Chronique livre : Orages ordinaires

de William Boyd

oragesordinairesPas lu de Boyd depuis quelques siècles, et ce n’est pas pour rien. Orages ordinaires n’a rien de honteux, mais ne rentre pas vraiment dans les catégories de livres vers lesquels mes goûts me portent de plus en plus.

Adam est climatologue et postule dans une prestigieuse université londonienne. Mais c’est sans compter sur la malchance. Il croise la route d’un chercheur en médecine qui a le mauvais goût de se faire trucider peu après avoir croiser Adam. Notre héros est accusé et contraint de se planquer. Mais pour regagner sa liberté, il faut qu’il prouve son innocence au monde entier. Continuer la lecture de Chronique livre : Orages ordinaires

Chronique livre : La Persistance du froid

de Denis Decourchelle.

Un jour, vous recevez un livre dans votre boîte aux lettres. Un livre inconnu envoyé par quelqu’un que vous ne connaissez pas non plus. Et ce livre-là, qu’on a laissé reposer un peu sur la table de nuit, est ouvert un jour. On sait alors qu’on vient de faire une rencontre, que le livre inconnu et l’inconnu du livre ont touché du doigt quelque chose de profond contre lequel on n’a jamais cessé de lutter.

Après quelques pages d’introduction qui donnent un aperçu de son style magnifique, Denis Decourchelle dresse une liste d’une trentaine de personnages, dont les noms sont accompagnés de quelques repères biographiques. Dans les 120 pages qui suivent, nous croiserons tous ces personnages, qui se croiseront aussi, ou pas.

Tout est ligne et trajectoire dans La Persistance du froid, et les itinéraires de ces personnages sont l’occasion pour l’auteur de déployer son style, sa phrase. Car la phrase est longue, presque toujours, sinueuse, aux multiples bifurcations. On s’y perd parfois, on découvre toujours, on retombe sur ses pieds souvent, ou parfois il faut reprendre, reprendre cette vague, ce flux incessant, presque circulaire, qui donne et qui reprend. Et puis de temps en temps après s’être déployée, la phrase éclate, et nous crucifie. On sent que tout ce cheminement n’est pas vain, qu’il a été mis au point scrupuleusement pour nous amener juste au bord, au bord de l’émotion, de la compréhension, du vide.

Il y a quelque chose d’assez américain dans cette façon, très large, très englobante de retranscrire le monde, de le voir comme un tout, dans lequel tout est lié à tout, où les êtres, même sans se connaître, sont reliés par leur condition même d’humains, et leurs luttes quotidiennes. Et surtout il y a ce regard magnifiquement humaniste que Denis Decourchelle porte sur ses personnages, des personnages qui naviguent toujours dans les marges, ‘on the verge of’, qui marchent sur la frontière qui sépare les choses, et qui essaient de ne pas sombrer, de ne pas tomber, qui essaient d’échapper au froid. Ils y arrivent parfois, et parfois non.

Et on pense beaucoup à Richard Yates pour cette façon de ne pas juger, et d’amener le lecteur, par la force de la phrase, à comprendre, à ressentir et à aimer. Le style de Denis Decourchelle est bien sûr beaucoup moins dépouillé, son chemin est plus complexe, demande un certain engagement de la part du lecteur, du lâcher-prise aussi, de la disponibilité. Mais la récompense est à la hauteur de l’engagement.

La persistance du froid, oh titre sublime, m’a absolument ravagée, a appuyé juste là où ça fait mal, et c’est très beau, et ça fait du bien.

Ed. Quidam Editeur

Chronique livre : Long week-end

de Joyce Maynard.

Chaque histoire qu’on lui racontait (…), elle la prenait pour elle. Comme s’il lui manquait la couche externe de l’épiderme qui permet aux gens d’agir sans saigner au moindre choc. Oui, le monde la dépassait.

Amateurs de très belles histoires, arrêtez-vous là un temps. Si Long week-end de Joyce Maynard ne révolutionne pas la littérature, le roman nous permet cependant de passer un très bon moment, romantique à souhait, et de verser une chtite larme à la fin.

L’auteure se place avec un certain talent dans la peau d’Henry, un ado de treize ans, gentil comme tout, et très protecteur avec Adèle, sa maman divorcée et un peu zinzin. Lors d’une sortie au supermarché, le duo se voit squatter par Frank, prisonnier en cavale. Entre la fragile Adèle et le dangereux mais rassurant Frank, petit à petit, l’amour naît, sous les yeux d’Henry, à la fois soulagé et apeuré. Un amour sur le fil, forcément précaire.

Avec beaucoup de finesse, Joyce Maynard réussit à construire une histoire extrêmement jolie et sensible. Le point de vue adopté, celui de cet adolescent atypique et sans concession vis-à-vis de lui-même, apporte une touche de douceur ironique impeccable. Les personnages sont parfaitement dessinés et crédibles. Bref, un roman, classique et classieux, une belle histoire pleine de coeur (et d’un peu de cul). De quoi passer un agréable moment, et de faire battre mon coeur de midinette.

Ed. 10-18
Trad. Françoise Adelstain 

Chronique livre : CosmoZ

de Claro.

Après avoir lu Plonger les mains dans l’acide, recueil de textes courts, j’avais pressenti que la forme longue siérait mieux à Claro. A la lecture de Cosmoz, c’est indéniablement le cas. Cosmoz est un véritable tourbillon, un livre-monde, dont il est difficile en une seule lecture de mesurer l’ampleur.

Claro aime visiblement partir de fictions déjà existantes ou de personnages ayant réellement existé pour construire son œuvre. Dans CosmoZ, il s’empare du Magicien d’Oz, de son créateur, et de ses créatures pour construire ce roman foisonnant, dans lequel il est facile de perdre pied. Claro catapulte les personnages d’Oz dans les cinquante-six premières années du vingtième siècle. L’homme en fer blanc et l’épouvantail seront tout d’abord soldats américains dans les tranchées de la grande guerre, Dorothy infirmière, ouvrière puis malade. La sorcière est une jeune femme dérangée dont le passe-temps favori est d’écrire des mots dans le ciel, et les munchkins resteront quoi qu’ils fassent des freaks, d’abord pour amuser les gens puis pour finir en rats de laboratoires sous les griffes du docteur Mengele.

Un résumé n’aurait bien évidemment pas de sens. La construction millimétrique du roman plonge le lecteur dans une tornade (la tornade d’Oz ? le souffle de la bombe atomique ?) de mots, de personnages, de situations, voyageant au gré de l’Histoire pour à chaque fois revenir vers le rêve chimérique d’Oz qui habite tout le petit peuple de CosmoZ. Réécriture complètement barrée des heures sombres du vingtième siècle, le roman ne cesse de mettre en parallèle l’univers d’Oz, dans sa composition, sa construction, ses personnages, et la grande histoire. Le magicien d’Oz fut écrit au début du siècle, et Claro balance ses personnages directement du pays d’Oz à la guerre. Un éclat d’obus bousille la cervelle d’Oscar Crow, dont l’amnésie sert de prétexte à sa quête d’un cerveau comme l’épouvantail d’Oz le fait. Nick est gravement mutilé et un certain Docteur Huizard (ou Wizard?) le rafistole grâce à une armure d’étain. L’homme en fer blanc part à la recherche de son cœur enfouit sous sa carcasse. Dorothy, elle, jeune femme lambda du Kansas, est fascinée par la peinture au radium phosphorescent dont on peint les aiguilles des montres, sans doute y retrouve t’elle l’éclat émeraude d’Oz.

Tous les personnages seront victimes de la folie humaine, à la fois des dérives de l’humanité (la guerre, les soi-disant progrès techniques, l’argent, le totalitarisme), mais également de leur rêve trop fou d’un Oz qui n’est qu’une dangereuse illusion de félicité pour endormir les masses. L’univers que nous propose Claro est d’une poésie noire, désenchantée, inquiétante, sans vraiment de porte de sortie. L’écriture à la fois puissamment visuelle et évocatrice, parfois obscure, souvent complexe, mais toujours passionnante accompagne cette relecture du mythe magnifiquement. Le rythme très soutenu laisse peu de repos au lecteur, et le petit décrochage du chapitre onze (Loin du Kansas, un poil trop attendu, lyrique et grandiloquent pour moi) ne remet pas en cause la fascination pour l’ampleur extraordinaire de cette entreprise littéraire. Avec CosmoZ, Claro rejoint pour moi la clique des auteurs dont l’écriture et la construction tente d’approcher quelque chose de la complexité et du fonctionnement du monde : Mathias Enard (Zone) et Maylis de Keranghal (Naissance d’un pont). Un respect infini pour eux.

CosmoZ est un roman passionnant, ample, à la noirceur lumineuse. A peine entrebaillé l’univers de Claro qu’il me fascine déjà.

Chronique livre : Niki L’histoire d’un chien

de Tibor Déry.

Extraordinaire petit livre que Niki L’histoire d’un chien. Seul roman traduit en français de Tibor Déry, auteur hongrois visiblement célèbre dans son pays, Niki est une véritable petit perle, et, en seulement 150 pages réussit à nous faire rire, pleurer et réfléchir.

En 1948, début de la période communiste de la Hongrie, dans la campagne autour de Budapest, Niki une jeune femelle fox-terrier se donne à un couple de quarantenaires, les Ancsa, dont le fils unique est décédé. Résistant d’abord à cette intrusion affective dans leur vie, le couple finit cependant par s’attacher à cette chienne joueuse, et visiblement avide d’affection. Ils la rachètent à son maître officiel, trop content de se débarrasser de l’animal. Mais M. Ancsa, ingénieur des mines, est affecté à un poste à Budapest. Il passe quelque temps à faire les aller-retours entre leur domicile et la ville, avant que le couple ne puisse enfin déménager dans la capitale. A peine arrivés, et pour des raisons assez inexplicables, M. Ancsa est affecté ailleurs, dans un poste plus subalterne, puis à nouveau rétrogradé, avant de finir en prison, sans que personne ne puisse fournir aucune explication.

Tibor Déry ne raconte pas directement cette histoire, mais préfère se focaliser sur la chienne, ses comportements, ses sentiments supputés, mais jamais affirmés, et son évolution. Le livre est tout d’abord un formidable portrait de chien, tout comme l’était le délicieux Flush de Virginia Woolf. Pour qui a déjà cotoyé un cabot, les descriptions de la petite Niki sont criantes de vérité. Tibor Déry est un excellent observateur, et son personnage de chienne sent le vécu. Niki est délicieusement rigolote et attachante, et Tibor Déry, dans un style faussement emprunté mais véritablement amusé, prend un plaisir visible à faire évoluer sa petite créature.

L’histoire de la chienne n’est bien sûr qu’un prétexte à peine dissimulé à l’évocation du système stalinien dans lequel vivaient les hongrois jusqu’à la révolution de 1956. En 1953, Tibor Déry a été exclu du parti communiste, trois ans plus tard il écrit Niki et il est jeté en prison pour avoir été l’un des chefs du mouvement des écrivains qui a contribué à l’insurrection. Sous ses aspects légers, Niki est effectivement une critique virulente d’un système manifestement perverti. La chienne subit docilement les changements dans sa vie (de la campagne à la ville, la privation de liberté, la disparition de son maître, la poursuite par la fourrière) sans évidemment pouvoir comprendre leur origine. Elle finira par mourir prématurément, usée, résignée, sous une armoire. Victoire d’un système sur les individus qui le subissent. Tout comme la chienne, les Ancsa sont soumis à l’arbitraire, à l’humiliation, incapables d’avoir aucune prise sur les événements. Ils subissent, et font tout pour rester discrets. Leur seul acte de résistante est cette chienne, et l’affection qu’ils lui portent. Car avoir un chien dans ces temps de disette est bien un acte de résistance, qui leur sera d’ailleurs reproché.

Le ton faussement enjoué de Tibor Déry se mue peu à peu en récit poignant et bouleversant et fait de Niki une véritable petite perle de résistance et de révolte, un petit canidé de révolution. Un merveilleux classique.