de Michale Boganim.
Pripiat, avril 1986, à 3km de la centrale de Tchernobyl, ville ukrainienne modèle, la “plus belle ville” d’Ukraine. Ce qu’on considérerait comme un cauchemar urbanistique aujourd’hui est alors une ville prospère, dans laquelle on vit, on travaille (notamment à la centrale Lénine), dans laquelle finalement, on est heureux. La caméra suit un enfant et son père qui plantent un arbre sur les bords d’une rivière, un jeune couple amoureux dans une barque flotte insouciant sous le soleil, demain ils se marient. Le réacteur de la centrale a déjà explosé, mais personne ne le sait. Pendant trois jours les gens vont vivre comme si. Dix ans plus tard, Pripiat est une ville fantôme. La végétation a tout envahi, et des cars de touristes viennent pour la journée dans la zone condamnée. La jeune mariée est veuve depuis le jour de son mariage, elle est maintenant guide dans la zone.
Voilà 26 ans que la plus grave catastrophe nucléaire jusqu’à ce jour a eu lieu, et jamais la fiction n’était allée voir de ce côté-là. Il y a pourtant de quoi faire, et le sujet est incroyablement cinématographique : ville fantôme, retour à l’état sauvage, drame humain… A Tchernobyl la fiction a rejoint la réalité, ce qu’on n’avait pas prévu, ou du moins pas suffisamment, pas sérieusement a eu lieu. On assiste a une mise en pratique du fabuleux Somaland d’Eric Chauvier : le risque qu’on ne voit pas, qu’on ne sent pas, n’existe pas. Et il a fallu attendre que les cadavres d’animaux jonchent le sol, que les arbres rougissent, pour que les autorités décident enfin d’évacuer les populations.
La première partie du film est assez réussie. Le spectateur assiste au drame en étant le témoin de ses conséquences, alors que les habitants n’en ont pas encore conscience. C’est plutôt bien fait, la tragédie s’insinue partout. La force visuelle de certains plans est saisissante, et malgré une musique assez incongrue, on est plutôt convaincu par cette montée silencieuse et insidieuse du drame.
Malheureusement, l’intérêt de la fiction tourne court dans la deuxième partie du film. L’histoire de la guide est somme toute assez peu intéressante, pas forcément très bien jouée, et surtout tire en longueur. On comprend les intentions de la réalisatrice, montrer cette incapacité à tourner la page du passé. Il y a des choses assez belles, mais le film, mal construit, peine à vraiment tenir sur la longueur.
La Terre outragée constitue donc un objet cinématographique bancal, inattaquable sur le fond, pas totalement convaincant sur sa forme malgré quelques moments vraiment beaux, poignants et intelligents.
Pour l’aspect documentaire, on se tournera plutôt vers l’excellent film diffusé sur Arte l’an dernier Tchernobyl : Une histoire naturelle de Luc Riolon.