Chronique film : Les derniers jours du monde

d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu.


S’échapper, par tous les moyens à la grisaille pénétrante. Clique.

Avec les Larrieu, rentrer dans une salle c’est s’exposer au risque de pénétrer des mondes parallèles, pas vraiment solides et stables. Les derniers jours du monde est vraiment un « machin » au bon sens du terme, un truc improbable et barré, mal foutu et attachant, un bric à brac génial. Mal construit, manquant de tenue, le film réussit néanmoins à emporter l’adhésion par l’attachement qu’il provoque, les questions qu’il suscitent, la curiosité qu’il titille. La fin du monde sert de décor à une ode à l’amour absolu. Quoi de plus romantique que cet amour malgré tout ? malgré le monde qui s’écroule, malgré les femmes qui cherchent la protection et la queue du mâle.

C’est un parcours du combattant auquel est confronté Robinson, le héros. Amalric est superbe, toujours sur le fil, incroyablement crédible dans le rôle totalement impossible d’un homme blackboulé par les événements et ses sentiments pour sa curieuse et volatile maîtresse (très intrigante Omahyra Mota, androgyne brindille). Les Larrieu se lancent dans un cinéma beaucoup plus ambitieux qu’ils n’en ont l’habitude (et le budget probablement), une espèce de road-movie, alternant scènes intimistes, et scènes de foules dont quelques unes sont très impressionnants (les fêtes de St Firmin à Pampelune). Robinson, malgré ses conquêtes, reste seul au monde au milieu de cette débâcle, avec son amour pour Laë. Et les dernières scènes permettent de boucler la boucle de l’histoire de la Terre : nus comme aux premiers jours du monde, Robinson et Laë courent dans un Paris désert, tels Adam et Eve au jardin d’Eden.

C’est une histoire romantique en diable, très profonde, sans que rien ne soit laissé au hasard. Les Larrieu ne se départissent cependant pas de leur fantaisie habituelle et le film est drôle et touchant. L’interprétation est au petit poil de tous les côtés, et la musique au millimètre (surprenant, risqué et fabuleux choix que Ton Style de Ferré pour illustrer la fin du monde !). Bref un formidable moment, malgré quelques micros longueurs, tout à fait pardonnables compte-tenu de l’audace de l’entreprise.

Chronique film : Le voyage aux Pyrénées

de Jean-Marie et Arnaud Larrieu.


Encore plus de godillots, clique sur l’oeillet gauche.

Alexandre Dard et Aurore Lalu sont deux comédiens français renommés (enfin surtout Aurore, Alexandre lui est régulièrement confondu avec André Dussolier). Ils tentent de s’exiler au fin fond des Pyrénées. Le but de l’opération : essayer d’enrayer la nymphomanie galopante qu’Aurore a contracté lors d’un séjour à Rome. Malheureusement leur anonymat explose en un rien de temps, et Aurore ne parvient pas à se maîtriser, sautant d’un orgasme à l’autre dès qu’elle pose le pied dans la chaussure de rando d’un inconnu, ou qu’on lui tripote les orteils avec du chocolat. Mais l’ours (des Pyrénées, fraîchement importé) rode.

Lecteurs, faites fi des critiques catastrophiques qui accompagnent la sortie de ce film. Le voyage au Pyrénées est une petite merveille de fantaisie absurde et profonde qui n’a nul équivalent dans le paysage cinématographique franchouillard. Autant la précédente bobine des Larrieu m’avait moyennement convaincue (Peindre ou faire l’amour), autant Le Voyage aux Pyrénées remporte ma plus chaude adhésion.

Les Pyrénées n’y sont pas pour rien. Issus de cette merveilleuse région, les Larrieu, évitant tout régionalisme béat, filment merveilleusement ces paysages qu’on leur sent familiers. Noyés de soleil, ou plongés dans un brouillard fantômatique, étirant ses étroites vallées et ses lacs profonds entre leurs parois rocheuses, les Pyrénées sont un personnage central du film plus qu’un simple décor. Recherchant l’incognito en ces lieux déserts, les deux acteurs découvrent pourtant un milieu vivant (hommes, animaux), dans lequel la faible densité de population exacerbe la curiosité. Dans ce merveilleux décor familier, les Larrieu déchaînent leur créativité, truffant le film d’idées hilarantes et de légendes rurales : un ours taquin, menaçant et joueur tour à tour, une femme nue sauvage, des curés béats et dénudés (dont Philippe Katerine, qui paye de sa personne), Alexandre qui se met à causer tibétain après avoir mangé des champignons hallucinogènes… Le rythme est planplan mais ne faiblit jamais. Et c’est une grande qualité.

Derrière la farce, les Larrieu glissent une métaphore acide du « métier » d’acteur, ou plutôt de la condition d’acteur. Aurore surtout en est un beau specimen. Alexandre reste lui, en tout temps aimable et avenant, même quand les journalistes lui sautent dessus, se plantent de nom, ou que les badauds demandent un autographe. Aurore est nymphomane, les regards des inconnus la font brûler de désir. Elle n’est plus excitée que par l’attention de son public, et ne fait plus l’amour avec son mari. Elle est capricieuse, frivole, et même sa disparition et sa quête de solitude ne peut se faire que de manière incongrue, et sous le regard distant des spectateurs. Elle n’est plus que jeu, mensonge, n’existant finalement plus par elle-même. Scrutés, épiés, Aurore et Alexandre, jouant en permanence leur vie, finissent par être punis par où ils ont pêchés. Mais c’est pour mieux se retrouver au moment où ils vivent une situation dans laquelle ils ne peuvent plus jouer comme ils ont eu l’habitude de le faire. N’empêche, à mon avis, pour eux les emmerdes ne font que commencer.