de Mathieu Lindon.
Je n’ai jamais rien lu de Michel Foucault, j’ignorais qui était Jérôme Lindon, et l’histoire des Editions de Minuit. C’est donc avec une inculture crasse, mais non poussée par motifs inavouables et charognards que j’ai abordé ce livre. Et finalement tant mieux. J’étais donc dénuée de tous préjugés, ou attentes salaces lorsque Ce qu’aimer veut dire m’est tombé entre les mains. Et c’est une magnifique histoire, d’une immense douceur, d’une grande générosité.
Mathieu Lindon revient sur un épisode qu’il juge déterminant dans sa vie : l’amitié qu’il entretint durant 6 années avec Michel Foucault, jusqu’à sa mort. Mathieu Lindon était alors un tout jeune homme, juste sorti d’une adolescence solitaire et difficile, dans une famille qui, par sa nature même, ne pouvait qu’être écrasante. Son grand-père était un magistrat célèbre, mais surtout son père, Jérôme Lindon, était le directeur charismatique des Editions de minuit. Sa forte personnalité, et ses meilleurs amis, Samuel Beckett, Alain Robbe-Grillet, Marguerite Duras, constituaient un bouillon intellectuel fertile pour le jeune Mathieu mais également un monde clos, purement littéraire, qui à la fois était tout pour lui, mais dont il avait cependant besoin de s’émanciper. Son amitié pour Michel Foucault, qu’il ne devait pas à son père, mais à lui-même, a constitué l’acte fondateur de la construction de sa personnalité, le philosophe lui ayant appris “ce qu’aimer veut dire”. Mais pas aimer au sens physique du terme. Non, mais aimer au sens d’un amour simple, quelque part universel, généreux, désintéressé, sans sous-entendu. La générosité de Michel Foucault, cette espèce de bonté naturelle, sans calcul, a permis à Mathieu Lindon de se construire, en tant qu’être humain, hors de l’influence familiale.
Le livre tourne notamment beaucoup de l’appartement Rue Vaugirard, que Michel Foucault prétait à Mathieu Lindon lors de ses absences. Le fait que tout le livre tourne essentiellement autour des absences de Foucault est un tour de force pudique, puisque malgré ces absences, on ressent tout ce que Foucault a apporté à Lindon, à quel point cette générosité s’exprime notamment par le prêt de cet appartement, qui permet à Lindon de se découvrir par la construction d’un cocon amical et intellectuel. Malgré sa grande luminosité et douceur, l’histoire n’est cependant en rien idéalisée. Le monde que Michel Foucault fait découvrir à Lindon n’est pas le monde de Oui-Oui, on y trouve moult drogue, sexe, comportements qui ouvrent des possibles aux personnages mais qui conduisent également et malheureusement à la fin prématurée du philosophe. Foucault se refuse cependant d’introduire le jeune homme dans certains de ses cercles, le trouvant trop jeune pour de telles pratiques.
La plume de Mathieu Lindon navigue d’un souvenir à l’autre, ravivé parfois par un simple mot, ou un simple objet, une casquette, un lapin par exemple. Ce voyage temporel éclaté, est servi par un style très particulier, à la fois d’une grande oralité, presque enfantine, et pourtant également précieuse, raffinée. Ce qu’aimer veut dire n’est donc pas un portrait de Michel Foucault ou Jérôme Lindon, ni même un hommage, mais un livre sur la façon dont les êtres peuvent impacter nos vies, même bien après leur mort, la manière dont ils peuvent laisser une marque absolument indélébile sur les êtres qu’ils ont cotoyés et aimer. C’est juste bouleversant et magnifique, et on se plaît à espérer aussi d’un jour rencontrer quelqu’un qui nous montre ce qu’aimer veut dire.
PS : en finissant mes petits textes, je farfouille en général sur le net pour voir ce que les autres en ont pensé. Je tombe par hasard sur cette critique du livre de Mathieu Lindon. Etonnant non ?