressant, et l’écriture probablement en devenir.

Chronique livre : CosmoZ

de Claro.

Après avoir lu Plonger les mains dans l’acide, recueil de textes courts, j’avais pressenti que la forme longue siérait mieux à Claro. A la lecture de Cosmoz, c’est indéniablement le cas. Cosmoz est un véritable tourbillon, un livre-monde, dont il est difficile en une seule lecture de mesurer l’ampleur.

Claro aime visiblement partir de fictions déjà existantes ou de personnages ayant réellement existé pour construire son œuvre. Dans CosmoZ, il s’empare du Magicien d’Oz, de son créateur, et de ses créatures pour construire ce roman foisonnant, dans lequel il est facile de perdre pied. Claro catapulte les personnages d’Oz dans les cinquante-six premières années du vingtième siècle. L’homme en fer blanc et l’épouvantail seront tout d’abord soldats américains dans les tranchées de la grande guerre, Dorothy infirmière, ouvrière puis malade. La sorcière est une jeune femme dérangée dont le passe-temps favori est d’écrire des mots dans le ciel, et les munchkins resteront quoi qu’ils fassent des freaks, d’abord pour amuser les gens puis pour finir en rats de laboratoires sous les griffes du docteur Mengele.

Un résumé n’aurait bien évidemment pas de sens. La construction millimétrique du roman plonge le lecteur dans une tornade (la tornade d’Oz ? le souffle de la bombe atomique ?) de mots, de personnages, de situations, voyageant au gré de l’Histoire pour à chaque fois revenir vers le rêve chimérique d’Oz qui habite tout le petit peuple de CosmoZ. Réécriture complètement barrée des heures sombres du vingtième siècle, le roman ne cesse de mettre en parallèle l’univers d’Oz, dans sa composition, sa construction, ses personnages, et la grande histoire. Le magicien d’Oz fut écrit au début du siècle, et Claro balance ses personnages directement du pays d’Oz à la guerre. Un éclat d’obus bousille la cervelle d’Oscar Crow, dont l’amnésie sert de prétexte à sa quête d’un cerveau comme l’épouvantail d’Oz le fait. Nick est gravement mutilé et un certain Docteur Huizard (ou Wizard?) le rafistole grâce à une armure d’étain. L’homme en fer blanc part à la recherche de son cœur enfouit sous sa carcasse. Dorothy, elle, jeune femme lambda du Kansas, est fascinée par la peinture au radium phosphorescent dont on peint les aiguilles des montres, sans doute y retrouve t’elle l’éclat émeraude d’Oz.

Tous les personnages seront victimes de la folie humaine, à la fois des dérives de l’humanité (la guerre, les soi-disant progrès techniques, l’argent, le totalitarisme), mais également de leur rêve trop fou d’un Oz qui n’est qu’une dangereuse illusion de félicité pour endormir les masses. L’univers que nous propose Claro est d’une poésie noire, désenchantée, inquiétante, sans vraiment de porte de sortie. L’écriture à la fois puissamment visuelle et évocatrice, parfois obscure, souvent complexe, mais toujours passionnante accompagne cette relecture du mythe magnifiquement. Le rythme très soutenu laisse peu de repos au lecteur, et le petit décrochage du chapitre onze (Loin du Kansas, un poil trop attendu, lyrique et grandiloquent pour moi) ne remet pas en cause la fascination pour l’ampleur extraordinaire de cette entreprise littéraire. Avec CosmoZ, Claro rejoint pour moi la clique des auteurs dont l’écriture et la construction tente d’approcher quelque chose de la complexité et du fonctionnement du monde : Mathias Enard (Zone) et Maylis de Keranghal (Naissance d’un pont). Un respect infini pour eux.

CosmoZ est un roman passionnant, ample, à la noirceur lumineuse. A peine entrebaillé l’univers de Claro qu’il me fascine déjà.

Chronique livre : Pas Sidney Poitier

de Percival Everett.

Pas facile de démarrer dans la vie et de trouver sa voie quand on est orphelin d’une mère à moitié cinglée, et qu’on s’appelle “Pas Sidney” Poitier. Heureusement que celle-ci avait le génie des affaires, et a laissé à son rejeton une immense fortune qui va lui permettre de se sortir de situations très ennuyeuses.

Pas Sidney, donc, a de plus la malchance (ou la chance) de ressembler en grandissant de plus en plus au vrai Sidney Poitier. Et d’être plongé dans des situations délirantes, qui semble tout droit sorties des films de l’acteur. Roman initiatique absurde, Pas Sidney Poitier, dans ses jeux de faux-semblants permanents, de triturage de la réalité débridée, est un livre cinglé et désopilant. Le début est pourtant assez planplan malgré son absurdité, mais un énorme coup d’accélérateur est donné quand Pas Sidney, alors étudiant, est invité par les parents de sa petite amie.

Le livre prend alors vraiment sens derrière le bordel ambiant, et Pas Sidney sert de révélateur à une société pourrie par les problèmes raciaux. Les parents de sa copine, pourtant noirs eux aussi, trouvent Pas Sidney beaucoup trop foncé pour leur douce colombe café au lait. Mais quand ils apprennent qu’il est riche à pourrir alors là, tout change et ils seraient prêts à accepter la couleur trop voyante de leur hôte. Ce n’est qu’une des multiples péripéties de ce roman, dont un des points forts est son rythme et son art du dialogue. On retiendra notamment les échanges complètement absurdes de Pas Sidney avec son professeur Percival Everett (double fictionnel de l’auteur), mais le point culminant est atteint lorsque ce même Everett fait la connaissance du tuteur de Pas Sidney, un certain Ted Turner (le magnat des médias). Ca fuse dans tous les sens, avec un rythme hallucinant, et ça ne veut rien dire, et c’est hilarant et vertigineux.

Vertigineux également le procédé engagé par Everett : peupler son livre de personnages réels mais en les fictionnalisant, et d’un personnage fictif (Pas Sidney), le seul à se démarquer par son nom du réel et qui pourtant, peu à peu est happé par lui (il se met à ressembler au vrai Sidney Poitier, jusqu’à prendre sa place lors d’une cérémonie des Oscar). Intelligent, distrayant, et désopilant, Pas Sidney Poitier est une farce absurde et futée, dont le fond n’a rien à envier à la forme.

Chronique livre : Corpus Delicti – Un procés

de Juli Zeh.

Vous allez me dire pourquoi lire Corpus delicti, alors que ma première confrontation avec la prose de Zeh ne fût pas tellement convaincante ? C’est que j’avais déjà acheté ce livre, et que plutôt que de le laisser moisir au fin fond de ma pile à lire, j’ai préféré me l’avaler rapidement. Ca c’est de l’explication.

Bon, il faut avouer que Zeh n’est pas sans imagination, et sans talent pour titiller un peu l’appétit du lecteur. Corpus delicti est suffisamment futé dans son sujet, et surtout beaucoup plus resserré dans sa trame que La fille sans qualités, pour ne pas (trop) lasser. La réussite de Zeh, c’est la création de ce futur dans lequel la société est dirigée par “La Méthode”. La Méthode, c’est une réglementation ultra-hygiéniste, qui considère que le bonheur de la majorité, repose sur la santé individuelle. Dans cette société, il n’est donc pas question de tomber malade, de procréer avec n’importe qui, ou d’aller se rouler nu dans le foin. Non. Il faut tester ses urines et son sang quotidiennement, faire sa dose d’exercice physique tous les jours, se choisir un compagnon au système immunitaire compatible, et ne pas sortir des limites de la ville. Dans cet univers étouffant, Juli Zeh fait évoluer trois personnages principaux : Mia, une biologiste qui a des difficultés à accepter la mort de son frère (pas bien), un journaliste fouille merde, adepte de la Méthode, et l’avocat de Mia, dont les bonnes intentions se retourneront contre sa cliente.

Comme dans La fille sans qualité, on retrouve beaucoup de dialogues dans Corpus delicti, de gens qui réfléchissent, qui philosophent, et surtout un procés. Mais, Juli Zeh a clairement progressé dans la construction du récit par rapport au précédent roman. Beaucoup moins bavard, beaucoup plus court, beaucoup moins référencé, elle réussit à créer un roman d’anticipation intéressant qui soulève un certain nombre de questions, sans pour autant porter de jugement de valeur, ni imposer de réponses. Bien sûr l’univers est complètement totalitaire, il interdit tout décrochage, toute sortie de route, certes, la Méthode est passablement étouffante, mais après tout, elle assure le bonheur du plus grand nombre, alors pourquoi résister ? Mia tente de démontrer les dérives du système, et finalement, y échouera. Ce final grinçant à souhait est sans doute le meilleur du bouquin, et permet de le lâcher avec une impression favorable.

Parce que, outre son sujet intéressant, Corpus delicti, d’un point de vue littéraire, ce n’est vraiment pas grand chose. Je ne sais si ça vient de la traduction, mais, à l’image de La fille sans qualités, ce roman est effroyablement mal écrit. C’est quasiment une torture de réussir à s’enquiller ces phrases maladroites, souvent peu claires. Pourtant Zeh y met beaucoup d’énergie et d’intelligence, mais non, elle ne sait pas écrire. J’ai passé tout le bouquin à me dire que sous la plume d’un écrivain, le livre aurait pu être génial. En l’état, il a un petit côté mal fini, mal dégrossi, quasiment immature. Bref, intéressant, en progrès, mais pas encore ça.

Chronique livre : Zéroville

de Steve Erickson.

Pour prendre mon pied avec toi, clique.

Un livre dont le titre est un hommage à Alphaville de Godard sur un autiste au crâne tatoué d’une scène d’une Place au soleil qui passe sa vie dans les salles de cinéma, voilà qui était alléchant. Le livre d’Erickson est un peu un OLNI, qui déroute, agace, passionne tour à tour. Je vous avoue que je ne sais pas vraiment par quel bout le prendre. Le livre raconte le parcours de Vikar, un gars de Pennsylvanie qui arrive à Los Angeles pour assouvir sa soif de cinéma. Autiste, soumis à des attaques de violence quand quelque chose l’agace (du passif familial a furieusement tendance le hanter), Vikar comprend mal le monde qui l’entoure, découvre une ville, La ville du cinéma, désertée par le Cinéma (du moins l’idée absolue qu’il s’en fait).

Le début du livre est un peu laborieux, accumulant méthodiquement, de façon systématique des références cinématographiques (sans jamais donner les titres des films, accrochons-nous). C’est laborieux, mais justifié puisqu’on est dans la tête de Vikar, enfermés dans ces circuits neuronaux particuliers. Son crâne tatoué est à la fois un répulsif pour les gens qu’il croise et un objet de fascination et de sociabilisation. Vikar rencontre des gens, les bonnes personnes, qui lui permettent de travailler dans le milieu du cinéma, comme décorateur, puis monteur, un monteur de grand talent, complètement barré, qui “emmerde la continuité” et décroche même un prix du meilleur montage à Cannes (du jamais vu, imaginez !).

C’est dans ces passages cinéphiliques qu’Erickson touche quelque chose de très beau. Sa vision du cinéma, comme Art absolu, ayant toujours existé, comme monde en soi, parallèle au monde réel, est vraiment magnifique. On sent que le gars est un obsessionnel, qu’il tire du cinéma sa force, sa vie. Au milieu du livre, Erickson change de forme, change de rythme : les chapitres se mettent à défiler en sens inverse, Vikar s’enfonce de plus en plus loin dans son obsession, dans le Son (la musique qui fait mal aux oreilles) et le roman devient complètement addictif. Certaines phrases sonnent justes et mettent des mots magnifiques sur l’amour du cinéma “Aucun film digne d’être adoré ou détesté ne procure du confort”. En accélerant le rythme, et en bousculant sa forme, Erickson commet des maladresses en tirant son livre vers une sorte de “paranormal”. Dans le fond, c’est assez maladroit, mais la construction est tellement serrée, intelligente, qu’on ne peut s’empêcher d’adhérer.

Livre inconfortable, discutable, bancal et finalement passionnant, Zéroville donne une furieuse envie de cinéma et de littérature. Un grand pied.