Chronique film : The We and the I

de Michel Gondry.

Gros coup de coeur pour le film de Michel Gondry au titre excellentissime. Il part d’un dispositif simple comme le jour, pour nous proposer une réflexion sur la communauté et l’individu (The We and the I donc), rien que ça.

Le dernier jour de l’année scolaire, la sortie d’un lycée du Bronx. Une tripotée d’adolescents s’engouffre dans le bus municipal qui va les ramener chez eux, la caméra filme et le bus progressivement se vide. Il y a les terreurs, qui font chier tout le monde, les hystériques et les taciturnes. Les artistes et les grandes gueules. Les gros et les maigres.

Débarrassé de ses flonflons surnuméraires, Michel Gondry filme ces gamins, leurs rapports de force, leurs comportements, mais aussi leurs petites histoires. Le réalisateur montre tout ça avec une justesse pas possible, complètement débarrassé de tout cliché potentiel. Sa caméra, dynamique, semble capter les flux d’énergie qui circulent là-dedans. Ça fuse, ça vit, ça bouillonne. Aucun angélisme, certains des gamins sont des vrais connards (la première partie s’appelle ainsi “The bullies”), d’autres complètement paumés, agaçants ou attendrissants. Et plus le bus le vide, plus les relations entre les mômes se modifient, les rapports de force changent, mutent. L’effet de groupe se dissipe progressivement, et les personnalités se révèlent, avec leurs histoires, leurs individualités. Le film devient alors vraiment touchant, profond (magnifique scène où toute la famille Chen sort du bus précipitamment sans donner aucune explication sous le regard médusé des lycéens restant).

Michel Gondry utilise avec un talent immense la culture “portable” des lycéens. D’une vidéo qui circule de téléphone en téléphone, et c’est toute la hiérarchie du groupe qui se révèle. Et chaque anecdote racontée par les lycéens se voit illustrée, façon YouTube, pour le coup de manière très Gondrienne. Ce sont des petites touches, et ça cimente tout le film.

Scénarisé juste comme il faut (et vraiment très bien), interprété magistralement par une bande d’ados du Bronx, The We and the I est définitivement un gros gros coup de coeur. Et un grand film, oui.

Chronique film : Be kind Rewind (Soyez sympas rembobinez)

de Michel Gondry.

Ben le voilà mon premier gros coup de coeur de l’année. Lecteurs, passez outre l’effroyable traduction française et littérale du titre, et filez au cinéma ! Un vieux videostore décrépit et menacé de démolition, des k7 effacées, deux potes qui décident de re-tourner les films effacés à leur sauce : Ghostbusters, le Roi lion, Miss Daisy et son chauffeur, Rush Hour…

Déjà éblouie par Eternal Sunshine of the Spotless Mind, moins convaincue par La science des rêves (vue en VF, faut dire), je suis encore toute poreuse, attendrie, émue par ce machin joli tout plein, énorme hommage au cinéma, au spectacle en général. On jette au loin toute vraisemblance, ici, les choses sont claires, on se fout complètement des faux raccords, de la bidouille. L’intrigue n’est pas crédible ? on s’en fout. Ce qui compte, c’est l’imagination. Dans Be kind Rewind, on ne prend pas le spectateur pour un con, on le force à se servir de sa tête, on le fait participer activement à la réalisation de son propre film. Quelqu’un me disait récemment un truc du style : « Sur une scène, tu traces une ligne bleue, et tu l’appelles rivière. Si les spectateurs y croient, ont la trouille quand quelqu’un saute par-dessus, c’est gagné. C’est ça le théâtre, réussir à rendre réel ce qui n’existe pas. » Ode à la création donc que ce film. On s’émerveille à chaque instant des trouvailles du gars : une pizza sous une tête pour mimer une tâche de sang, des doigts blancs et noirs pour mimer des touches de piano… c’est un amusement de chaque instant, un cri d’amour aux racines de l’art cinématographique.

Mais le film va plus loin. Ce qui est mis en avant ici, c’est le rôle de la création dans la cohésion sociale. Sans lourdeur on entr’aperçoit une ville moribonde, sans passé (les éléments glorieux de la ville se révèlent être des mensonges pour faire rêver les gosses), sans présent, et surtout sans avenir. Les tournages de ces remakes fédèrent la population locale, permet aux gens de se croiser, de travailler ensemble sur un projet commun. Les générations se mêlent, aucun passéisme, aucune fuite vers l’avant, juste une façon de vivre ensemble. Évidemment, dis comme ça, c’est un peu gnangnan, mais il y a tant d’amour dans la caméra de Gondry , tant d’attention aux petites choses, tant de modestie, que j’ai fondu comme une madeleine. On n’est pas dans l’ironie, pas dans le cynisme. C’est juste totalement désarmant et reposant de regarder un film aussi gentil sans être aucunement cucul. Moi, je vote pour. Dans le contexte actuel de sape culturelle intensive, le film est finalement assez subversif : sans création, pas de lien social. Le message passe. En douceur, mais avec conviction.