Chronique livre : Saules aveugle, femme endormie

d’Haruki Murakami.

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Clique sur la photo et compte les animaux.

Pas facile de critiquer un livre de nouvelles. Saules aveugles, femme endormie (SAFE en abrégé) est un recueil de petits contes inédits ou déjà parus dans quelques revues. L’ensemble est très hétérogène, allant de la nouvelle paresseuse à souhait, au petit bijou d’écriture. Les histoires ne sont pas datées, mais il se dégage de l’ensemble une impression de débuts dans l’écriture. On sent que la base de pas mal des historiettes est autobiographique et met en scène l’écrivain lui-même. Il semble partir d’une situation qu’il a vécu, et la fait évoluer « à la Murakami ».

C’est sans doute la faiblesse du livre, car le personnage qu’il révèle est somme toute peu intéressant par rapport à son imaginaire surdimensionné. Mais soyons honnête, même si ce n’est pas un critère de définition de la grande littérature, SAFE se lit très agréablement. On suit toutes les histoires avec intérêt, curieux de la façon dont elles vont dévier, et dans quelle mesure Murakami réussira à déployer son talent en seulement quelques pages. On retrouve ici un Murakami qui trouve son inspiration dans la nature vivante ou minérale. Beaucoup de nouvelles tournent autour d’un minéral (une pierre noire qui se déplace toute seule, une vague géante, la glace), un végétal (le saule) ou surtout d’un animal : chats, corbeaux, lucioles, grèbes, kangourous, crabes, singes. C’est un véritable bestiaire, à croire que Murakami essaie de composer son jardin zoologique à lui, de déployer son imaginaire et ses histoires autour d’une espèce particulière. C’est malin, et même si l’execice de style peut paraître un peu scolaire, c’est tout à fait charmant.

Certes, on n’est sûrement pas dans un des grands chefs d’oeuvre du monsieur, et le souvenir de ces courts textes s’efface déjà de ma mémoire, mais c’est une mignonne rentrée littéraire.

Adam et Eve au paradis terrestre de Wenzel Peter
Pinacothèque vaticane

Chronique livre : Chroniques de l’oiseau à ressort

d’Haruki Murakami.

L’histoire commence lors de la disparition du chat de Toru et Kumiko. Non, en fait, c’est sûrement au moment de l’avortement de Kumiko que l’histoire a réellement débuté. En réfléchissant un peu plus loin, c’est peut-être bien lorsque la ruelle derrière chez eux a été bouchée que les choses ont vraiment déraillé, ou peut-être bien quand le puits des voisins s’est asséché. Mais non finalement, les racines du trouble sont sans doute plus profondément ancrées dans l’histoire japonaise, dans les terres mandchoues.

Dans Chroniques de l’oiseau à ressort, c’est comme ça, on n’est jamais sûr de rien. Le héros, Toru, bonne pâte d’une affligeante et incroyable passivité (ou ouverture d’esprit, c’est selon), se voit embarqué dans une spirale d’événements assez incompréhensibles, en apparence disjoints. On le suit dans sa quête (récupérer sa femme), perplexe sur sa méthode, mais reconnaissant qu’elle est plutôt efficace. Beaucoup plus cohérent et moins poseur que Kafka sur le rivage, Chroniques de l’oiseau à ressort est une pure merveille, qui m’a emmené très loin de mes bases et certitudes, dans une espèce de monde parallèle, pourvu de sa logique propre, de ses codes, de sa vérité. Car c’est bien de vérité qu’il s’agit ici. Dans notre monde sûr de ses fondamentaux, Murakami s’ingénie à saper nos croyances matérialistes et rationnelles. « La vérité n’est pas forcément dans la réalité, et la réalité n’est peut-être pas la seule vérité« .

Il s’agit également de libre-arbitre , les personnages sont ici lancés dans un histoire qui les dépasse, et trouver des marges de manoeuvre et de contrôle des événements est très difficile. C’est absolument fascinant, ça se lit comme on mange une tartine de beurre salé, et quand on arrive à la fin, on a la véritable impression que les mystères sont résolus. Fort heureusement, en y réfléchissant bien, ce n’est pas du tout le cas. Tant mieux, de quoi cogiter et rêver encore un bon petit moment.

Chronique livre : Kafka sur le rivage

de Haruki Murakami.

Mon chef-conseiller m’ayant fourré d’office Kafka sur le rivage dans les mains, c’est avec délectation que j’ai entamé cette pavasse japonaise à la couverture énigmatique, et au titre bizarre. Le style, ou plutôt l’absence de style, cette neutralité maladroite de l’écriture gène un peu, sans doute liée à la traduction, sans doute pas. Les dialogues sonnent faux comme dans tout bon téléfilm, et cette platitude entraîne un manque de relief, qui berce et agace tour à tour.

Kafka Tamura, un jeune garçon de quinze ans, fugue du domicile paternel pour échapper à une malédiction funeste, Nakata, un ancêtre sachant causer aux chats*, est obligé de fuir Tokyo, poussé par une mystérieuse force qui l’attire. Les trajectoires se croiseront, forcément, après moult péripéties incongrues, et délires mystiques.

Mondes parallèles, interférences temporelles, pour qui a lu un tout petit peu de SF et de fantaisie, Murakami a l’imagination d’une huître, et ses rebondissements semblent bien maigrichons. Bourré de références littéraires, picturales, spirituelles, le livre tourne parfois au catalogue, tant on sent le maître désireux d’étaler sa science, sous couvert de romanesque. Kafka sur le rivage apparaît alors légèrement pédant, manquant cruellement d’une quelconque sincérité, mais toujours très poli (on est au Japon, ne l’oublions pas). On se dit alors qu’on a probablement à faire à un grand roman ésotérique, philosophique, mystique, spirituel, bref nippon , mais sans jamais réussir à en tirer une quelconque substance un petit peu bouleversante (je manque certainement de finesse, notez).

Pourtant, ça se lit avec plaisir, ça se dévore même, soyons honnête, et le prochain Murakami qui me tombera dans les mains sera probablement englouti à la même vitesse. Certains passages sont plus réussis que d’autres, ceux qui parviennent à garder leur mystère, ceux dénués d’explications. En apparence assez épuré, Kafka… aurait mérité un peu moins de fioritures, et plus de vide. Voilà, c’est dit.

* répétez cette phrase 10 fois sans s’arrêter